Ouverture de l'océan Atlantique Nord et élévation des montagnes scandinaves

L’ouverture de l’océan Atlantique Nord et l’élévation des montagnes scandinaves

Contexte académique

Les montagnes scandinaves (Scandes) constituent une caractéristique géomorphologique majeure du nord de l’Europe, mais leur mécanisme de formation est resté longtemps un mystère. Traditionnellement, la formation des montagnes est associée aux limites de convergence des plaques tectoniques. Cependant, les montagnes scandinaves sont situées loin de tout contexte tectonique actif. Ce phénomène a suscité un vif intérêt parmi les scientifiques, en particulier concernant le mécanisme de formation de leur topographie élevée. Bien que la dernière collision continentale dans cette région ait eu lieu il y a environ 420 millions d’années lors de l’orogenèse calédonienne (Caledonian Orogeny), et que le dernier processus géodynamique majeur ait été l’ouverture de l’océan Atlantique Nord il y a environ 55 millions d’années, le lien entre ces événements et la formation des montagnes reste incertain.

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs ont proposé plusieurs modèles, notamment le support dynamique du panache islandais (Icelandic Plume), l’underplating de la croûte inférieure, le délaminage de la croûte inférieure (delamination) et la convection induite par les bords (edge-driven convection). Cependant, les preuves soutenant ces modèles restent insuffisantes, en particulier en ce qui concerne les données détaillées sur la structure de la croûte et du manteau sous les montagnes scandinaves. Par conséquent, cette étude vise à révéler la structure profonde de la région de Fennoscandia grâce à l’analyse des fonctions de réception sismique (seismic receiver function analysis), fournissant ainsi une nouvelle explication à la formation des montagnes scandinaves.

Source de l’article

Cet article a été co-écrit par Anna Makushkina, Benoit Tauzin, Meghan S. Miller, Hrvoje Tkalčić et Hans Thybo. Les auteurs sont affiliés à l’École de recherche en sciences de la Terre de l’Université nationale australienne (Australian National University), à l’Université Claude Bernard Lyon 1 en France, à l’Académie chinoise des sciences géologiques (Chinese Academy of Geological Sciences), à l’Université technique d’Istanbul (Istanbul Technical University) et à l’Université des géosciences de Chine (Wuhan) (China University of Geosciences, Wuhan). L’article a été publié en ligne le 15 octobre 2024 dans la revue Geology, avec le DOI 10.1130/G52735.1.

Méthodologie et résultats

1. Collecte des données et analyse des fonctions de réception sismique

L’équipe de recherche a d’abord collecté des données sismiques à large bande de la région de Fennoscandia, y compris le récent ensemble de données SCANarray. À l’aide de ces données, les chercheurs ont utilisé la technique de superposition des points de conversion communs (common conversion point stacking, CCP stacking) des fonctions de réception (receiver functions, RFs) pour imager la structure profonde de la région. L’analyse des fonctions de réception est une méthode sismologique couramment utilisée pour révéler les structures de la croûte et de l’interface entre la croûte et le manteau.

L’équipe s’est particulièrement concentrée sur les fonctions de réception des conversions S-to-P (onde S en onde P) et P-to-S (onde P en onde S) (SRF et PRF). Bien que les résultats des deux méthodes soient globalement cohérents, les images SRF ont montré plus clairement les limites les plus profondes de la croûte, c’est pourquoi l’analyse s’est principalement basée sur les images SRF.

2. Structure de la croûte de Fennoscandia

Grâce à l’analyse SRF, les chercheurs ont découvert que la structure de la croûte dans la partie ouest de Fennoscandia peut être divisée en trois blocs distincts : le bloc sud (au sud d’environ 63°N), le bloc central (entre environ 63°N et 67°N) et le bloc nord (au nord d’environ 67°N). Chaque bloc présente des caractéristiques crustales uniques :

  • Bloc sud : L’épaisseur de la croûte est d’environ 30 à 45 km, avec une structure relativement simple, principalement composée de terrains et de ceintures orogéniques du Protérozoïque.
  • Bloc nord : L’épaisseur de la croûte est d’environ 40 à 45 km, avec une discontinuité marquée au niveau de la croûte moyenne, principalement composée de terrains archéens, potentiellement remaniés au Paléoprotérozoïque.
  • Bloc central : La structure est plus complexe, avec une épaisseur de croûte variant entre 25 et 60 km, montrant deux discontinuités distinctes (M1 et M2). M1 est située à une profondeur d’environ 25 à 40 km, tandis que M2 se trouve entre 45 et 60 km de profondeur. M2 est considérée comme la continuation de la croûte du bloc nord, représentant potentiellement une structure de croûte empilée.

3. Mécanisme de formation de la structure empilée

Les chercheurs proposent que la structure empilée du bloc central pourrait s’être formée lors d’une collision à la fin du Protérozoïque. Cette structure empilée pourrait résulter de la subduction de la croûte du bloc sud sous celle du bloc nord, préservant ainsi les deux interfaces originales croûte-manteau (M1 et M2). Une autre explication est que la partie supérieure de la croûte empilée a subi une éclogitisation (eclogitization), créant ainsi un fort contraste d’impédance au niveau de l’interface M1.

4. Relation entre l’ouverture de l’Atlantique Nord et la structure de la croûte

L’étude a également révélé que la structure de la croûte de Fennoscandia a eu un impact significatif sur le processus d’ouverture de l’Atlantique Nord. La structure épaisse de la croûte du bloc central pourrait avoir agi comme une barrière mécanique lors de la fragmentation continentale, provoquant un saut dans l’axe de rupture et formant deux systèmes de failles transformantes majeures : la zone de fracture de Jan Mayen (Jan Mayen Fracture Zone) et le système de cisaillement de De Geer (De Geer Megashear System). Cette structure a contrôlé la géométrie de l’ouverture de l’Atlantique Nord et a créé des marches lithosphériques (lithospheric steps) au niveau de la marge continentale.

5. Convection induite par les bords et formation des montagnes

L’étude propose en outre que la topographie élevée des montagnes scandinaves du sud et du nord pourrait être liée à la convection induite par les bords (edge-driven convection) au niveau des marches lithosphériques. Ce mécanisme de convection génère des flux ascendants locaux au niveau des marches abruptes de la croûte continentale, fournissant ainsi une flottabilité dynamique supplémentaire à la croûte et soutenant l’élévation des montagnes. En revanche, la région du plateau continental large du bloc central, où la croûte s’amincit progressivement, manque de ce mécanisme de convection, ce qui explique une topographie relativement plus basse.

Conclusion et signification

Cette étude révèle la structure profonde de la croûte de Fennoscandia grâce à l’analyse des fonctions de réception sismique et propose un nouveau modèle pour expliquer la formation des montagnes scandinaves. Les résultats montrent que la topographie élevée des montagnes scandinaves n’est pas soutenue par une racine crustale (crustal root), mais plutôt par un mécanisme de convection induite par les bords. Cette découverte fournit non seulement une nouvelle explication à la formation des montagnes scandinaves, mais offre également un cadre de référence pour comprendre les mécanismes de formation des topographies élevées sur d’autres marges continentales passives à travers le monde.

Points forts de l’étude

  1. Nouvelle structure de croûte empilée : L’étude révèle pour la première fois la structure empilée de la croûte du bloc central de Fennoscandia et propose deux mécanismes possibles pour sa formation.
  2. Rôle de la convection induite par les bords : L’étude relie pour la première fois le mécanisme de convection induite par les bords à la formation des montagnes scandinaves, offrant une nouvelle explication pour les topographies élevées des marges continentales passives.
  3. Facteurs contrôlant l’ouverture de l’Atlantique Nord : L’étude met en lumière l’influence de la structure de la croûte de Fennoscandia sur le processus d’ouverture de l’Atlantique Nord, fournissant une nouvelle perspective sur la géométrie de la fragmentation continentale.

Autres informations utiles

L’étude a également validé l’impact des structures crustales épaisses sur le processus de fragmentation continentale grâce à des expériences analogiques (analogue modeling), soutenant davantage les conclusions de l’étude. De plus, l’équipe de recherche a fourni des matériaux supplémentaires détaillés, incluant des profils sismiques supplémentaires et des méthodes d’analyse des données, pour référence par d’autres chercheurs.

Cette étude résout non seulement l’énigme de longue date de la formation des montagnes scandinaves, mais fournit également un soutien théorique important pour comprendre les mécanismes de formation de reliefs similaires à travers le monde.