Cartographie multi-omique de la résistance à la décidualisation chez les patientes ayant des antécédents de prééclampsie sévère

Révélation des mécanismes de résistance à la décidulisation dans l’endomètre chez les patientes ayant souffert d’une pré-éclampsie sévère grâce aux technologies multi-omiques

Contexte académique

La pré-éclampsie (PE) est une complication grave fréquente pendant la grossesse, caractérisée principalement par une hypertension artérielle, une protéinurie et des dysfonctionnements d’autres organes, menaçant gravement la santé de la mère et du fœtus. Parmi ses formes, la pré-éclampsie sévère (Severe Preeclampsia, SPE) est particulièrement dangereuse, pouvant entraîner des risques mortels pour la mère et le fœtus. Bien que les mécanismes exacts de la PE ne soient pas encore complètement élucidés, des études montrent que des défauts de décidulisation de l’endomètre pourraient jouer un rôle clé dans son apparition. La décidulisation désigne les changements fonctionnels qui se produisent dans l’endomètre au début de la grossesse, offrant un soutien à l’implantation embryonnaire et à la formation placentaire. La résistance à la décidulisation (Decidualization Resistance, DR) fait référence à l’incapacité de l’endomètre à accomplir normalement ce processus, conduisant à des échecs de grossesse ou à des complications.

Des recherches antérieures ont montré que la résistance à la décidulisation est liée à diverses maladies gynécologiques et complications de grossesse, comme l’endométriose et les fausses couches récurrentes. Cependant, les mécanismes moléculaires spécifiques de cette résistance dans la pré-éclampsie sévère n’ont pas été entièrement élucidés. Par conséquent, cette étude vise à utiliser des approches multi-omiques pour découvrir les caractéristiques cellulaires et moléculaires de la résistance à la décidulisation chez les patientes atteintes de SPE, fournissant ainsi de nouvelles pistes pour comprendre les mécanismes sous-jacents et proposer des cibles potentielles pour des interventions cliniques futures.

Source de l’article

Cet article a été réalisé par Irene Muñoz-Blat, Raúl Pérez-Moraga, Nerea Castillo-Marco et d’autres scientifiques issus de plusieurs institutions, notamment la Fondation Carlos Simón en Espagne, l’Institut de Recherche en Santé Incliva et l’Université de Californie à San Francisco. L’étude a été publiée en février 2025 dans la revue Nature Medicine, sous le titre “Multi-omics-based mapping of decidualization resistance in patients with a history of severe preeclampsia”.

Méthodologie et résultats de la recherche

1. Conception de l’étude et collecte d’échantillons

L’étude inclut des échantillons provenant de plusieurs cohortes indépendantes, comprenant des patientes ayant souffert de SPE et des témoins ayant eu une grossesse normale. Les échantillons d’endomètre ont été recueillis pendant la phase sécrétoire tardive du cycle menstruel. Voici la répartition spécifique des échantillons :

  • Analyse d’images numériques : 11 patientes SPE et 9 témoins.
  • Séquençage ARN monocellulaire (scRNA-seq) : 11 patientes SPE et 12 témoins.
  • Transcriptomique spatiale : 8 patientes SPE et 8 témoins.
  • Protéomique spatiale : 7 patientes SPE et 10 témoins.

L’étude a d’abord observé les caractéristiques morphologiques de l’endomètre par analyse d’images numériques (coupes colorées H&E), puis a utilisé les techniques scRNA-seq, transcriptomique spatiale et spectrométrie de masse couplée à la microdissection laser (LCM-MS) pour révéler les mécanismes moléculaires de la résistance à la décidulisation à partir de niveaux unicellulaires, spatiaux et protéiques.

2. Analyse d’images numériques

L’étude a d’abord numérisé les coupes d’endomètre colorées H&E et analysé la morphologie des glandes à l’aide du logiciel QuPath. Les résultats ont montré que les orifices des glandes étaient significativement dilatés chez les patientes SPE, avec un diamètre glandulaire plus petit et une augmentation du nombre de cellules épithéliales glandulaires. Ces anomalies morphologiques suggèrent une possible défaillance de la décidulisation dans l’endomètre des patientes SPE.

3. Séquençage ARN monocellulaire (scRNA-seq)

À l’aide de la technique scRNA-seq, l’étude a effectué une analyse transcriptomique monocellulaire des cellules endométriales des patientes SPE et des témoins. Au total, 65 381 cellules de haute qualité ont été analysées, y compris des cellules épithéliales, stromales, endothéliales et immunitaires. Les résultats montrent :

  • Cellules stromales : Les cellules stromales des patientes SPE présentaient un état « en mosaïque », où coexistaient des cellules stromales prolifératives (exprimant MMP11 et SFRP4) et des cellules stromales déciduées (exprimant IGFBP1). Cet état indique un déséquilibre significatif dans le processus de décidulisation des cellules stromales chez les patientes SPE.
  • Cellules épithéliales : Chez les patientes SPE, il y avait une augmentation significative des cellules épithéliales prolifératives et des cellules épithéliales ciliées, tandis que les cellules épithéliales sécrétrices diminuaient. Ce déséquilibre pourrait affecter la fonction sécrétoire de l’endomètre, influençant ainsi l’implantation embryonnaire.
  • Transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) : Le processus EMT était significativement réduit chez les patientes SPE, indiquant un manque de capacité de transformation cellulaire normale pendant la décidulisation.

4. Transcriptomique spatiale

Pour valider davantage les résultats du scRNA-seq, l’étude a utilisé la transcriptomique spatiale pour analyser les tissus endométriaux. Les résultats ont montré que l’endomètre des patientes SPE présentait une expression génique significativement perturbée dans les régions stromales et épithéliales. Par exemple, dans les régions stromales, les gènes associés à l’organisation du cytosquelette (comme TPM1 et MYL9) étaient sous-exprimés, tandis que dans les régions épithéliales, les gènes liés à la prolifération (comme MMP7) étaient sur-exprimés.

5. Protéomique spatiale

Grâce à la technologie LCM-MS, l’étude a procédé à une analyse protéomique des régions épithéliales glandulaires, épithéliales luminales et stromales de l’endomètre. Les résultats ont montré que, dans les régions stromales des patientes SPE, les protéines associées aux voies de signalisation hormonale (telles que STAT3 et ESR1) étaient significativement sur-exprimées, tandis que celles associées à l’organisation de la matrice extracellulaire étaient sous-exprimées. De plus, dans les régions épithéliales glandulaires des patientes SPE, les protéines liées à la survie cellulaire et à la réponse au stress oxydatif augmentaient de manière significative.

Conclusion et signification

Cette étude a révélé de manière exhaustive, grâce aux technologies multi-omiques, les mécanismes moléculaires de la résistance à la décidulisation dans l’endomètre chez les patientes ayant souffert de SPE. Elle a découvert que l’endomètre des patientes SPE présente un déséquilibre marqué entre prolifération et différenciation dans les cellules stromales et épithéliales, et que les voies de signalisation hormonale (notamment les œstrogènes et la progestérone) sont perturbées. Ces découvertes non seulement enrichissent la compréhension des mécanismes pathogéniques de la SPE, mais offrent également des cibles potentielles pour des stratégies d’intervention clinique future.

Points forts de l’étude

  1. Application combinée de technologies multi-omiques : Cette étude est la première à combiner scRNA-seq, transcriptomique spatiale et LCM-MS pour analyser exhaustivement les mécanismes moléculaires de la résistance à la décidulisation.
  2. Révélation d’un déséquilibre entre prolifération et différenciation cellulaire : L’étude a mis en lumière un déséquilibre marqué entre prolifération et différenciation dans les cellules endométriales des patientes SPE, offrant une nouvelle perspective pour comprendre leurs mécanismes pathologiques.
  3. Rôle central des voies de signalisation hormonale : L’étude souligne l’importance cruciale des voies de signalisation des œstrogènes et de la progestérone dans la résistance à la décidulisation, fournissant des indices précieux pour des interventions cliniques futures.

Valeur applicative

Cette étude fournit non seulement de nouvelles perspectives sur les mécanismes pathogéniques de la SPE, mais aussi une référence importante pour les recherches sur d’autres maladies gynécologiques liées à la résistance à la décidulisation (comme l’endométriose et les fausses couches récurrentes). De plus, les biomarqueurs moléculaires découverts pourraient devenir des cibles potentielles pour le diagnostic et le traitement clinique futurs, contribuant à améliorer les issues de grossesse et la santé reproductive féminine.

Autres informations utiles

Les sources d’échantillons de cette étude proviennent de plusieurs cohortes indépendantes, assurant la fiabilité et la généralité des résultats. En outre, l’équipe de recherche a développé un algorithme d’analyse d’images basé sur l’apprentissage profond, fournissant un nouvel outil pour l’analyse quantitative de la morphologie de l’endomètre. L’application de ces technologies et méthodes offre un support technique important pour les recherches futures dans ce domaine.