Effet d'une échelle de confort comparée à une échelle numérique d'évaluation de la douleur sur la consommation d'opioïdes en unité de soins post-anesthésiques : l'étude COMFORT

Effet d’une échelle de confort par rapport à une échelle numérique d’évaluation de la douleur sur la consommation d’opioïdes en salle de réveil : l’étude COMFORT

Contexte académique

La gestion de la douleur postopératoire est un sujet crucial en anesthésiologie et en médecine intensive. Les outils d’évaluation de la douleur efficaces permettent aux médecins d’optimiser les protocoles d’analgésie postopératoire, de réduire l’utilisation d’opioïdes et ainsi de diminuer les risques d’effets secondaires liés à ces médicaments. Actuellement, les outils les plus couramment utilisés pour évaluer la douleur postopératoire sont l’échelle numérique d’évaluation de la douleur (Numerical Rating Scale, NRS) et l’échelle visuelle analogique (Visual Analogue Scale, VAS). Cependant, ces échelles se concentrent principalement sur l’intensité de la douleur, en négligeant l’expérience émotionnelle et le confort global du patient. Des études récentes ont montré que l’utilisation de termes négatifs (comme “douleur”) pourrait augmenter la perception de la douleur et l’anxiété des patients, tandis qu’une communication positive pourrait améliorer leur confort. Sur cette base, les chercheurs ont proposé d’utiliser une échelle de confort (Comfort Scale) pour remplacer les outils traditionnels d’évaluation de la douleur, afin de réduire la consommation d’opioïdes postopératoires.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Nicolas Fusco, Ludovic Meuret et d’autres chercheurs issus de plusieurs hôpitaux et institutions de recherche français, et publié dans le British Journal of Anaesthesia (en ligne le 7 septembre 2024). L’étude a été soutenue par la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR) et a été menée dans 29 centres dans le cadre d’un essai randomisé contrôlé multicentrique.

Conception et méthodologie de l’étude

Conception de l’étude

Cette étude est un essai prospectif, multicentrique, en groupes parallèles, randomisé par grappes, visant à comparer l’effet de l’utilisation d’une échelle de confort et de la NRS sur la consommation d’opioïdes postopératoires. Au total, 885 patients ont été inclus, et les données de 860 patients ont été analysées. Le critère principal était la consommation d’opioïdes en salle de réveil (PACU), exprimée en équivalent morphine, tandis que les critères secondaires incluaient la douleur postopératoire, les nausées et vomissements, la durée de séjour en PACU et la satisfaction des patients.

Population étudiée

Les participants étaient des patients francophones âgés de plus de 18 ans, programmés pour une chirurgie nécessitant un traitement postopératoire par opioïdes. Les critères d’exclusion comprenaient l’incapacité à comprendre les échelles d’évaluation, l’utilisation chronique d’opioïdes avant l’opération, la dépendance aux opioïdes, les femmes enceintes ou allaitantes, ainsi que les adultes sous protection légale.

Randomisation et interventions

Les 29 centres ont été randomisés en deux groupes : groupe échelle de confort et groupe NRS. Dans le groupe échelle de confort, l’évaluation de la douleur postopératoire était réalisée à l’aide de l’échelle de confort, tandis que dans le groupe NRS, l’évaluation était effectuée avec la NRS traditionnelle. Tous les patients ont été traités selon les protocoles standard de soins postopératoires, incluant la titration de morphine par voie intraveineuse et la prévention des nausées et vomissements postopératoires (PONV).

Collecte et analyse des données

Le critère principal était la consommation d’opioïdes en PACU, et les critères secondaires incluaient le nombre d’épisodes de douleur postopératoire, le nombre d’épisodes de PONV, le temps pour atteindre un score Aldrete ≥ 9 et la satisfaction des patients. Les données ont été analysées à l’aide de modèles mixtes et de régression logistique, en tenant compte de l’effet de la randomisation par grappes.

Résultats de l’étude

Résultats principaux

Les résultats ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative dans la consommation d’opioïdes en PACU entre le groupe échelle de confort et le groupe NRS (médiane [intervalle interquartile] : 0 [0-5] mg vs 0 [0-6] mg ; p=0,2436). La majorité des patients (59 % dans le groupe échelle de confort et 56 % dans le groupe NRS) n’ont pas eu besoin d’opioïdes en PACU.

Résultats secondaires

En ce qui concerne les critères secondaires, aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes en termes de douleur postopératoire, d’épisodes de PONV, de temps pour atteindre un score Aldrete ≥ 9 ou de satisfaction des patients. La consommation d’opioïdes était comparable entre les deux groupes, quel que soit le type de chirurgie.

Discussion et conclusion

Discussion

Bien que l’hypothèse de l’étude était que l’utilisation de l’échelle de confort réduirait la consommation d’opioïdes postopératoires, les résultats n’ont pas soutenu cette hypothèse. Cela pourrait être dû au fait que la consommation d’opioïdes était globalement faible dans l’étude, rendant difficile l’observation de différences significatives entre les groupes. De plus, l’étude a révélé que l’intensité de la douleur postopératoire et le nombre d’épisodes de PONV étaient faibles, ce qui pourrait refléter les améliorations récentes dans la gestion de la douleur postopératoire.

Conclusion

Cette étude montre que l’utilisation d’une échelle de confort pour évaluer la douleur postopératoire ne réduit pas significativement la consommation d’opioïdes. Cependant, les résultats indiquent également que la douleur postopératoire et la consommation d’opioïdes étaient faibles dans les deux groupes, ce qui pourrait refléter les progrès actuels dans les pratiques cliniques. Les recherches futures devraient se concentrer sur les populations de patients présentant un risque accru de douleur postopératoire et de consommation d’opioïdes.

Points forts de l’étude

  1. Hypothèse novatrice : Cette étude est la première à explorer l’effet de l’utilisation d’une échelle de confort pour remplacer les outils traditionnels d’évaluation de la douleur sur la consommation d’opioïdes postopératoires.
  2. Conception rigoureuse : L’étude a utilisé un design multicentrique randomisé contrôlé, assurant la fiabilité et la généralisabilité des résultats.
  3. Amélioration de la gestion de la douleur postopératoire : Les résultats montrent que la douleur postopératoire et la consommation d’opioïdes étaient globalement faibles, reflétant les progrès récents dans ce domaine.

Signification et valeur de l’étude

Cette étude offre une nouvelle perspective sur la gestion de la douleur postopératoire. Bien que l’échelle de confort n’ait pas réduit significativement la consommation d’opioïdes, elle souligne l’importance d’une communication positive dans les soins postopératoires. Les recherches futures devraient explorer comment mieux appliquer les techniques de communication positive dans les soins postopératoires pour réduire la perception de la douleur et l’utilisation d’opioïdes.