Détection des odorants dans les mélanges odorants chez les personnes en bonne santé et les patients atteints de dysfonctionnement olfactif

Étude sur la capacité des patients atteints de dysfonctionnement olfactif et des personnes en bonne santé à détecter des odeurs cibles dans des mélanges odorants

Contexte académique

Dans la vie quotidienne, la plupart des odeurs que nous rencontrons sont des mélanges plutôt que des odeurs simples. Cependant, les mécanismes de perception des mélanges odorants par les humains sont bien moins compris que ceux des odeurs simples. La perception des mélanges odorants peut être divisée en deux modes : la perception élémentaire (analytical perception) et la perception globale (configural perception). La perception élémentaire fait référence à la capacité des individus à distinguer les différents composants d’un mélange odorant, tandis que la perception globale implique que le mélange est perçu comme une odeur entièrement nouvelle, distincte de ses composants individuels. Bien que des études aient montré que certains mélanges odorants sont perçus de manière globale chez différentes espèces, les mécanismes de perception des mélanges odorants chez les humains restent largement inexplorés.

Des recherches antérieures ont montré que l’identification des composants individuels dans un mélange odorant devient plus difficile à mesure que le nombre de composants augmente. Les humains ne peuvent généralement identifier que 3 à 4 composants dans un mélange odorant, et cette limite semble indépendante du type d’odeur ou de l’expérience individuelle. Cependant, les recherches sur la capacité des humains à détecter des odeurs cibles dans des mélanges complexes restent limitées. Cette étude vise à explorer la capacité des personnes en bonne santé et des patients atteints de dysfonctionnement olfactif à détecter des odeurs cibles dans des mélanges odorants, et à comparer les différences entre ces deux groupes.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Eva Drnovsek, Kristina Weitkamp, Venkatesh N. Murthy, Edanur Gurbuz, Antje Haehner et Thomas Hummel. Les auteurs sont affiliés à la clinique de l’odorat et du goût du département d’oto-rhino-laryngologie de l’Université technique de Dresde (Technische Universität Dresden) en Allemagne, au Centre des sciences du cerveau et au département de biologie moléculaire et cellulaire de l’Université Harvard (Harvard University) aux États-Unis, ainsi qu’à la faculté de médecine de l’Université de Muğla Sıtkı Koçman en Turquie. Cette étude a été financée par la Volkswagenstiftung et publiée en 2025 dans la revue European Journal of Neuroscience.

Méthodologie de l’étude

Participants et groupes

L’étude a inclus 90 personnes en bonne santé (groupe témoin) et 40 patients atteints de dysfonctionnement olfactif (groupe patient). Tous les participants étaient âgés d’au moins 18 ans et ne présentaient pas de problèmes de santé majeurs susceptibles d’affecter la fonction olfactive, tels que le diabète, la maladie de Parkinson ou l’insuffisance rénale. Le groupe témoin a été recruté via des flyers, tandis que le groupe patient provenait de la clinique de l’odorat et du goût de l’Université technique de Dresde.

Évaluation de la fonction olfactive

Tous les participants ont rempli un questionnaire sur les données sociodémographiques et la fonction olfactive subjective. Les patients ont subi une évaluation clinique détaillée, incluant un historique médical structuré et une version étendue du test olfactif Sniffin’ Sticks. Ce test évalue le seuil olfactif (T), la capacité de discrimination des odeurs (D) et la capacité d’identification des odeurs (I), et combine ces trois scores en un score TDI. Sur la base du score TDI, les participants ont été classés comme normosmiques (fonction olfactive normale), hyposmiques (diminution de l’odorat) ou anosmiques (perte totale de l’odorat). Le groupe témoin a été évalué uniquement à l’aide des tests de seuil olfactif et d’identification des odeurs.

Tâches de détection des odeurs cibles

L’étude a conçu deux tâches pour évaluer la capacité des participants à détecter des odeurs cibles dans des mélanges odorants. Les odeurs cibles pour tous les participants étaient l’eugénol et le phényléthanol (PEA), tandis qu’une troisième odeur cible était attribuée de manière aléatoire. Chaque tâche était divisée en quatre étapes, avec un nombre croissant de composants dans les mélanges odorants, allant de 2 à 7 ou 8 composants. À chaque étape, les participants devaient choisir l’échantillon contenant l’odeur cible parmi plusieurs échantillons.

  • Tâche 1 : Les participants devaient choisir l’échantillon contenant l’odeur cible parmi trois échantillons, dont deux contenaient uniquement des odeurs de fond et un contenait le mélange avec l’odeur cible.
  • Tâche 2 : Les participants devaient choisir l’échantillon contenant l’odeur cible parmi deux échantillons, tous deux étant des mélanges odorants, mais un seul contenant l’odeur cible.

Sélection et mélange des odeurs

L’étude a utilisé 10 substances odorantes monomoléculaires, dont l’eugénol, le phényléthanol, l’eucalyptol et l’heptanol. Ces substances ont été diluées à des intensités similaires pour éviter que certaines odeurs ne masquent les autres en raison de leur intensité plus élevée. Les mélanges odorants ont été préparés en imbibant des substances odorantes sur des tampons de gaze et en les plaçant dans des flacons en verre brun.

Résultats principaux

Capacité de détection des odeurs cibles chez les personnes en bonne santé

Les résultats ont montré que le taux de réussite dans la détection des odeurs cibles diminuait à mesure que le nombre de composants dans les mélanges odorants augmentait. Cependant, même dans les mélanges contenant 7 ou 8 composants, environ 50 % des personnes en bonne santé pouvaient détecter l’eugénol, et environ 30 à 40 % pouvaient détecter le PEA. Il est à noter que certaines substances odorantes, comme le citronellal et l’hexénol, avaient des taux de détection significativement plus élevés que d’autres, comme le mélonal et le pinène.

Comparaison entre les patients et les témoins

Par rapport au groupe témoin, les patients atteints de dysfonctionnement olfactif avaient des taux de réussite significativement plus faibles dans la détection de l’eugénol et du PEA. En particulier, dans les étapes où les mélanges contenaient un plus grand nombre de composants, les taux de réussite des patients étaient proches du niveau aléatoire. De plus, l’étude a révélé que la capacité à reconnaître l’odeur cible était étroitement liée au taux de réussite de détection. Les participants capables d’identifier clairement l’odeur cible avaient des taux de réussite significativement plus élevés que ceux qui ne pouvaient pas l’identifier clairement.

Relation entre la fonction olfactive et la capacité de détection

L’étude a également analysé la relation entre les scores des tâches de détection des odeurs cibles et la fonction olfactive. Les résultats ont montré que les scores des tâches étaient significativement corrélés avec le seuil olfactif et la capacité d’identification des odeurs, suggérant que les tâches de détection des odeurs cibles pourraient être utilisées pour évaluer la fonction olfactive individuelle.

Conclusion et implications

Cette étude confirme que les personnes en bonne santé peuvent détecter des odeurs cibles dans des mélanges contenant jusqu’à 8 composants, avec des taux de réussite significativement supérieurs au niveau aléatoire. La capacité à détecter les odeurs cibles est influencée par l’odeur cible elle-même, le nombre de composants dans le mélange, la fonction olfactive individuelle et la capacité à reconnaître l’odeur cible. De plus, les patients atteints de dysfonctionnement olfactif ont des performances significativement inférieures à celles des personnes en bonne santé, ce qui suggère que les tâches de détection des odeurs cibles pourraient être un outil efficace pour évaluer la fonction olfactive.

Points forts de l’étude

  1. Conception novatrice : Cette étude est la première à évaluer systématiquement la capacité des personnes en bonne santé et des patients atteints de dysfonctionnement olfactif à détecter des odeurs cibles dans des mélanges complexes, comblant ainsi une lacune dans ce domaine de recherche.
  2. Valeur clinique : Les résultats suggèrent que les tâches de détection des odeurs cibles pourraient être utilisées pour diagnostiquer les dysfonctionnements olfactifs, offrant une nouvelle méthode d’évaluation.
  3. Exploration approfondie des mécanismes de perception des odeurs : L’étude met en lumière l’importance de la capacité à reconnaître les odeurs cibles dans la perception des mélanges odorants, fournissant des indices précieux pour de futures recherches sur les mécanismes de perception des odeurs.

Autres informations utiles

L’étude a également exploré l’influence des caractéristiques perceptives des substances odorantes (comme l’intensité, le plaisir et la familiarité) sur les taux de réussite de détection, mais n’a trouvé aucune différence significative. Les recherches futures pourraient élargir la taille de l’échantillon et inclure davantage de types de substances odorantes pour valider les conclusions de cette étude.


Grâce à cette recherche, nous comprenons mieux la capacité des humains à détecter des odeurs cibles dans des mélanges complexes, et nous ouvrons de nouvelles perspectives pour le diagnostic et le traitement des dysfonctionnements olfactifs.