Compatibilité de la procréation, de la grossesse et de la parentalité précoce chez les chirurgiennes et chirurgiens pendant la formation chirurgicale en Suisse : étude d'enquête nationale
Contexte académique
La formation des chirurgiens est longue et leur emploi du temps est stressant, en particulier pendant les années optimales pour la procréation. Ces facteurs les amènent souvent à renoncer au travail à temps partiel ou à reporter leurs projets de parentalité, ce qui augmente les risques d’infertilité et de complications pendant la grossesse. Après 30 ans, la fécondité des femmes diminue considérablement, le temps nécessaire pour concevoir s’allonge et les taux d’infertilité augmentent. Les femmes enceintes à un âge avancé (35 ans et plus) sont également exposées à des risques plus élevés pendant la grossesse. En Suisse, devenir chirurgien généraliste nécessite au moins 12 ans d’éducation de base, 6 ans d’études médicales et 6 ans de formation en chirurgie. Si l’on se spécialise en chirurgie thoracique, vasculaire ou autre, 4 années supplémentaires sont nécessaires. Cela signifie que la spécialisation des chirurgiens est généralement achevée vers l’âge de 38 ans. Bien que 62 % des diplômés des écoles de médecine en Suisse soient des femmes, elles ne représentent que 40 % des candidats aux examens de chirurgie. L’impact du genre dans le domaine chirurgical attire de plus en plus l’attention, et de nombreuses femmes renoncent à une carrière chirurgicale en raison des conflits entre parentalité et développement professionnel.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Joana Ferreirinha, Markus Weber, Nicolas Attigah et Seraina Faes de l’Hôpital municipal de Zurich (City Hospital Zurich) et publié en 2025 dans le British Journal of Surgery (BJS). L’étude a été présentée pour la première fois lors de la réunion annuelle de la Société suisse des chirurgiens en 2024.
Conception et méthodologie de l’étude
Objectif de l’étude
Cette étude visait à évaluer les défis liés au travail à temps partiel, à la procréation, à la grossesse et à la parentalité précoce chez les jeunes chirurgiens en formation en Suisse, en explorant l’influence des différences de genre sur ces aspects.
Méthodologie
L’étude a utilisé une enquête en ligne anonyme, réalisée via Google Forms auprès de chirurgiens en Suisse. Le questionnaire était disponible en allemand et en français, et la participation était volontaire et non rémunérée. Les questions portaient sur les données démographiques, la formation, le travail à temps partiel, la procréation, l’expérience de la parentalité et la perception de l’influence du genre sur la carrière. Le questionnaire incluait également une définition de l’infertilité (selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé, c’est-à-dire l’incapacité à concevoir après plus de 12 mois d’essais).
Participants
Les participants étaient des chirurgiens suisses ayant terminé leur formation en chirurgie générale ou devant obtenir leur certification dans l’année. Les médecins spécialisés dans d’autres domaines chirurgicaux (comme l’orthopédie ou l’urologie) ont été exclus, à l’exception des chirurgiens vasculaires et thoraciques, qui peuvent être certifiés via une formation en chirurgie générale ou directement. Les adresses e-mail de 680 médecins ont été obtenues via les informations publiques des départements de chirurgie suisses, et le lien de l’enquête a été envoyé en août 2023, avec des rappels en octobre et novembre. Au total, 375 questionnaires ont été complétés, dont 308 répondaient aux critères d’inclusion et ont été utilisés pour l’analyse.
Analyse des données
Les données ont été analysées à l’aide de GraphPad Prism 10. Les variables catégorielles ont été comparées à l’aide du test exact de Fisher ou du test du chi carré, tandis que les variables continues ont été analysées avec le test t ou le test de Mann-Whitney. Tous les tests statistiques étaient bilatéraux, avec un seuil de significativité de p < 0,05.
Résultats de l’étude
Travail à temps partiel
Les chirurgiennes étaient plus susceptibles de travailler à temps partiel (37,6 % contre 18,5 %, p < 0,001) et pour une durée plus longue (5,5 ans en moyenne contre 1,8 an, p < 0,001). La principale raison du travail à temps partiel était le temps consacré à la famille, tandis que les hommes choisissaient plus souvent le temps partiel pour augmenter leurs loisirs ou leur temps de recherche.
Procréation et parentalité
Le taux de natalité des chirurgiennes était significativement plus faible que celui des hommes (44,6 % contre 70,2 %, p < 0,001), et l’âge au premier enfant était plus élevé (35 ans en médiane contre 33,5 ans, p < 0,001). Les femmes reportaient plus souvent la parentalité en raison de leur formation (74,0 % contre 20,3 %, p < 0,001), avaient des taux d’infertilité plus élevés (23 % contre 10,4 %, p = 0,032) et utilisaient plus souvent des technologies de procréation assistée (14,2 % contre 4,3 %, p = 0,009).
Influence du genre sur la carrière
66,9 % des chirurgiennes estimaient que leur genre avait un impact négatif sur leur carrière, contre seulement 6,0 % des hommes (p < 0,001). Les principales préoccupations des femmes interrogées incluaient la discrimination de genre par leurs supérieurs, l’incompatibilité entre travail et parentalité, les horaires de travail défavorables à la grossesse et l’impact négatif du congé maternité sur leur carrière.
Conclusion de l’étude
L’étude montre que les jeunes chirurgiens suisses, en particulier les femmes, rencontrent d’importants défis pour concilier procréation, grossesse et parentalité précoce avec leur formation. Offrir des opportunités professionnelles équitables, améliorer les conditions de travail et promouvoir l’égalité des genres sont essentiels pour garantir la qualité de la formation des futurs chirurgiens.
Points forts de l’étude
- Différences de genre marquées : Les chirurgiennes diffèrent significativement des hommes en ce qui concerne le travail à temps partiel, les taux de natalité et la perception de leur carrière.
- Risques liés à la parentalité tardive : Les chirurgiennes reportent la parentalité en raison de leur formation, ce qui augmente la proportion de grossesses à un âge avancé, les taux d’infertilité et le recours aux technologies de procréation assistée.
- Conflit entre carrière et famille : L’étude révèle l’incompatibilité entre la carrière chirurgicale et la vie familiale, en particulier pour les femmes.
- Recommandations politiques : L’étude appelle à améliorer les conditions de travail et à offrir des horaires plus flexibles pour soutenir le développement professionnel et la vie familiale des chirurgiens.
Importance de l’étude
Cette étude fournit des données empiriques cruciales sur les défis liés à la parentalité et au développement professionnel des chirurgiens en Suisse, soulignant l’importance de l’égalité des genres et du soutien professionnel. Les résultats ont des implications non seulement pour le système de formation chirurgicale en Suisse, mais aussi pour des recherches similaires dans d’autres pays. En améliorant les conditions de travail et les politiques de soutien, il sera possible d’attirer davantage de talents dans le domaine chirurgical et de leur permettre de concilier carrière et vie familiale.
Autres informations pertinentes
L’étude mentionne également que, bien que les chirurgiennes optent plus souvent pour le travail à temps partiel, elles ne nécessitent pas plus de temps que les hommes pour obtenir leur certification. Cela suggère que le travail à temps partiel ne prolonge pas nécessairement la durée de la formation, mais offre plutôt plus de flexibilité aux femmes. En outre, l’étude indique que de nombreux chirurgiens à temps plein souhaitent travailler à temps partiel, mais craignent que cela n’affecte leur carrière, et ne l’ont donc jamais exprimé à leurs supérieurs.
Cette étude met en lumière les défis auxquels sont confrontés les chirurgiens suisses en matière de parentalité et de développement professionnel, tout en fournissant des bases importantes pour l’élaboration de politiques futures et le soutien professionnel.