Comparer les préférences économiques basées sur l'expérience et la description dans 11 pays
Comparaison des expériences et des préférences économiques fondamentales de 11 pays
Contexte et motivation
Des recherches récentes montrent que l’encodage de la valeur des récompenses chez l’humain dépend fortement du contexte, ce qui peut parfois conduire à des décisions sous-optimales. Cependant, il n’est pas clair si cette limitation computationnelle est une caractéristique universelle de la cognition humaine. Dans cette étude, les auteurs examinent le comportement de 561 individus de 11 pays (Argentine, Iran, Russie, Japon, Chine, Inde, Israël, Chili, Maroc, France et États-Unis) pour explorer si la dépendance contextuelle de l’encodage de la valeur des récompenses est une caractéristique cohérente de la cognition humaine.
Source de l’étude
Cette étude a été réalisée en collaboration par Hernán Anlló, Sophie Bavard, Fatimaezzahra Benmarrakchi, Darla Bonagura et plusieurs autres chercheurs issus d’institutions académiques internationales de renom, y compris l’École normale supérieure de Paris et l’université de Waseda. Les résultats de la recherche ont été publiés dans la revue Nature Human Behaviour. L’article a été accepté le 19 avril 2024.
Méthodologie de l’étude
Conception de l’expérience comportementale
Tâche d’apprentissage par renforcement (tâche RL) : Cette tâche comprend deux phases - une phase d’apprentissage et une phase de transfert. Dans la phase d’apprentissage, les participants doivent choisir l’une des deux options pour obtenir la plus grande récompense. Chaque option a une probabilité de récompense différente, et les participants doivent apprendre progressivement la valeur de chaque option au fil des essais. La phase de transfert consiste à recombiner les options apprises en de nouveaux contextes décisionnels, mais sans fournir d’informations de rétroaction.
Tâche de décision descriptive (tâche Lottery) : Cette tâche implique de choisir entre des options avec des probabilités et des valeurs de récompense connues, correspondant à la phase de transfert de la tâche RL. Les participants doivent choisir entre des récompenses de haute ou de faible valeur dans différentes probabilités.
Questionnaire : Après avoir terminé les tâches, les participants remplissent une série de questionnaires pour recueillir des données sur leurs caractéristiques socio-économiques, culturelles et cognitives.
Méthodes d’analyse des données
L’étude utilise des modèles linéaires mixtes généralisés pour analyser les données, en se concentrant principalement sur le taux de choix correct en tant que variable dépendante. Pour quantifier les stratégies décisionnelles observées, un modèle basé sur la mise à l’échelle subjective des résultats est utilisé pour formaliser le comportement de choix.
Caractéristiques des participants et critères de sélection
L’étude sélectionne des participants issus de divers contextes socio-économiques et culturels afin d’assurer une large représentativité de l’échantillon. Les critères de sélection incluent : être citoyen du pays cible, résider dans le pays cible, avoir au moins une éducation de base et être de langue maternelle officielle du pays cible.
Principales découvertes
Tâche RL expérimentale
- Phase d’apprentissage : Les participants de différents pays montrent un taux de choix correct moyen significativement supérieur au niveau aléatoire dans divers contextes décisionnels, indiquant que tous les participants peuvent apprendre efficacement. Cependant, aucun effet de magnitude significatif n’a été observé, c’est-à-dire que les différences de valeur espérée entre les contextes décisionnels n’ont pas eu d’effet statistiquement significatif sur la performance d’apprentissage.
- Phase de transfert : Dans cette phase, les participants de différents pays montrent, dans certains contextes, des comportements de choix sous-optimaux similaires voire cohérents, démontrant davantage que la dépendance contextuelle est une caractéristique universelle de la cognition humaine.
Tâche descriptive Lottery
- Préférence pour le risque : Le comportement d’aversion au risque des participants varie significativement entre les pays. Avec l’augmentation du risque, la proportion de choix de l’option de haute valeur diminue dans tous les pays, mais le degré de cet effet diffère significativement entre les pays.
- Comparaison des choix descriptifs et des choix RL : Dans des contextes décisionnels similaires, l’aversion au risque ne peut expliquer le phénomène d’inversion de préférence observé dans la tâche RL, indiquant des différences significatives entre les décisions descriptives et expérimentales à travers les cultures.
Résultats computationnels
- Paramètre d’échelle (ν) : Les paramètres d’échelle des tâches RL et Lottery montrent une stabilité interculturelle différente. Le paramètre d’échelle de la tâche RL ne diffère pas significativement entre les pays, alors que celui de la tâche Lottery présente des différences significatives entre les pays.
Conclusion
La conclusion clé de cette étude est que la dépendance contextuelle de l’encodage de la valeur des récompenses est une caractéristique cohérente et stable à travers les cultures de la cognition humaine, contrastant avec la sensibilité culturelle des décisions descriptives. Cette découverte apporte de nouvelles preuves à la théorie de l’apprentissage par renforcement et a des implications importantes pour la conception de politiques publiques et d’interventions basées sur les sciences comportementales.
Points forts de l’étude
- Cohérence interculturelle : Indépendamment du statut socio-économique, du niveau d’éducation ou des différences culturelles, les comportements de dépendance contextuelle dans la tâche RL montrent une grande cohérence parmi les participants de tous les pays.
- Distinction entre dépendance contextuelle et aversion au risque : L’aversion au risque ne peut expliquer les comportements de choix sous-optimaux dans la tâche RL, indiquant que ces deux modes décisionnels sont indépendants sur le plan cognitif.
- Validation des modèles computationnels : Un modèle simple de mise à l’échelle subjective des résultats valide les différences interculturelles entre les décisions descriptives et expérimentales, démontrant ainsi l’influence variable des contextes culturels sur les décisions descriptives.
Signification et valeur
Cette étude aide à comprendre les caractéristiques universelles et la stabilité interculturelle de la cognition humaine, contribuant de manière significative à des domaines tels que la psychologie et l’économie comportementale. En particulier, dans la conception de politiques publiques internationales, la stabilité du modèle décisionnel expérientiel suggère que l’on peut s’appuyer davantage sur ces modèles pour des applications et des déploiements plus larges.
Cette recherche fournit une référence importante pour la cohérence interculturelle des comportements décisionnels humains, jetant les bases pour de futures études interculturelles.