Le Facteur de Coagulation X Favorise la Résistance au Traitement par Privation d'Androgènes dans le Cancer de la Prostate
Rôle du facteur X de coagulation dans la résistance au traitement antiandrogénique du cancer de la prostate
Contexte de l’étude
Le cancer de la prostate (PCa) est le deuxième cancer le plus fréquent chez les hommes dans le monde et est l’une des principales causes de décès par cancer. Le développement et la progression du cancer de la prostate dépendent fortement de la voie de signalisation du récepteur des androgènes (AR). Ces dernières années, plusieurs inhibiteurs de signalisation AR (ARSI) ont été développés pour le traitement du cancer de la prostate. Cependant, bien que le traitement initial soit efficace, la plupart des patients finissent par développer un cancer de la prostate résistant à la castration métastatique (CRPC), qui ne répond pas bien aux traitements immunothérapeutiques traditionnels. La formation du CRPC est souvent accompagnée de l’accumulation de cellules suppressives d’origine myéloïde (MDSC) et d’une inflammation chronique, présentant une tendance à l’hypercoagulation. Cependant, il n’est pas clair si les facteurs de coagulation participent directement à la prolifération tumorale. Cette étude vise à révéler le rôle du facteur de coagulation X (Factor X, FX) dans le microenvironnement tumoral du cancer de la prostate sur la prolifération cellulaire CRPC et la formation de résistance.
Aperçu de l’étude
Cette étude a été réalisée par Bianca Calì, Martina Troiani, Andrea Alimonti et d’autres chercheurs des instituts suisses Institute of Oncology Research et Università della Svizzera Italiana. Les résultats ont été publiés en octobre 2024 dans la revue “Cancer Cell”. L’étude utilise le séquençage RNA unicellulaire (scRNA-seq) pour analyser le microenvironnement tumoral dans un modèle murin CRPC, révélant que les neutrophiles immunosuppresseurs (PMN-MDSC) sont une source majeure de FX. Ce facteur, à travers l’activation du récepteur activé par protéase 2 (PAR2) et de la voie ERK1/2 dans les cellules de cancer de la prostate, favorise la prolifération et la formation de résistance du cancer indépendant des androgènes. Cette étude propose de nouvelles cibles potentielles pour le traitement du CRPC.
Méthodes et processus de recherche
1. Processus de recherche et traitement des échantillons
Les auteurs ont utilisé deux modèles murins CRPC : un modèle avec délétion du gène PTEN (Pten^pc-/-) et une lignée cellulaire TRAMP-C1 dérivée du modèle murin d’adénocarcinome transgénique (TRAMP). Les chercheurs ont créé des tumeurs dans les deux modèles, sensibles aux androgènes (HS) et résistantes (CR). Pour identifier les neutrophiles infiltrant la tumeur, l’étude a utilisé le scRNA-seq et comparé les caractéristiques d’expression génique de ces cellules avec les PMN-MDSC via l’analyse de réduction dimensionnelle Uniform Manifold Approximation and Projection (UMAP).
2. Identification et analyse d’expression des facteurs de coagulation
L’analyse différentielle de l’expression des gènes a révélé une surexpression significative de FX dans les neutrophiles immunosuppresseurs (PMNs) parmi les deux modèles murins. Dans l’étape de résistance, l’expression de FX dans les PMNs augmente davantage. L’activation de FX dépend du facteur tissulaire (TF) et du FVII exprimés dans le microenvironnement tumoral, formant ensuite le FX activé (FXa) qui favorise la prolifération des cellules tumorales. De plus, l’étude montre que les neutrophiles exprimant FX résistent encore aux traitements inhibiteurs de CXCR2 et aux anticorps anti-IL-23, indiquant une faible sensibilité de ces PMNs aux inhibiteurs de CXCR2.
3. Expériences fonctionnelles in vitro et in vivo
Les expériences in vitro montrent que l’ajout de FXa recombinant augmente significativement le taux de prolifération dans les cellules cancéreuses de la prostate en conditions de culture avec privation d’androgènes. L’analyse de Western blot révèle que FXa active la voie de signalisation ERK1/2 dans les cellules cancéreuses de la prostate, et cette phosphorylation est bloquée par les antagonistes spécifiques de PAR2, AZ3451 et ENMD-1068, confirmant que FXa stimule la prolifération cellulaire via PAR2. En outre, des expériences in vivo montrent que la suppression du gène FX inhibe significativement la croissance tumorale dans les modèles murins, indiquant l’importance de FX dans le CRPC.
4. Expérimentations sur le médicament : Application d’inhibiteurs de FX
L’étude a également évalué l’effet anticancéreux de l’inhibiteur de FXa, la Rivaroxaban. Les résultats montrent que dans le modèle murin CRPC soumis à la privation d’androgènes et au traitement par Enzalutamide, la Rivaroxaban réduit significativement le taux de prolifération tumorale, inhibe l’activité de la voie ERK et renforce l’efficacité de l’Enzalutamide. L’analyse pathologique démontre que les tumeurs dans le groupe de traitement combiné présentent moins de cellules Ki-67 positives et une activité proliférative réduite, prouvant ainsi la valeur potentielle de l’application clinique des inhibiteurs de FXa dans le CRPC.
Résultats de l’étude
1. Expression et fonction de FX dans le CRPC
L’étude révèle que, dans le microenvironnement tumoral du cancer de la prostate, les neutrophiles immunosuppresseurs (PMNs) sont une source principale de FX. L’activation de FX ne passe pas par la voie classique de la coagulation, mais opère via la signalisation médiée par PAR2, favorisant la prolifération des cellules cancéreuses de la prostate et la formation de résistance. En conditions de privation d’androgènes, l’activation de FXa stimule considérablement la prolifération des cellules tumorales et l’activation de ERK1/2.
2. Rôle clé de PAR2
PAR2, en tant que récepteur couplé à la protéine G, participe à la signalisation conduisant à la prolifération des cellules cancéreuses médiée par FXa. L’étude constate que l’expression de PAR2 dans les cellules cancéreuses de la prostate est significativement plus élevée que dans les tissus normaux. Avec la progression du cancer, le niveau d’expression de PAR2 augmente significativement, ce qui souligne le rôle clé de PAR2 dans le CRPC. Le ciblage de la signalisation PAR2 inhibe efficacement l’activité de ERK1/2, réduisant ainsi la prolifération cellulaire.
3. Expression de FX et de CD84 dans les neutrophiles immunosuppresseurs et pronostic de la maladie
Chez les patients atteints de CRPC, les PMNs CD84+ expriment des niveaux élevés de FX. Une analyse ultérieure montre que le niveau de FX dans le plasma des patients est positivement corrélé avec le nombre de neutrophiles dans le sang périphérique. Un niveau élevé de FX constitue un facteur de pronostic indépendant de survie plus courte chez les patients CRPC. En outre, une forte expression de CD84 et F10 (gène codant pour FX) dans le tissu tumoral coïncide avec une augmentation de neutrophiles immunosuppresseurs, associée à un mauvais pronostic pour les patients.
Conclusion et signification de l’étude
Cette étude révèle pour la première fois que les neutrophiles immunosuppresseurs (PMNs) dans le microenvironnement tumoral de CRPC constituent une source clé de FX, et que FX favorise la prolifération et la résistance des cellules tumorales par l’activation de la signalisation PAR2. L’étude indique que l’inhibition de l’activité de FXa peut efficacement freiner la prolifération tumorale et améliorer les effets des médicaments antiandrogènes tels que l’Enzalutamide. En outre, l’étude note que CD84, comme marqueur des neutrophiles à haute expression de FX, est significativement associé à un mauvais pronostic chez les patients CRPC, suggérant que CD84 et FX pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques.
Points forts et innovations de l’étude
- Découverte innovante : Elle révèle pour la première fois la fonction non-coagulante de FX dans le CRPC, c’est-à-dire le mécanisme de stimulation de la prolifération des cellules cancéreuses à travers l’activation de PAR2.
- Cibles thérapeutiques potentielles : L’étude démontre que l’inhibition directe de FXa contribue à bloquer la progression du CRPC, renforçant les effets de l’Enzalutamide et offrant de nouvelles cibles médicamenteuses pour le traitement du CRPC.
- Marqueurs pronostiques cliniques : Elle confirme que la présence de neutrophiles immunosuppresseurs CD84+ et FX à haute expression est associée à un mauvais pronostic chez les patients CRPC, fournissant de nouveaux biomarqueurs pour la gestion clinique du CRPC.
Perspectives de recherche
Cette étude offre de nouvelles perspectives pour comprendre les interactions complexes entre les facteurs de coagulation et les cellules immunitaires dans le CRPC, et fournit une base théorique pour le développement de thérapies ciblant FXa. Les recherches futures devraient explorer davantage le potentiel clinique des inhibiteurs de FXa chez les patients CRPC et entreprendre davantage d’essais cliniques pour confirmer les découvertes de cette étude. En outre, explorer le rôle de la voie de signalisation PAR2 dans d’autres types de cancer aurait également une valeur académique importante.
Résumé
Cette recherche a révélé le rôle clé du facteur de coagulation FX dans la résistance au cancer de la prostate, élargissant notre compréhension des interactions entre le système de coagulation et le système immunitaire dans la progression du cancer. Elle propose de nouvelles voies thérapeutiques potentielles pour les patients CRPC échouant aux traitements antiandrogènes et jette les bases pour des stratégies thérapeutiques ciblées sur les neutrophiles immunosuppresseurs.