Glace glaciaire du Pléistocène inférieur préservée dans le pergélisol dans l'Arctique canadien oriental
Découverte de glace glaciaire du Pléistocène inférieur préservée dans le pergélisol de l’Arctique canadien oriental
Contexte académique
Le pergélisol (permafrost) est une archive paléoenvironnementale cruciale sur Terre, capable de préserver des fossiles, des restes végétaux, des matières organiques et même de l’ADN ancien. Récemment, les scientifiques ont découvert que la préservation de la glace glaciaire dans le pergélisol peut fournir des indices importants sur la configuration des anciens glaciers, leur stabilité et les écosystèmes passés. Cependant, bien que de nombreuses études aient été menées sur le pergélisol et la glace souterraine du Pléistocène supérieur dans l’Arctique, les rapports sur la glace glaciaire du Pléistocène inférieur sont extrêmement rares. Cette lacune limite notre compréhension des activités glaciaires plus anciennes dans la région arctique.
L’île de Bylot (Bylot Island), située dans l’est de l’Arctique canadien, est un site de recherche important où les plateaux conservent des dépôts glaciaires de plusieurs périodes glaciaires. Cependant, les preuves d’activités glaciaires du Pléistocène inférieur dans cette région manquaient jusqu’à présent. Cette étude vise à révéler, à travers des approches multidisciplinaires, l’origine, l’âge et la signification paléoenvironnementale de la glace glaciaire du Pléistocène inférieur préservée dans le pergélisol de l’île de Bylot.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Stéphanie Coulombe et ses collègues, issus du Centre de connaissances polaires du gouvernement canadien (Polar Knowledge Canada), de l’Université de Montréal (Université de Montréal), de l’Université Laval (Université Laval), de l’Université d’Ottawa (University of Ottawa) et de l’Université du Québec à Rimouski (Université du Québec à Rimouski). L’article a été publié en ligne le 3 octobre 2024 dans la revue Geology, sous le titre Early Pleistocene glacier ice preserved in permafrost in the eastern Canadian Arctic.
Méthodologie de recherche
1. Site d’étude et collecte d’échantillons
Le site d’étude est situé sur un plateau du sud-ouest de l’île de Bylot (à environ 500 mètres d’altitude). Les chercheurs ont découvert deux corps de glace souterraine massive (BGI-1 et BGI-2) dans les parois de glissements de terrain thermokarstiques (thaw slumps) au bord du plateau. Le corps de glace BGI-2 a été exposé en 2009, et des échantillons de cristallographie de la glace ont été prélevés ; le corps de glace BGI-1 a été échantillonné en 2011, avec trois carottes de glace collectées.
2. Détermination de l’origine et de l’âge de la glace
Pour déterminer l’origine et l’âge de la glace, les chercheurs ont utilisé plusieurs méthodes d’analyse : - Analyse de la structure de la glace : La cristallographie, la distribution des sédiments dans la glace et les contacts entre la glace et les sédiments environnants ont permis de comprendre le mécanisme de formation de la glace. - Analyse isotopique : Les valeurs de δ18O et δD dans la glace ont été mesurées pour déduire les conditions environnementales de formation. - Analyse des sédiments : La distribution granulométrique, les diatomées et les assemblages polliniques des sédiments recouvrant la glace ont été analysés pour déterminer l’environnement de dépôt. - Datation au carbone 14 : Le carbone organique dissous (DOC) dans la glace et les coquilles marines dans les sédiments sus-jacents ont été datés au carbone 14. - Mesures paléomagnétiques : Des mesures paléomagnétiques ont été effectuées sur les sédiments sus-jacents pour déterminer leur âge.
3. Résultats et discussion
Origine glaciaire de la glace
La glace présente une structure stratifiée, avec des couches alternées de glace riche et pauvre en débris. Des structures de glace suspendue, des blocs erratiques de la taille de graviers et des couches millimétriques de limon ont également été observées. Ces caractéristiques sont similaires à celles des couches de glace des glaciers contemporains, suggérant une origine glaciaire. De plus, les valeurs de δ18O dans la glace sont faibles, ce qui renforce l’hypothèse d’une origine glaciaire.
Âge de la glace
Les sédiments recouvrant la glace montrent une inversion de polarité paléomagnétique normale-inversée-normale, indiquant un âge d’au moins 0,773 million d’années (Ma). La datation au carbone 14 du DOC dans la glace a donné un âge de 39 435 ± 1 810 ans, mais en raison de la contamination par du DOC moderne, les chercheurs estiment que l’âge réel de la glace est probablement plus ancien. En combinant les données paléomagnétiques, les chercheurs concluent que la glace a au moins 0,773 Ma, voire plus.
Mécanismes de préservation à long terme
La préservation de la glace à travers plusieurs glaciations suggère que les plateaux étaient probablement recouverts de glace à base froide (cold-based ice) pendant les périodes glaciaires, ce qui a protégé les dépôts glaciaires plus anciens. De plus, les conditions de pergélisol sur les plateaux (température moyenne du sol de -11°C entre 2001 et 2022) et l’épaisseur des sédiments sus-jacents (environ 3 mètres) ont également favorisé la préservation à long terme de la glace.
Conclusion de l’étude
Cette étude, à travers une approche multidisciplinaire, a permis de découvrir pour la première fois des preuves de la préservation de glace glaciaire du Pléistocène inférieur dans le pergélisol de l’île de Bylot. Cette glace, datant d’au moins 0,773 Ma, voire plus, est la plus ancienne glace glaciaire connue dans l’Arctique. Cette découverte révèle non seulement les activités glaciaires de l’île de Bylot au Pléistocène inférieur, mais fournit également des indices importants pour étudier les changements climatiques et environnementaux passés dans l’Arctique.
Points forts de l’étude
- Découverte scientifique majeure : Cette étude est la première à fournir des preuves de la préservation de glace glaciaire du Pléistocène inférieur dans le pergélisol arctique, comblant une lacune dans la recherche sur les activités glaciaires de cette période.
- Combinaison de méthodes multidisciplinaires : L’étude a utilisé la cristallographie, l’analyse isotopique, l’analyse des sédiments, la datation au carbone 14 et les mesures paléomagnétiques pour fournir des preuves solides sur l’origine et l’âge de la glace.
- Révélation des mécanismes de préservation à long terme : L’étude a mis en lumière le rôle protecteur de la glace à base froide et l’importance des conditions de pergélisol pour la préservation de la glace.
- Alerte sur les changements climatiques : Avec le réchauffement climatique, cette ancienne glace glaciaire est menacée de fonte, rappelant l’importance de surveiller la stabilité du pergélisol arctique et sa réponse aux changements climatiques globaux.
Valeur de l’étude
Cette recherche fournit non seulement de nouvelles preuves sur les activités glaciaires du Pléistocène inférieur dans l’Arctique, mais offre également des références importantes pour comprendre les mécanismes de réponse du pergélisol aux changements climatiques. De plus, les résultats soulignent que, avec le réchauffement climatique global, le pergélisol et la glace glaciaire de l’Arctique sont confrontés à un risque sérieux de dégradation, ce qui pourrait avoir des impacts profonds sur le système climatique mondial et les écosystèmes.