Modèle 3D global de l'atténuation du manteau utilisant les modes normaux sismiques
Modèle tridimensionnel global de l’atténuation du manteau : une étude basée sur les modes normaux sismiques
Contexte académique
La structure interne de la Terre et les processus dynamiques qui s’y déroulent sont au cœur des recherches en sciences de la Terre. La convection mantellique (mantle convection) est le principal mécanisme qui entraîne les mouvements des plaques tectoniques, les éruptions volcaniques et les séismes. Cependant, les modèles traditionnels de tomographie sismique (seismic tomography) reposent principalement sur les variations de la vitesse des ondes sismiques (wave velocity), ce qui rend difficile la distinction entre une origine thermique (thermal origin) et une origine compositionnelle (compositional origin) des structures du manteau. Les variations de température et de composition affectent généralement les vitesses des ondes de compression et de cisaillement dans les mêmes proportions, ce qui limite l’interprétation des structures du manteau basée uniquement sur la vitesse des ondes.
Pour mieux comprendre l’évolution de la convection mantellique, les chercheurs doivent combiner les données d’atténuation sismique (attenuation). L’atténuation désigne la perte d’énergie intrinsèque des ondes sismiques lors de leur propagation à travers la Terre. Elle est sensible à des propriétés physiques telles que la température, la fusion partielle et la taille des grains, mais moins sensible aux variations de composition. Ainsi, les données d’atténuation peuvent fournir de nouvelles contraintes pour déterminer si les structures du manteau sont d’origine thermique ou compositionnelle. Cependant, les modèles tridimensionnels d’atténuation à l’échelle mondiale se concentrent principalement sur le manteau supérieur (upper mantle), tandis que les études sur l’atténuation du manteau inférieur (lower mantle) restent limitées.
Source de l’article
Cet article a été coécrit par Sujania Talavera-Soza, Laura Cobden, Ulrich H. Faul et Arwen Deuss, respectivement affiliés à l’Université d’Utrecht, au Massachusetts Institute of Technology et au Vassar College. L’article a été publié en 2024 dans la revue Nature sous le titre Global 3D model of mantle attenuation using seismic normal modes.
Méthodologie et résultats de la recherche
1. Objectifs et méthodes de l’étude
L’objectif de cette étude est de construire un modèle tridimensionnel global de l’atténuation du manteau en utilisant les modes normaux sismiques (seismic normal modes), afin de révéler les origines thermiques et compositionnelles des structures du manteau. Les modes normaux sont des modes de vibration globaux de la Terre, capables de capturer les variations de structure à grande échelle à l’intérieur de la Terre. Contrairement aux ondes de volume (body waves) et aux ondes de surface (surface waves), les modes normaux permettent de mesurer simultanément les variations de structure élastique (elastic) et anélastique (anelastic), évitant ainsi les erreurs liées à la redistribution de l’énergie (comme la focalisation et la diffusion) dans les méthodes traditionnelles.
L’étude a adopté une approche d’inversion en deux étapes : 1. Première étape : Mesurer les fonctions de division (splitting functions) en inversant les spectres des modes normaux (normal-mode spectra). Les fonctions de division décrivent le phénomène de division des fréquences dû à l’hétérogénéité latérale (lateral heterogeneity) à l’intérieur de la Terre. Les chercheurs ont mesuré les données spectrales de 104 grands séismes, obtenant ainsi 16 fonctions de division anélastiques. 2. Deuxième étape : Construire un modèle tridimensionnel d’atténuation à l’aide de ces fonctions de division. Les chercheurs ont utilisé des harmoniques sphériques (spherical harmonics) et des B-splines (B-splines) pour paramétrer le modèle, aboutissant finalement à un modèle tridimensionnel d’atténuation incluant le manteau supérieur et inférieur.
2. Principaux résultats
Caractéristiques de l’atténuation dans le manteau supérieur
Dans le manteau supérieur, l’étude a révélé que les zones de forte atténuation sont fortement corrélées aux zones de faible vitesse des ondes, indiquant que ces zones sont principalement dominées par une origine thermique. Par exemple, le manteau sous les dorsales médio-océaniques (mid-ocean ridges) présente une forte atténuation et une faible vitesse des ondes, ce qui est cohérent avec les résultats d’études précédentes. Ces résultats suggèrent que l’atténuation dans le manteau supérieur est principalement pilotée par les variations de température.
Caractéristiques de l’atténuation dans le manteau inférieur
Dans le manteau inférieur, l’étude a révélé un phénomène inverse à celui du manteau supérieur : les zones de forte atténuation se trouvent dans la région circum-pacifique (circum-Pacific region), où la vitesse des ondes sismiques est élevée. En revanche, les grandes provinces à faible vitesse de cisaillement (LLSVPs, Large Low Shear Velocity Provinces) présentent une faible atténuation. En comparant avec des données de laboratoire, les chercheurs ont émis l’hypothèse que la région circum-pacifique pourrait être une zone plus froide avec des grains de petite taille, tandis que les LLSVPs seraient des zones plus chaudes avec des grains de grande taille.
Modèle de physique minérale
Pour expliquer davantage ces observations, les chercheurs ont utilisé un modèle viscoélastique (viscoelastic model) basé sur des données de laboratoire. Les résultats montrent qu’une augmentation de la température ou une diminution de la taille des grains réduit la vitesse des ondes de cisaillement et augmente l’atténuation. Les caractéristiques de forte atténuation et de haute vitesse des ondes dans la région circum-pacifique peuvent s’expliquer par des températures plus basses et des grains plus petits, tandis que les caractéristiques de faible atténuation et de faible vitesse des ondes dans les LLSVPs peuvent s’expliquer par des températures plus élevées et des grains plus grands.
3. Conclusions et implications
Cette étude a construit pour la première fois un modèle tridimensionnel global de l’atténuation du manteau, révélant des différences significatives entre les caractéristiques d’atténuation du manteau supérieur et inférieur. Les résultats montrent que l’atténuation dans le manteau supérieur est principalement pilotée par les variations de température, tandis que dans le manteau inférieur, l’atténuation est influencée à la fois par la température et la taille des grains. Ces découvertes offrent de nouvelles perspectives pour comprendre l’évolution de la convection mantellique, en particulier le rôle des LLSVPs en tant que “points d’ancrage” (mantle anchors) stables à long terme.
4. Points forts de l’étude
- Modèle tridimensionnel global d’atténuation : Premier modèle tridimensionnel global incluant le manteau supérieur et inférieur, comblant ainsi une lacune dans les recherches existantes.
- Utilisation des modes normaux : La mesure de l’atténuation via les modes normaux sismiques évite les erreurs liées à la redistribution de l’énergie dans les méthodes traditionnelles.
- Intégration de modèles de physique minérale : Grâce aux données de laboratoire et au modèle viscoélastique, l’étude a révélé l’influence de la température et de la taille des grains sur l’atténuation du manteau.
5. Autres informations utiles
L’étude souligne également que la viscosité élevée et la grande taille des grains des LLSVPs en font des structures mantelliques stables à long terme, ce qui pourrait être lié au processus de cristallisation de l’océan magmatique (magma ocean) au début de l’histoire de la Terre. De plus, les caractéristiques de forte atténuation dans la région circum-pacifique pourraient être liées à l’accumulation de plaques en subduction (subducting slabs), qui subissent une transformation de phase (phase transformation) en entrant dans le manteau inférieur, entraînant un réajustement de la taille des grains.
Conclusion
Cette étude, en combinant les modes normaux sismiques et les modèles de physique minérale, a révélé la structure tridimensionnelle de l’atténuation du manteau et ses mécanismes physiques. Ces découvertes approfondissent non seulement notre compréhension de l’évolution de la convection mantellique, mais ouvrent également de nouvelles directions pour les futures recherches en dynamique terrestre.