Films minces de 229ThF4 pour horloges nucléaires à l'état solide

Étude sur les horloges nucléaires à l’état solide basées sur des films minces de 229ThF4

Contexte académique

Les horloges nucléaires (nuclear clocks) sont des étalons de fréquence basés sur les transitions nucléaires, offrant une précision et une stabilité extrêmement élevées. Ces dernières années, les horloges nucléaires basées sur la transition isomérique du thorium-229 (229Th) ont suscité un intérêt considérable. La transition isomérique du 229Th a une énergie d’environ 8,4 électronvolts (eV), située dans la bande ultraviolette sous vide (VUV), ce qui permet une mesure précise par spectroscopie laser. Comparées aux horloges atomiques optiques existantes, les horloges nucléaires basées sur le 229Th offrent une robustesse accrue et des performances potentiellement supérieures, et peuvent être utilisées pour tester des phénomènes physiques au-delà du modèle standard.

Cependant, la rareté et la radioactivité du 229Th rendent la croissance et la manipulation de cristaux dopés à haute concentration extrêmement difficiles. Dans les études précédentes, la croissance de cristaux dopés au 229Th nécessitait une quantité importante de matériau, et leur niveau de radioactivité élevé limitait leur application généralisée. Par conséquent, trouver une solution évolutive pour réduire l’utilisation du 229Th et diminuer les risques radiologiques est devenu un défi majeur dans ce domaine.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par une équipe de recherche composée de Chuankun Zhang, Lars von der Wense, Jack F. Doyle, Jacob S. Higgins, Tian Ooi, Hans U. Friebel, Jun Ye, entre autres, issus du JILA, du NIST et de l’Université du Colorado. Il a été publié dans la revue Nature du 19 au 26 décembre 2024, sous le titre “229ThF4 thin films for solid-state nuclear clocks”.

Processus de recherche et résultats

1. Fabrication et caractérisation des films minces de 229ThF4

L’équipe de recherche a utilisé la technique de dépôt physique en phase vapeur (Physical Vapour Deposition, PVD) pour fabriquer des films minces de 229ThF4. La technique PVD permet d’évaporer le matériau à partir d’un creuset chauffé et de le condenser sur un substrat, produisant des films d’une épaisseur de 30 à 100 nanomètres avec seulement quelques microgrammes de 229Th. Ces films sont compatibles avec les plateformes photoniques et les outils de nanofabrication, tout en réduisant considérablement le niveau de radioactivité, jusqu’à trois ordres de grandeur de moins que les cristaux dopés au 229Th traditionnels.

L’équipe a d’abord dissous le 229Th sous forme de nitrate dans de l’eau ultrapure, puis a ajouté un excès d’acide fluorhydrique (HF) pour précipiter le 229ThF4. Le précipité a ensuite été chargé dans un creuset en carbone vitreux et chauffé à plus de 1000°C sous vide pour évaporer et déposer le 229ThF4 sur un substrat. En utilisant un masque en platine (Pt), l’équipe a réussi à fabriquer des films de seulement 50 micromètres de diamètre, réduisant encore davantage la consommation de 229Th.

À l’aide de techniques telles que la microscopie à force atomique (AFM) et la spectroscopie photoélectronique X (XPS), l’équipe a caractérisé en détail les propriétés physiques et chimiques des films. Les résultats ont montré que les films étaient principalement composés de thorium et de fluor, avec une transmission élevée dans l’ultraviolet sous vide, indiquant leur aptitude à la spectroscopie nucléaire.

2. Expériences de spectroscopie laser nucléaire

L’équipe a utilisé un système laser VUV pour réaliser des expériences de spectroscopie laser nucléaire sur les films de 229ThF4. Le laser a été généré par mélange à quatre ondes, avec sa fréquence verrouillée sur une transition à deux photons du xénon (Xe). Le faisceau laser a été dirigé à un angle de 70° sur le film, et le signal de fluorescence a été détecté par des photomultiplicateurs (PMT).

Les résultats ont montré que la fréquence de transition isomérique du 229Th était de 2020406,8(4)stat(30)sys GHz sur un substrat de MgF2, et de 2020409,1(7)stat(30)sys GHz sur un substrat d’Al2O3. Ces résultats sont cohérents avec les mesures précédentes dans des cristaux, confirmant que la transition nucléaire dans les films de 229ThF4 peut être excitée et détectée avec succès.

De plus, l’équipe a mesuré la durée de vie de l’isomère nucléaire, trouvant des valeurs de 150(15)stat(5)sys secondes sur Al2O3 et 153(9)stat(7)sys secondes sur MgF2. Ces durées de vie sont significativement plus courtes que celles mesurées précédemment dans les cristaux de 229Th:CaF2 et 229Th:LiSrAlF6, probablement en raison de l’indice de réfraction élevé des films et des effets de quenching du matériau hôte.

3. Prédiction des performances de l’horloge nucléaire

Sur la base de calculs de théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT), l’équipe a prédit les performances d’une horloge nucléaire basée sur des films de 229ThF4. Les calculs ont montré que le cristal de 229ThF4 contient deux sites de thorium non équivalents, avec des gradients de champ électrique (EFG) et des séparations d’énergie différents. En sélectionnant des transitions nucléaires spécifiques, l’équipe a estimé que l’instabilité fractionnaire de l’horloge pourrait atteindre 5×10^-17 en une seconde, démontrant son potentiel pour des applications en métrologie de précision.

Conclusion et signification

Cette étude a permis de fabriquer avec succès des films minces de 229ThF4 par dépôt physique en phase vapeur, et de réaliser pour la première fois l’excitation laser et la spectroscopie de la transition isomérique du 229Th dans ces films. Ces résultats jettent les bases pour la production à grande échelle d’horloges nucléaires à l’état solide à faible radioactivité et intégrables. Par rapport aux cristaux dopés au 229Th traditionnels, les films de 229ThF4 réduisent non seulement la consommation de matériau, mais aussi les risques radiologiques, ouvrant de nouvelles possibilités pour l’application généralisée des horloges nucléaires.

De plus, la densité élevée d’émetteurs nucléaires dans les films de 229ThF4 offre une nouvelle plateforme pour la recherche en optique quantique, en particulier dans les domaines de la superradiance nucléaire et de la diffusion cohérente vers l’avant. L’équipe a également souligné que des traitements de recuit et de fluoration pourraient améliorer davantage la cristallinité des films et la fraction de participation des transitions nucléaires, augmentant ainsi les performances de l’horloge.

Points forts de la recherche

  1. Innovation matérielle : Utilisation de la technique de dépôt physique en phase vapeur pour fabriquer des films minces de 229ThF4, réduisant considérablement l’utilisation de 229Th et les risques radiologiques.
  2. Percée spectroscopique : Première excitation laser et spectroscopie de la transition isomérique du 229Th dans des films minces, validant leur applicabilité dans les horloges nucléaires.
  3. Prédiction de performance : Prédiction des performances d’une horloge nucléaire basée sur des films de 229ThF4 grâce à des calculs DFT, montrant son potentiel en métrologie de précision.
  4. Plateforme d’optique quantique : La densité élevée d’émetteurs nucléaires dans les films de 229ThF4 offre une nouvelle plateforme pour la recherche en optique quantique, en particulier dans les domaines de la superradiance nucléaire et de la diffusion cohérente vers l’avant.

Résumé

Cette étude, grâce à des techniques innovantes de fabrication de matériaux et à des mesures spectroscopiques précises, a résolu les principaux défis liés à la préparation des matériaux pour les horloges nucléaires au 229Th, ouvrant la voie à la production à grande échelle d’horloges nucléaires à l’état solide à faible radioactivité et intégrables. Ces résultats non seulement font progresser la technologie des horloges nucléaires, mais offrent également une nouvelle plateforme pour la recherche en optique quantique et en métrologie de précision.