Modélisation de la manière et des raisons pour lesquelles l'élimination de la végétation aquatique peut libérer les ménages ruraux des pièges de pauvreté-maladie
Comment l’élimination de la végétation aquatique peut libérer les ménages ruraux des pièges pauvreté-maladie
Contexte académique
Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les populations rurales sont confrontées à une prévalence élevée des maladies infectieuses et à une faible productivité agricole, ce qui entraîne des revenus bas et crée un piège pauvreté-maladie (poverty-disease trap). Ce piège renforce mutuellement la pauvreté et la maladie, rendant difficile leur éradication. En Afrique, les efforts des agriculteurs pour augmenter la production agricole par l’utilisation d’engrais peuvent involontairement favoriser la croissance de la végétation aquatique, qui sert d’habitat aux vecteurs de maladies. La schistosomiase, une maladie parasitaire transmise par des escargots, infecte plus de 200 millions de personnes dans le monde, avec 800 millions de personnes à risque. Les méthodes traditionnelles de contrôle reposent sur des campagnes massives de déparasitage, mais celles-ci ne parviennent pas à éliminer les escargots et les parasites des plans d’eau, entraînant une réinfection rapide.
Des essais sur le terrain ont récemment montré que l’élimination de la végétation aquatique peut réduire significativement les taux d’infection par la schistosomiase, tout en transformant la végétation récoltée en compost pour augmenter la productivité agricole et les revenus. Cependant, cette intervention n’est pas largement mise en œuvre dans la région d’étude du nord du Sénégal. Comprendre pourquoi cette intervention fonctionne et si elle peut devenir une méthode transférable pour aider les ménages à échapper au piège pauvreté-maladie est donc une question centrale.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Molly J. Doruska, Christopher B. Barrett et Jason R. Rohr, respectivement de l’Université Cornell et de l’Université de Notre Dame. Il a été publié le 17 décembre 2024 dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), sous le titre Modeling how and why aquatic vegetation removal can free rural households from poverty-disease traps.
Processus et résultats de la recherche
Processus de recherche
L’étude a développé un modèle bioéconomique (bioeconomic model) qui combine un modèle écologique de la dynamique de l’infection par la schistosomiase avec un modèle microéconomique du comportement des ménages agricoles. Le modèle relie les décisions des ménages en matière d’allocation de la main-d’œuvre, de récolte de la végétation aquatique et d’utilisation d’engrais aux relations entre la production agricole, la pauvreté et la maladie.
Sous-modèle écologique : Ce sous-modèle décrit les interactions entre les populations de schistosomes, de végétation aquatique et d’escargots, et relie ces populations aux infections humaines. Le modèle suit la dynamique de la végétation aquatique (Ceratophyllum), des escargots, des larves de schistosomes (miracidia et cercariae) ainsi que des populations humaines infectées et sensibles.
Sous-modèle des ménages agricoles : Ce sous-modèle décrit comment les ménages allouent leurs terres, leur main-d’œuvre et leurs revenus pour maximiser leur utilité. Les ménages augmentent leur productivité agricole en produisant des aliments, en récoltant la végétation aquatique et en la transformant en compost. Le modèle suppose que les ménages ne peuvent pas contrôler entièrement les décisions de tous leurs membres, par exemple, les parents ne peuvent pas empêcher complètement leurs enfants de se baigner dans les plans d’eau, de sorte que la dynamique écologique échappe au contrôle des ménages.
Liaison des modèles : Le sous-modèle écologique et le sous-modèle des ménages sont connectés via l’état d’infection des ménages et leur utilisation d’engrais. L’état d’infection affecte directement la disponibilité de la main-d’œuvre et les revenus des ménages, tandis que l’utilisation d’engrais influence la croissance de la végétation aquatique par le ruissellement.
Principaux résultats
Effet de l’élimination de la végétation aquatique : Lorsque les ménages ne récoltent pas la végétation aquatique, celle-ci reste à un niveau élevé, favorisant la croissance des populations d’escargots et maintenant des taux d’infection élevés. Les taux d’infection élevés limitent la disponibilité de la main-d’œuvre, entraînant des revenus bas et un piège pauvreté-maladie. Cependant, lorsque les ménages commencent à récolter la végétation aquatique, le niveau de végétation diminue significativement, réduisant les taux d’infection, en particulier pour les ménages pauvres avec peu de terres. Cette intervention réduit l’habitat des escargots et augmente l’utilisation de compost, améliorant ainsi la productivité agricole et les revenus.
Impact de l’utilisation d’engrais : L’utilisation d’engrais augmente la production agricole, mais elle favorise également la croissance de la végétation aquatique par le ruissellement, augmentant indirectement le risque d’infection. Le modèle montre que l’utilisation d’engrais est négativement corrélée aux taux d’infection, les taux d’infection élevés entraînant une réduction de l’utilisation d’engrais. Cela suggère qu’il est nécessaire de trouver un équilibre entre le développement agricole et le contrôle des maladies pour briser le piège pauvreté-maladie.
Analyse de sensibilité : Le modèle a été testé pour sa sensibilité à divers paramètres, tels que l’effet du ruissellement des engrais sur la croissance de la végétation, le taux de recolonisation de la végétation, le taux de croissance de la végétation et le prix des engrais. Les résultats montrent que les conclusions principales du modèle sont robustes à différentes valeurs de paramètres, indiquant que l’élimination de la végétation aquatique a des avantages économiques et sanitaires potentiels dans divers écosystèmes agricoles et conditions de marché.
Conclusion et signification
En combinant un modèle écologique avec un modèle microéconomique, l’étude révèle les mécanismes de formation du piège pauvreté-maladie et montre comment l’élimination de la végétation aquatique peut aider les ménages ruraux à échapper à ce piège en modifiant les interactions entre les systèmes humains et naturels. Les résultats indiquent que l’élimination de la végétation aquatique réduit significativement les taux d’infection par la schistosomiase tout en augmentant la productivité agricole grâce à l’utilisation de compost, augmentant ainsi les revenus des ménages.
Valeur scientifique et applicative
Cette recherche fournit un cadre théorique pour comprendre les bases structurelles du piège pauvreté-maladie et offre des bases pour concevoir des interventions basées sur les écosystèmes. Les résultats montrent que l’élimination de la végétation aquatique est une intervention à faible coût et à haut rendement, particulièrement adaptée aux communautés pauvres avec peu de terres. De plus, l’étude souligne l’importance de prendre en compte l’écologie des maladies dans le développement agricole pour éviter d’aggraver involontairement la transmission des maladies.
Points forts de la recherche
- Modèle innovant : L’étude est la première à combiner un modèle écologique avec un modèle microéconomique, offrant un cadre structuré pour comprendre la formation et la rupture du piège pauvreté-maladie.
- Valeur pratique : L’étude démontre que l’élimination de la végétation aquatique, en tant qu’intervention écologique, peut réduire les taux d’infection tout en augmentant la productivité agricole, avec un potentiel d’application large.
- Implications politiques : La recherche fournit des preuves scientifiques pour les décideurs politiques, les leaders communautaires et les agences de développement, suggérant que l’élimination de la végétation aquatique devrait être adoptée comme une mesure efficace de contrôle de la schistosomiase et étendue à d’autres régions similaires.
Autres informations utiles
L’étude a également estimé les bénéfices économiques de l’élimination de la végétation aquatique. En extrapolant les résultats du Sénégal à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, l’étude estime que cette intervention pourrait générer un bénéfice économique annuel de 138,5 millions de dollars pour la région. Cette estimation ne tient compte que des gains directs de productivité et de la réduction des jours de travail perdus pour cause de maladie, sans inclure les bénéfices à long terme sur la santé et l’éducation des enfants. Ainsi, les bénéfices réels pourraient être encore plus élevés.
Cette recherche offre non seulement une nouvelle perspective pour comprendre le piège pauvreté-maladie, mais fournit également des bases scientifiques pour concevoir des interventions efficaces, avec des implications théoriques et pratiques significatives.