Les gouttes oculaires de dexaméthasone topique chronométrées améliorent la fonction mitochondriale pour prévenir la rétinopathie sévère de la prématurité

Contexte académique et problématique

La rétinopathie des prématurés (Retinopathy of Prematurity, ROP) est une maladie neurovasculaire rétinienne courante chez les prématurés, survenant principalement chez ceux dont le développement vasculaire rétinien est incomplet. En raison de l’exposition à un environnement relativement hyperoxique après la naissance, en particulier lors d’un traitement à l’oxygène, l’hyperoxie inhibe le développement normal des vaisseaux rétiniens, entraînant une occlusion vasculaire (vaso-obliteration, VO), suivie de la formation de néovaisseaux pathologiques (neovascularization, NV) dans les zones ischémiques. Cette formation de néovaisseaux constitue la deuxième phase de la ROP (Phase II ROP) et peut entraîner des dommages visuels graves, voire la cécité.

Les traitements actuels de la ROP incluent principalement la photocoagulation au laser et les injections intravitréennes d’anti-VEGF (facteur de croissance endothélial vasculaire). Cependant, ces traitements présentent plusieurs limites : la photocoagulation au laser détruit les zones rétiniennes avasculaires, tandis que le traitement anti-VEGF est non seulement coûteux, mais présente également un risque de récidive des néovaisseaux, et le médicament peut persister longtemps dans la circulation systémique, inhibant le développement vasculaire d’autres organes. Par conséquent, le développement d’une méthode de prévention efficace, économique et sûre est un besoin urgent dans le domaine de la recherche sur la ROP.

La dexaméthasone (Dexamethasone) est un agoniste des glucocorticoïdes, et des études ont montré qu’elle a un certain effet dans l’inhibition de la formation de néovaisseaux rétiniens, mais son mécanisme exact reste flou. De plus, la voie d’administration, le moment et la dose de la dexaméthasone ont un impact significatif sur son efficacité. L’utilisation topique de collyre à la dexaméthasone est accessible mondialement et, comparée au laser et aux injections intravitréennes, son mode d’administration est plus simple. Par conséquent, l’étude du rôle du collyre à la dexaméthasone dans la prévention de la ROP a une importance clinique significative.

Équipe de recherche et informations de publication

Cette étude a été réalisée par des chercheurs de plusieurs institutions internationales renommées, dont les principaux auteurs sont Ann Hellström et Lois E.H. Smith. L’équipe de recherche provient de l’Hôpital pour enfants de Boston (Boston Children’s Hospital), de la Harvard Medical School, de la Keio University School of Medicine, du Centre médical de l’Université de Fribourg (University of Freiburg), de l’Université de Göteborg (University of Gothenburg), entre autres. L’étude a été publiée en ligne le 17 septembre 2024 dans la revue Angiogenesis, sous le titre Timed Topical Dexamethasone Eye Drops Improve Mitochondrial Function to Prevent Severe Retinopathy of Prematurity.

Processus et méthodes de recherche

Cette étude se divise en deux parties : une étude préclinique et une expérimentation animale, visant à explorer le rôle du collyre à la dexaméthasone dans la prévention de la ROP et son mécanisme.

Étude préclinique

L’équipe de recherche a d’abord mené une étude clinique prospective pour évaluer l’efficacité du collyre à la dexaméthasone à 0,1 % chez 5 nourrissons extrêmement prématurés (âge gestationnel de 22 à 27 semaines). Ces nourrissons étaient tous au stade 2 de la ROP (Stage 3, Zone II) sans “plus disease” (c’est-à-dire sans dilatation et torsion des vaisseaux rétiniens). Le collyre à la dexaméthasone a été administré avant que la ROP ne progresse vers une forme sévère, et les résultats ont montré qu’aucun des 5 nourrissons n’a développé une ROP de type 1, et aucun n’a nécessité de traitement au laser ou par anti-VEGF.

Expérimentation animale

Pour approfondir le mécanisme d’action de la dexaméthasone, l’équipe de recherche a utilisé un modèle murin de rétinopathie induite par l’oxygène (Oxygen-Induced Retinopathy, OIR). Le modèle OIR consiste à exposer des souriceaux nouveau-nés à un environnement hyperoxique à 75 % pour induire une occlusion vasculaire rétinienne suivie de la formation de néovaisseaux. L’équipe a administré du collyre à la dexaméthasone à 0,1 % à différents moments (P12-P14, P14-P16, P17-P19) et a évalué son impact sur la formation de néovaisseaux.

Méthodes expérimentales

  1. Établissement et évaluation du modèle OIR : Les souriceaux nouveau-nés ont été exposés à un environnement hyperoxique à 75 % de P7 à P12, puis ramenés à un environnement normoxique. La formation de néovaisseaux et l’occlusion vasculaire ont été quantifiées par coloration des vaisseaux rétiniens et analyse d’images.
  2. Traitement par collyre à la dexaméthasone : Le collyre à la dexaméthasone à 0,1 % a été administré quotidiennement aux souris pendant les périodes P12-P14, P14-P16 et P17-P19, tandis que le groupe témoin recevait du phosphate tamponné (PBS).
  3. Analyse protéomique : La chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) a été utilisée pour analyser les changements d’expression protéique dans la rétine des souris à P17, afin d’explorer le mécanisme d’action de la dexaméthasone.
  4. Évaluation de la fonction mitochondriale : L’expression des gènes liés aux mitochondries a été mesurée par PCR quantitative en temps réel (RT-qPCR), et l’inhibiteur de l’ATP synthase mitochondriale, l’oligomycine, a été utilisé pour évaluer l’impact de la fonction mitochondriale sur la formation de néovaisseaux.

Principaux résultats

Résultats de l’étude clinique

Chez les 5 nourrissons extrêmement prématurés, l’utilisation du collyre à la dexaméthasone a permis de prévenir la progression de la ROP et de favoriser le développement normal des vaisseaux rétiniens. Aucun des nourrissons n’a développé une ROP sévère, et aucun n’a nécessité de traitement au laser ou par anti-VEGF. Ces résultats suggèrent que le collyre à la dexaméthasone a un potentiel d’application dans la prévention de la ROP.

Résultats de l’expérimentation animale

  1. Effet dépendant du temps du collyre à la dexaméthasone : Dans le modèle OIR, l’administration du collyre à la dexaméthasone entre P14 et P16 (avant le pic de formation des néovaisseaux) a significativement inhibé la formation de néovaisseaux à P17, avec un taux d’inhibition de 30 %. En revanche, l’administration entre P12 et P14 a eu un effet plus faible, et l’administration entre P17 et P19 n’a eu aucun effet significatif, voire a exacerbé la formation de néovaisseaux.
  2. Rôle de la fonction mitochondriale : L’analyse protéomique a montré que le traitement par collyre à la dexaméthasone augmentait significativement l’expression des gènes liés aux mitochondries et réduisait l’expression des marqueurs inflammatoires. L’inhibition de l’ATP synthase mitochondriale a inversé l’effet inhibiteur de la dexaméthasone sur la formation de néovaisseaux, indiquant que la fonction mitochondriale joue un rôle clé dans l’effet anti-angiogénique de la dexaméthasone.
  3. Relation entre inflammation et formation de néovaisseaux : Le traitement par collyre à la dexaméthasone a significativement réduit l’expression des facteurs pro-inflammatoires (comme TNF, IL-1β, IL-6) et des facteurs pro-angiogéniques (comme EPO) dans la rétine des souris OIR, mais n’a pas affecté l’expression du VEGF. Cela suggère que la dexaméthasone pourrait inhiber la formation de néovaisseaux en modulant la réponse inflammatoire.

Conclusions et implications de l’étude

Cette étude révèle pour la première fois que le collyre à la dexaméthasone inhibe la formation de néovaisseaux pathologiques dans la ROP en améliorant la fonction mitochondriale. Les résultats montrent que l’administration du collyre à la dexaméthasone avant le pic de formation des néovaisseaux inhibe significativement leur formation et favorise le développement normal des vaisseaux rétiniens. Cette découverte offre de nouvelles stratégies pour la prévention et le traitement de la ROP, en particulier dans les régions aux ressources limitées, où le collyre à la dexaméthasone représente une méthode de traitement simple et économique.

De plus, cette étude met en lumière le rôle crucial de la fonction mitochondriale dans la ROP, ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche sur la relation entre les mitochondries et les maladies vasculaires rétiniennes. La modulation de la fonction mitochondriale pourrait également offrir de nouvelles approches pour le traitement d’autres maladies vasculaires rétiniennes.

Points forts de l’étude

  1. Effet dépendant du temps : L’étude montre que l’efficacité du collyre à la dexaméthasone dépend du moment de son administration, le meilleur moment étant avant le pic de formation des néovaisseaux.
  2. Modulation de la fonction mitochondriale : L’étude révèle pour la première fois que la dexaméthasone inhibe la formation de néovaisseaux en améliorant la fonction mitochondriale, offrant une nouvelle direction pour la recherche sur les mécanismes de la ROP.
  3. Potentiel d’application clinique : Le collyre à la dexaméthasone, en tant que méthode de traitement simple et économique, a un large potentiel d’application clinique, en particulier dans les régions aux ressources limitées.

Conclusion

Cette étude, à travers des recherches précliniques et des expérimentations animales, explore systématiquement le rôle du collyre à la dexaméthasone dans la prévention de la ROP et son mécanisme d’action. Les résultats montrent que le collyre à la dexaméthasone inhibe la formation de néovaisseaux pathologiques en améliorant la fonction mitochondriale et en supprimant la réponse inflammatoire. Cette découverte offre de nouvelles stratégies pour la prévention et le traitement de la ROP, avec une valeur scientifique et clinique significative.