Imagerie haute définition d'une connexion filamenteuse entre une paire de quasars proches à z≈3

Structure filamentaire entre une paire de quasars à haut décalage vers le rouge dans le cadre du réseau cosmique

Contexte académique

Le réseau cosmique (Cosmic Web) est un concept central en cosmologie moderne, décrivant la structure complexe formée par la matière noire et les gaz sous l’effet de la gravité. Selon la théorie de la matière noire froide (Cold Dark Matter, CDM), le réseau cosmique est composé de structures filamenteuses (filaments) reliant des amas de galaxies et des groupes de galaxies. Ces structures filamenteuses sont considérées comme les éléments fondamentaux des grandes structures à grande échelle de l’univers, mais leur observation directe a toujours été extrêmement difficile. En raison de leur faible luminosité surfacique (Surface Brightness, SB), les instruments astronomiques traditionnels peinent à capturer leurs signaux. Récemment, avec l’introduction de spectrographes hypersensibles comme MUSE, les scientifiques ont commencé à détecter le rayonnement ténu de ces structures filamenteuses.

L’objectif principal de cette étude est d’observer directement et d’analyser quantitativement les caractéristiques physiques du réseau cosmique via les structures filamenteuses entre une paire de quasars à haut décalage vers le rouge (z ≈ 3,22). L’équipe de recherche a utilisé les données du champ ultra-profond MUSE (MUSE Ultra Deep Field, MUDF) pour afficher pour la première fois en haute résolution une structure filamenteuse connectant deux quasars, tout en analysant en détail sa morphologie, ses profils de luminosité surfacique et ses propriétés de densité. À travers des comparaisons avec des simulations numériques, l’étude valide la densité typique des filaments prédite par le modèle de matière noire froide, fournissant ainsi de nouvelles preuves observationnelles sur la formation des grandes structures de l’univers.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Davide Torniotti, Michele Fumagalli, Matteo Fossati et plus de 20 autres auteurs, membres de plusieurs institutions de recherche, dont l’Université de Milan en Italie, l’Université de Durham au Royaume-Uni, l’Institut Max-Planck d’Astronomie en Allemagne et le California Institute of Technology aux États-Unis. Il a été publié en 2024 dans la revue Nature Astronomy sous le titre “High-definition imaging of a filamentary connection between a close quasar pair at z ≈ 3”.

Processus de recherche

1. Acquisition et traitement des données

L’équipe de recherche a utilisé l’instrument MUSE installé sur le Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral pour effectuer des observations approfondies totalisant 142 heures sur la région MUDF. MUSE est un spectrographe intégral de champ capable de collecter simultanément des informations spectrales et spatiales sur une large gamme de longueurs d’onde. Les données observées ont subi un traitement en plusieurs étapes, incluant la correction des biais, des champs sombres, l’étalonnage en longueur d’onde et la soustraction du fond du ciel. Un cube de données tridimensionnel de haute précision a été généré, avec une résolution de 0,2 seconde d’arc et 1,25 Å.

2. Identification et extraction des structures filamenteuses

Pour extraire les structures filamenteuses à faible luminosité surfacique des données, l’équipe de recherche a utilisé l’outil CUBEX pour soustraire les sources de continuum et la fonction de diffusion ponctuelle (Point Spread Function, PSF) des quasars. En fixant un seuil de rapport signal/bruit (Signal-to-Noise Ratio, SNR), ils ont identifié une structure filamenteuse reliant les deux quasars. Cette structure s’étend sur environ 700 kiloparsecs physiques (pkpc) en projection, avec une luminosité surfacique d’environ 8×10^-20 erg s^-1 cm^-2 arcsec^-2.

3. Analyse de la distribution de luminosité surfacique

L’équipe de recherche a procédé à une analyse détaillée de la distribution de luminosité surfacique de la structure filamenteuse. En extrayant la luminosité surfacique moyenne le long de l’axe reliant les deux quasars, ils ont découvert que la distribution de luminosité de la structure filamenteuse fait une transition fluide avec le milieu circumgalactique (Circumgalactic Medium, CGM) entourant les quasars. Ils ont également mesuré la distribution de luminosité transversale de la structure filamenteuse, révélant une épaisseur d’environ 140 pkpc, avec une diminution de la luminosité suivant une loi de puissance en fonction de la distance.

4. Comparaison avec des simulations numériques

Pour valider les résultats observationnels, l’équipe de recherche a utilisé des modèles semi-analytiques (Semi-Analytic Model, SAM) et des simulations hydrodynamiques (IllustrisTNG) pour l’analyse. Les simulations ont montré que la densité des structures filamenteuses prédite par le modèle de matière noire froide correspond aux résultats observés. L’étude a également révélé que lorsque la distance physique entre les paires de quasars est inférieure à 1 mégaparsec physique (pMpc), elles sont généralement connectées par des structures filamenteuses denses, tandis qu’à des distances supérieures à 2 pMpc, la densité de gaz est proche de la densité moyenne de l’univers.

5. Inférence des propriétés physiques

En analysant la luminosité surfacique de la structure filamenteuse, l’équipe de recherche a estimé que la densité de gaz interne est d’environ 5×10^-3 cm^-3. Ce gaz de faible densité est presque complètement ionisé sous l’effet du rayonnement ultraviolet ambiant, ce qui est conforme à l’hypothèse de recombinaison optiquement mince. L’étude a également pris en compte l’impact du rayonnement fluorescent des quasars sur la structure filamenteuse, constatant que sa contribution à la luminosité totale est limitée.

Résultats principaux

  1. Imagerie haute résolution des structures filamenteuses : L’étude a obtenu pour la première fois des images haute résolution d’une structure filamenteuse reliant une paire de quasars à haut décalage vers le rouge, mettant en évidence sa morphologie complexe et ses structures secondaires.
  2. Distribution de luminosité surfacique : La luminosité surfacique de la structure filamenteuse diminue progressivement le long de l’axe de connexion et dans la direction transversale, conformément aux prédictions du modèle de matière noire froide.
  3. Propriétés de densité : La densité de gaz de la structure filamenteuse est d’environ 5×10^-3 cm^-3, en accord avec les résultats des simulations numériques.
  4. Environnement des paires de quasars : L’étude montre que les paires de quasars sont généralement connectées par des structures filamenteuses denses, avec des distances physiques souvent inférieures à 1 pMpc.

Conclusion et signification

Cette étude, grâce à l’observation à haute résolution des structures filamenteuses entre des paires de quasars à haut décalage vers le rouge, a permis de valider directement la densité prédite par le modèle de matière noire froide pour le réseau cosmique. Elle fournit non seulement une analyse quantitative des structures filamenteuses du réseau cosmique, mais aussi de nouvelles preuves observationnelles pour comprendre la formation et l’évolution des grandes structures de l’univers. De plus, elle met en lumière les capacités exceptionnelles de l’instrument MUSE pour détecter des objets à faible luminosité surfacique, posant ainsi les bases pour des recherches futures plus approfondies sur le réseau cosmique.

Points forts de l’étude

  1. Imagerie haute résolution : Première visualisation haute résolution de la morphologie complexe des structures filamenteuses du réseau cosmique.
  2. Analyse quantitative : Fourniture de preuves observationnelles quantitatives via l’analyse des distributions de luminosité surfacique et des propriétés de densité.
  3. Validation par simulation numérique : Validation des prédictions du modèle de matière noire froide par comparaison avec des simulations numériques.
  4. Démonstration des capacités instrumentales : Mise en évidence des performances exceptionnelles de MUSE dans la détection d’objets à faible luminosité surfacique.

Autres informations intéressantes

L’équipe de recherche a également découvert que des sous-structures peuvent exister dans la structure filamenteuse, et les mécanismes de leur formation ainsi que leur impact sur l’évolution du réseau cosmique méritent des recherches supplémentaires. Par ailleurs, l’équipe prévoit d’utiliser à l’avenir des télescopes de plus grand diamètre (comme ceux de 40 mètres) pour des observations plus approfondies afin de révéler davantage les propriétés physiques du réseau cosmique.