Le toucher léger modifie les réponses d'équilibre évoquées par le vestibule : aperçus de la dynamique de la réévaluation sensorimotrice

Comment le toucher léger modifie les réponses d’équilibre induites par le système vestibulaire

Contexte

Le contrôle de l’équilibre est un mécanisme essentiel pour maintenir la posture et le mouvement, dépendant de l’intégration de multiples informations sensorielles, y compris la vision, le système vestibulaire et le toucher. Le système vestibulaire, en percevant les mouvements et les changements de position de la tête, fournit des informations cruciales pour l’équilibre. Cependant, lorsque ces informations sensorielles entrent en conflit, le système nerveux central (SNC) doit ajuster sa dépendance à ces informations via un processus appelé “repondération sensorimotrice” (sensorimotor reweighting) afin de maintenir l’équilibre.

Le toucher léger (light touch) désigne un contact léger entre le bout des doigts et une surface stable (généralement une force inférieure à 2 newtons), ce qui peut réduire significativement l’amplitude des oscillations du corps (centre de pression, COP). Cependant, la stimulation électrique vestibulaire (electrical vestibular stimulation, EVS) introduit des informations vestibulaires erronées, augmentant ainsi les oscillations du corps. Ce conflit entre ces deux types d’informations sensorielles offre une opportunité unique pour étudier les mécanismes dynamiques de la repondération sensorimotrice.

Cette étude a été menée par Megan H. Goar, Michael Barnett-Cowan et Brian C. Horslen du Département de kinésiologie et des sciences de la santé de l’Université de Waterloo au Canada. Elle a été publiée le 3 décembre 2024 dans le Journal of Neurophysiology et vise à explorer comment le toucher léger influence les réponses d’équilibre induites par le système vestibulaire, tout en révélant les processus dynamiques de la repondération sensorimotrice.

Déroulement de l’étude et conception expérimentale

Participants et approbation éthique

L’étude a recruté 16 jeunes adultes en bonne santé (18-35 ans) pour l’expérience 1 et 10 pour l’expérience 2. Tous les participants étaient exempts de troubles neurologiques ou orthopédiques et ont signé un consentement éclairé. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’Université de Waterloo (REB #44217).

Dispositifs expérimentaux et configuration

Les participants se tenaient pieds nus sur deux plateformes de force (AMTI OR6-5), les pieds écartés d’une distance égale à la longueur de leur pied. La tête était maintenue à un angle fixe (18°) pour garantir que la stimulation électrique vestibulaire (EVS) puisse induire efficacement des réponses d’équilibre. L’EVS était appliquée via des électrodes placées sur les mastoïdes, avec un signal de bruit aléatoire de 0 à 25 Hz et un courant de pointe de 4,5 mA.

Conditions expérimentales

L’expérience comprenait deux conditions : sans contact (no-touch) et toucher léger (touch). Dans la condition de toucher léger, les participants touchaient légèrement un capteur de force (load cell) avec leur index, appliquant une force de 1 à 2 newtons. Dans la condition sans contact, les participants maintenaient leur doigt en l’air, sans toucher aucune surface.

Expérience 1 : Expérience à état unique

L’expérience 1 comprenait deux types d’essais : essais de base et essais à état unique. Les essais de base duraient 60 secondes, les participants étant soit en condition sans contact, soit en condition de toucher léger, sans application d’EVS. Les essais à état unique duraient 200 secondes, les participants étant soumis à l’EVS tout en étant en condition sans contact ou de toucher léger. Une analyse de système linéaire (telle que la cohérence et le gain) a été utilisée pour quantifier la relation entre l’EVS et le COP.

Expérience 2 : Expérience de transition

L’expérience 2 a introduit des essais de transition, d’une durée de 300 secondes, où les participants passaient toutes les 6 à 15 secondes de la condition sans contact à la condition de toucher léger. Les transitions étaient contrôlées par l’expérimentateur via un système de levier, afin d’étudier les changements dynamiques de la relation entre l’EVS et le COP lors de l’introduction ou de la suppression du toucher léger.

Analyse des données

Les données du COP ont été enregistrées via les plateformes de force et analysées hors ligne à l’aide de MATLAB. La cohérence (coherence) et le gain (gain) ont été utilisés pour quantifier la relation entre l’EVS et le COP. La cohérence reflète la proportion des variations du COP pouvant être expliquées par l’EVS, tandis que le gain reflète l’amplitude de la réponse du COP à l’EVS.

Résultats principaux

Le toucher léger réduit le déplacement du COP

Les résultats ont montré que le toucher léger réduisait significativement l’amplitude du déplacement du COP. Dans les essais de base, le déplacement du COP était réduit de 49 % (expérience 1) et de 52 % (expérience 2) en condition de toucher léger. Dans les essais à état unique, le déplacement du COP était réduit de 45 % (expérience 1) et de 50 % (expérience 2) en condition de toucher léger. Cela indique que le toucher léger peut efficacement réduire les oscillations du corps, même en présence d’une perturbation vestibulaire induite par l’EVS.

Le toucher léger augmente la contribution vestibulaire à haute fréquence

Bien que le toucher léger réduise l’amplitude globale du déplacement du COP, il augmente la cohérence entre l’EVS et le COP dans la plage de haute fréquence (12-30 Hz). Les expériences 1 et 2 ont toutes deux montré une augmentation significative de la cohérence à haute fréquence en condition de toucher léger, en particulier dans la plage de 12 à 28,5 Hz. Cela suggère que le toucher léger non seulement réduit l’amplitude des oscillations induites par le système vestibulaire, mais augmente également la contribution des informations vestibulaires à haute fréquence au contrôle de l’équilibre.

Changements dans le gain

Contrairement à la cohérence, le toucher léger a significativement réduit le gain entre l’EVS et le COP. Dans l’expérience 1, le gain en condition de toucher léger était réduit de 58 %, et dans l’expérience 2, de 68 %. Cela indique que le toucher léger réduit l’amplitude de la réponse du COP à l’EVS.

Changements dynamiques dans les essais de transition

Les essais de transition ont montré que lors du passage du toucher léger à la condition sans contact, les changements de cohérence et de gain se produisaient avant ou peu après la rupture du contact. En revanche, lors du passage de la condition sans contact au toucher léger, les changements de cohérence et de gain étaient retardés. Cela suggère que le SNC peut ajuster plus rapidement le contrôle moteur vestibulaire lors de la perte d’informations tactiles, tandis que l’acquisition de ces informations nécessite plus de temps pour être évaluée et intégrée.

Conclusions et implications

Valeur scientifique

Cette étude révèle comment le toucher léger module les réponses d’équilibre induites par le système vestibulaire via des mécanismes de repondération sensorimotrice. Le toucher léger non seulement réduit l’amplitude des oscillations induites par le système vestibulaire, mais augmente également la contribution des informations vestibulaires à haute fréquence au contrôle de l’équilibre. Cette découverte élargit notre compréhension des mécanismes d’intégration multisensorielle, en particulier en cas de conflit d’informations sensorielles.

Applications pratiques

Les résultats de cette étude ont des implications potentielles pour la conception d’interventions thérapeutiques et de technologies d’assistance visant à améliorer la stabilité posturale. Par exemple, le toucher léger pourrait être utilisé comme une méthode non invasive d’entraînement de l’équilibre pour aider les personnes âgées ou les patients souffrant de troubles de l’équilibre à améliorer leur contrôle postural.

Points forts de l’étude

  1. Découverte de la contribution vestibulaire à haute fréquence : Le toucher léger augmente la cohérence entre l’EVS et le COP dans la plage de haute fréquence, un phénomène non rapporté dans les études précédentes.
  2. Repondération sensorimotrice dynamique : Les essais de transition révèlent que le SNC s’adapte différemment lors de la perte et de l’acquisition d’informations tactiles.
  3. Distinction entre stabilisation mécanique et sensorimotrice : L’analyse par quartiles du capteur de force confirme que les effets du toucher léger dépendent principalement de la stabilisation sensorimotrice plutôt que mécanique.

Autres informations utiles

L’étude a également exploré l’effet de l’intensité de la force de toucher léger sur la relation entre l’EVS et le COP, constatant que de légères variations de force (inférieures à 2 newtons) avaient un impact limité sur la cohérence et le gain. Cela suggère que l’effet stabilisateur du toucher léger dépend principalement de sa disponibilité plutôt que de l’intensité de la force appliquée.

Grâce à une conception expérimentale innovante et à une analyse approfondie des données, cette étude met en lumière le rôle important du toucher léger dans le contrôle moteur vestibulaire, ouvrant de nouvelles perspectives pour les recherches futures sur le contrôle de l’équilibre.