Première datation d'un surcreusement glaciaire du Chibanien précoce (Pléistocène moyen) dans l'avant-pays alpin utilisant la méthode 4He/U-Th
Première datation d’une surcreusement glaciaire du Chibanien précoce (Pléistocène moyen) dans l’avant-pays alpin utilisant la méthode 4He/U-Th
Contexte académique
Les surcreusements glaciaires (glacial overdeepenings) sont des vallées profondes formées par l’érosion glaciaire, généralement remplies de sédiments glaciaires. Ces sédiments enregistrent l’histoire des activités glaciaires et sont essentiels pour comprendre l’expansion et le retrait des glaciers au Pléistocène. Cependant, en raison du manque de méthodes de datation fiables, l’âge de ces sédiments a toujours été difficile à déterminer avec précision. Les méthodes traditionnelles de datation au carbone 14 (14C) ne sont applicables qu’aux sédiments relativement jeunes (généralement moins de 50 000 ans), tandis que d’autres méthodes comme la datation par les séries de l’uranium (U-Th) sont limitées dans leur application aux sédiments glaciaires.
Pour résoudre ce problème, les chercheurs ont développé la méthode de datation 4He/U-Th. Cette méthode permet de déterminer l’âge des sédiments en mesurant l’accumulation d’hélium radioactif (4He) dans l’eau interstitielle des sédiments. Le 4He est produit par la désintégration de l’uranium (U) et du thorium (Th) présents dans les sédiments, et son temps d’accumulation peut refléter l’âge des sédiments. Cette méthode est particulièrement adaptée aux sédiments à faible perméabilité, car ces derniers peuvent efficacement préserver le 4He dans l’eau interstitielle.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Yama Tomonaga, Marius W. Buechi, Gaudenz Deplazes et Rolf Kipfer, issus respectivement de l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau (Eawag), de l’Université de Bâle, de l’Université de Berne et de la Coopérative nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Nagra). L’article a été accepté le 4 octobre 2024 et publié dans la revue Geology, avec le DOI 10.1130/G52544.1.
Déroulement de l’étude
1. Site d’étude et échantillonnage
Le site d’étude est situé au point de forage de Hochfelden-Strassberg (8.507°E, 47.529°N), au nord de Zurich, en Suisse. Cette région a été recouverte à plusieurs reprises par des glaciers au cours du Pléistocène, formant plusieurs surcreusements glaciaires. Les chercheurs ont prélevé 28 échantillons de sédiments et un échantillon d’eau souterraine à partir d’un forage de 278 mètres de long.
2. Application de la méthode 4He/U-Th
Le cœur de la méthode 4He/U-Th consiste à déterminer l’âge des sédiments en mesurant la concentration de 4He dans l’eau interstitielle. Les étapes spécifiques sont les suivantes : - Mesure de la concentration de 4He : Utilisation de la spectrométrie de masse statique (static mass spectrometry) et de la spectrométrie de masse portable (portable mass spectrometry) pour mesurer la concentration de 4He dans l’eau interstitielle. - Mesure des concentrations d’uranium et de thorium : Détermination des concentrations d’uranium et de thorium dans les sédiments par spectrométrie gamma (γ-spectrometry). - Calcul de l’âge 4He : Calcul du temps d’accumulation du 4He, c’est-à-dire l’âge des sédiments, en fonction de la concentration de 4He, des concentrations d’uranium et de thorium, ainsi que de la porosité et de la densité des sédiments.
3. Traitement et analyse des données
Les chercheurs ont effectué une analyse détaillée des échantillons collectés, comprenant : - Concentration de 4He dans l’eau interstitielle : Les mesures par spectrométrie de masse statique et portable ont montré que la concentration de 4He était élevée dans les sédiments entre 40 et 140 mètres, indiquant que ces sédiments sont plus anciens. - Concentrations d’uranium et de thorium : Les concentrations d’uranium et de thorium dans les sédiments étaient relativement uniformes, avec des moyennes respectives de 2 ppm et 5 ppm. - Calcul de l’âge 4He : Sur la base des concentrations de 4He, d’uranium et de thorium, l’âge des sédiments entre 40 et 140 mètres a été calculé à 606 ± 122 ka (milliers d’années).
Résultats principaux
1. Distribution de la concentration de 4He
Les résultats montrent que la concentration de 4He est élevée dans les sédiments entre 40 et 140 mètres, indiquant que ces sédiments sont plus anciens. En revanche, la concentration de 4He est plus faible dans les sédiments en dessous de 140 mètres, suggérant que ces derniers sont plus récents.
2. Âge des sédiments
Grâce à la méthode 4He/U-Th, les chercheurs ont déterminé que les sédiments entre 40 et 140 mètres ont un âge de 606 ± 122 ka. Ce résultat indique que ces sédiments se sont formés au début du Chibanien (Pléistocène moyen), bien avant le dernier maximum glaciaire (Last Glacial Maximum, LGM).
3. Histoire des activités glaciaires
Les résultats suggèrent que l’avant-pays alpin a connu une expansion et une érosion glaciaire à grande échelle au début du Chibanien, formant plusieurs surcreusements glaciaires. Ces vallées ont été rapidement remplies de sédiments après le retrait des glaciers, formant les dépôts actuels.
Conclusions et signification
1. Valeur scientifique
Cette étude est la première à utiliser avec succès la méthode 4He/U-Th pour dater les surcreusements glaciaires de l’avant-pays alpin, offrant ainsi un nouvel outil pour comprendre l’histoire des activités glaciaires au Pléistocène. Cette méthode est particulièrement adaptée aux sédiments à faible perméabilité et peut couvrir une plage de temps de plusieurs millions d’années, comblant ainsi les lacunes des méthodes de datation traditionnelles.
2. Valeur pratique
La méthode 4He/U-Th peut non seulement être utilisée pour dater les sédiments glaciaires, mais aussi pour d’autres types de sédiments à faible perméabilité, tels que les sédiments lacustres et les sédiments marins profonds. Cela offre aux géologues un outil puissant pour étudier les événements majeurs de l’histoire de la Terre.
3. Points forts de l’étude
- Méthode innovante : La méthode 4He/U-Th est une nouvelle approche de datation, particulièrement adaptée aux sédiments à faible perméabilité.
- Découverte importante : Les résultats montrent que l’avant-pays alpin a connu une expansion et une érosion glaciaire à grande échelle au début du Chibanien, une découverte cruciale pour comprendre l’histoire des activités glaciaires au Pléistocène.
- Perspectives d’application étendues : Cette méthode peut être appliquée à d’autres types de sédiments à faible perméabilité, offrant des perspectives d’application vastes.
Autres informations utiles
L’étude a également révélé que les sédiments dans les surcreusements glaciaires ont été bien préservés lors des activités glaciaires ultérieures, fournissant ainsi un enregistrement sédimentaire riche pour étudier l’histoire des activités glaciaires au Pléistocène. De plus, l’étude a mis en lumière les changements morphologiques de l’avant-pays alpin au début du Chibanien, offrant de nouveaux indices pour comprendre l’évolution géologique de cette région.
Cette étude fournit non seulement une nouvelle méthode pour dater les sédiments glaciaires, mais aussi des bases scientifiques importantes pour comprendre l’histoire des activités glaciaires au Pléistocène.