Différenciation partielle d'Europe et implications pour l'origine des matériaux dans le système de Jupiter
Différenciation partielle d’Europe et implications pour l’origine des matériaux dans le système de Jupiter
Contexte académique
Europe (Europa) est une lune glacée de Jupiter, longtemps considérée comme l’un des principaux candidats pour abriter une vie extraterrestre dans le système solaire. Sa surface est recouverte d’une épaisse couche de glace, sous laquelle pourrait se trouver un océan d’eau liquide. La structure interne et l’histoire évolutive d’Europe sont essentielles pour comprendre son habitabilité. Cependant, malgré les précieuses données fournies par la mission Galileo sur le champ gravitationnel et magnétique d’Europe, de nombreuses incertitudes subsistent concernant les détails de sa structure interne, en particulier le degré de différenciation de son noyau, l’épaisseur de la croûte de glace, la profondeur de l’océan et la composition du manteau.
Les études précédentes, basées sur les données gravitationnelles de la mission Galileo, suggéraient qu’Europe pourrait posséder un noyau métallique différencié. Cependant, des analyses récentes indiquent que les données du champ gravitationnel pourraient soutenir l’hypothèse d’une différenciation partielle de l’intérieur d’Europe, c’est-à-dire qu’elle n’aurait peut-être pas complètement formé un noyau métallique distinct. Cette découverte soulève de nouvelles questions sur la formation et l’évolution d’Europe : a-t-elle vraiment subi une différenciation complète ? Quel a été le processus d’évolution thermique de son intérieur ? Ces questions influencent directement notre évaluation de l’habitabilité d’Europe.
Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont combiné des modèles géophysiques, géochimiques et d’évolution thermique pour réanalyser les données de la mission Galileo, afin de révéler la structure interne d’Europe et son histoire évolutive. De plus, l’étude explore l’origine des matériaux constitutifs d’Europe, en particulier leur relation avec la distribution des matériaux dans le système de Jupiter au début de son histoire.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Flavio Petricca, Julie C. Castillo-Rogez, Antonio Genova, Mohit Melwani Daswani, Marshall J. Styczinski, Corey J. Cochrane et Steven D. Vance. Les auteurs proviennent du Jet Propulsion Laboratory du California Institute of Technology, du Département de génie mécanique et aérospatial de l’Université Sapienza de Rome et du Blue Marble Space Institute of Science. L’article a été publié en ligne le 11 décembre 2024 dans la revue Nature Astronomy, avec le DOI 10.1038/s41550-024-02469-4.
Méthodologie de la recherche
1. Collecte de données et analyse du champ gravitationnel
Les chercheurs ont d’abord réanalysé les données de science radio de la mission Galileo, en particulier les données du champ gravitationnel d’Europe. En utilisant une inversion bayésienne (Bayesian inversion) et une méthode de Monte Carlo par chaînes de Markov (MCMC), les chercheurs ont généré des modèles de la structure interne d’Europe. Ces modèles sont basés sur la masse et le moment d’inertie (MOI) d’Europe, combinés à des contraintes géophysiques et géochimiques.
2. Modélisation de la structure interne
Les chercheurs ont supposé que la structure interne d’Europe est composée de plusieurs couches, incluant un noyau métallique, un manteau rocheux, un océan et une croûte de glace. Grâce à la méthode MCMC, les chercheurs ont exploré les plages possibles pour des paramètres tels que le rayon du noyau, la densité du noyau, la profondeur de l’océan et l’épaisseur de la croûte de glace. Pour décrire plus précisément la structure du manteau, les chercheurs ont divisé le manteau en 50 sous-couches équidistantes et ont utilisé le logiciel Perple_X pour calculer la pression, la température et la densité de chaque sous-couche.
3. Modèles d’évolution thermique
Pour comprendre l’histoire thermique d’Europe, les chercheurs ont développé des modèles de conduction thermique, prenant en compte la désintégration radioactive et le chauffage par effet de marée (tidal heating) comme principales sources de chaleur. Les modèles supposent qu’Europe a subi une accrétion froide (cold accretion) après sa formation et simulent l’évolution thermique du manteau rocheux pour suivre les changements de température à l’intérieur d’Europe.
4. Possibilité de différenciation du noyau métallique
Les chercheurs ont également exploré la possibilité de différenciation du noyau métallique d’Europe. En calculant le point de fusion des alliages de fer-sulfure de fer (Fe-FeS) et le volume de fusion à différentes pressions et températures, les chercheurs ont évalué les conditions nécessaires à la différenciation du noyau métallique. Les résultats montrent que les zones à haute température à l’intérieur d’Europe sont limitées, ce qui rend difficile la différenciation complète du noyau métallique.
Résultats principaux
1. Structure interne d’Europe
Les résultats de l’étude suggèrent que la structure interne d’Europe pourrait être partiellement différenciée, c’est-à-dire que son noyau métallique est petit ou inexistant. Sur la base des dernières données de MOI, le rayon du noyau d’Europe pourrait être compris entre 49 et 269 kilomètres, bien inférieur à l’estimation précédente de 425 kilomètres. Cette découverte est cohérente avec l’hypothèse d’une évolution froide d’Europe.
2. Composition du manteau
Les chercheurs ont constaté que la densité du manteau rocheux d’Europe est relativement faible, environ 2 750 kg/m³. En comparant avec différents types de chondrites carbonées (CV, CI, CM) et des matériaux cométaires (comme 67P/Churyumov-Gerasimenko), les chercheurs pensent que les matériaux constitutifs principaux d’Europe pourraient être des chondrites de type CV.
3. Teneur en eau
L’étude estime que la fraction massique d’eau d’Europe est de 7,4 ± 1,3 %, ce qui correspond à la plage attendue précédemment (7,0–9,0 %). Cela suggère qu’une partie de l’inventaire en eau d’Europe pourrait provenir de sources externes, comme les comètes.
4. Évolution thermique
Les modèles d’évolution thermique montrent que les températures internes d’Europe sont relativement basses, et que les conditions de température nécessaires à la différenciation du noyau métallique (>1 600 K) n’ont pas été pleinement atteintes au cours de son évolution. Le lessivage du potassium (leaching) a encore limité le processus de chauffage interne d’Europe.
Conclusions et implications
Cette étude révèle la structure interne d’Europe et son histoire évolutive, en particulier ses caractéristiques de différenciation partielle. Les résultats suggèrent qu’Europe a peut-être subi une évolution froide, avec un noyau métallique petit ou inexistant. De plus, l’inventaire en eau d’Europe pourrait provenir en partie de sources externes, comme les comètes. Ces découvertes sont d’une grande importance pour notre compréhension de l’habitabilité d’Europe.
Points forts de la recherche
- Hypothèse de différenciation partielle : L’étude propose pour la première fois qu’Europe pourrait être partiellement différenciée, remettant en question l’hypothèse précédente d’une différenciation complète.
- Modèle d’évolution froide : Grâce aux modèles d’évolution thermique, les chercheurs ont révélé l’histoire d’évolution froide d’Europe, expliquant les conditions limitantes de la différenciation du noyau métallique.
- Analyse de l’origine des matériaux : L’étude utilise des modèles géochimiques pour suggérer que les matériaux constitutifs principaux d’Europe pourraient être des chondrites de type CV, tout en explorant les sources externes de son inventaire en eau.
Perspectives futures
Les futures missions de sondes vers Europe, comme Europa Clipper et JUICE, fourniront des données gravitationnelles et magnétiques plus précises, permettant de valider davantage ces résultats. Ces missions nous aideront à mieux comprendre la structure interne d’Europe et son habitabilité.