Identité isotopique de l'oxygène de la Terre et de la Lune avec des implications pour la formation de la Lune et la source des volatils

Identité isotopique de l’oxygène entre la Terre et la Lune : implications pour la formation de la Lune et la source des volatils

Contexte académique

La similarité isotopique entre les roches de la Terre et de la Lune constitue une énigme majeure en géochimie et cosmochimie. Ce phénomène contredit les modèles actuels de formation de la Lune, en particulier la théorie de l’impact géant. Selon cette théorie, la Lune s’est formée il y a environ 4,5 milliards d’années à la suite d’une collision entre la proto-Terre et un corps de la taille de Mars appelé Theia. Cependant, la similarité isotopique entre les roches terrestres et lunaires suggère que Theia et la proto-Terre avaient une composition isotopique très proche, ou qu’un mélange intense de matériaux a eu lieu après la collision. De plus, cette découverte apporte de nouvelles perspectives sur l’origine de l’eau sur la Terre et la Lune, indiquant que l’eau pourrait ne pas provenir d’un apport tardif de matériaux, appelé “late veneer”.

Pour approfondir cette question, les chercheurs ont effectué des mesures précises des isotopes de l’oxygène dans les roches lunaires et terrestres, et ont proposé de nouvelles interprétations en lien avec les modèles de formation de la Lune. Cette étude contribue non seulement à la compréhension de la formation de la Lune, mais fournit également de nouveaux indices sur l’origine des volatils sur la Terre et la Lune.

Source de l’article

Cette recherche a été menée par Meike Fischer, Stefan T. M. Peters, Daniel Herwartz, Paul Hartogh, Tommaso Di Rocco et Andreas Pack, affiliés respectivement au Centre des géosciences de l’Université de Göttingen, à l’Institut Max Planck pour la recherche sur le système solaire, à Thermo Fisher Scientific (Bremen), à l’Institut Leibniz pour l’analyse des changements de biodiversité, à l’Institut de minéralogie et de pétrologie de l’Université de Cologne et à l’Institut de géologie, minéralogie et géophysique de l’Université de Bochum. L’article a été publié le 16 décembre 2024 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), sous le titre Oxygen isotope identity of the Earth and Moon with implications for the formation of the Moon and source of volatiles.

Déroulement de la recherche

1. Collecte et traitement des échantillons

L’équipe de recherche a obtenu 14 échantillons de roches lunaires provenant des missions Apollo de la NASA, incluant des basaltes marins à faible et haute teneur en titane, des verres volcaniques et des roches des hautes terres. Ces échantillons ont été classés comme “pristines”, c’est-à-dire non contaminés par des impacts. Pour assurer la précision des données, les chercheurs ont également analysé des échantillons terrestres de référence, tels que l’olivine de San Carlos et le grenat UWG2.

2. Analyse des isotopes de l’oxygène

Tous les échantillons ont été analysés par fluorination laser, une méthode permettant de mesurer avec précision les isotopes de l’oxygène. Une nouvelle ligne de fluorination laser a été développée pour cette étude, améliorant la précision et l’automatisation des analyses. Les étapes comprenaient : - Prétraitement des échantillons : Les échantillons ont été chauffés sous vide pendant une nuit, puis prémélangés pour réduire la contamination de surface. - Réaction de fluorination : Le BrF5 a été utilisé comme agent de fluorination, et les échantillons ont été chauffés au laser pour libérer l’oxygène. - Purification du gaz : Les impuretés ont été éliminées à l’aide de pièges froids et de colonnes de tamis moléculaire, garantissant la pureté de l’oxygène. - Analyse par spectrométrie de masse : Un spectromètre de masse Thermo MAT253plus a été utilisé pour mesurer les rapports isotopiques de l’oxygène (δ17O et δ18O) en mode double entrée.

3. Analyse des données

Les chercheurs ont analysé en détail les données isotopiques des échantillons lunaires et terrestres, et les ont comparées aux données publiées précédemment. En calculant les différences de δ17O, ils ont évalué la similarité isotopique entre la Terre et la Lune. De plus, l’étude a exploré la teneur en volatils des roches lunaires et ses implications pour les modèles de formation de la Lune.

Résultats principaux

1. Similarité isotopique entre la Terre et la Lune

Les résultats montrent que la composition isotopique de l’oxygène de la Terre et de la Lune est identique à un niveau inférieur au ppm (partie par million). Plus précisément, la valeur moyenne de δ17O des roches lunaires est de -51,4 ± 1,4 ppm, presque identique à celle du manteau terrestre (-51,6 ± 1,0 ppm). Cette découverte indique qu’il n’y a pas de différence significative dans la composition isotopique de l’oxygène entre la Terre et la Lune, soutenant l’idée que Theia et la proto-Terre avaient une composition isotopique similaire.

2. Teneur en volatils des roches lunaires

L’étude a également révélé que la teneur en volatils des roches lunaires est comparable à celle du manteau terrestre, contredisant le modèle traditionnel d’une “Lune sèche”. En particulier, les verres volcaniques lunaires contiennent jusqu’à 150 ppm d’eau, suggérant que l’intérieur de la Lune pourrait contenir une quantité d’eau similaire à celle de la Terre. Cette découverte remet en question l’hypothèse selon laquelle les volatils ont été entièrement perdus lors de la formation de la Lune.

3. Implications pour les modèles de formation de la Lune

Sur la base de la similarité isotopique, les chercheurs ont proposé plusieurs modèles possibles pour la formation de la Lune : - Similarité isotopique entre Theia et la proto-Terre : Si Theia et la proto-Terre avaient une composition isotopique similaire, la similarité isotopique entre la Terre et la Lune pourrait s’expliquer. - Mélange intense après la collision : Si Theia et la proto-Terre avaient une composition isotopique différente, un mélange intense de matériaux après la collision pourrait expliquer la similarité isotopique entre la Terre et la Lune. - Perte du manteau silicaté de Theia : Une autre possibilité est que Theia ait perdu son manteau silicaté avant la collision, ce qui aurait conduit à la formation de la Lune principalement à partir de matériaux du manteau terrestre.

Conclusions et signification

Cette étude, grâce à des mesures précises des isotopes de l’oxygène, révèle une similarité isotopique élevée entre la Terre et la Lune, fournissant de nouvelles contraintes pour les modèles de formation de la Lune. Les résultats suggèrent que Theia et la proto-Terre avaient une composition isotopique très proche, ou qu’un mélange intense de matériaux a eu lieu après la collision. De plus, l’étude indique que l’eau sur la Terre et la Lune pourrait ne pas provenir d’un apport tardif de matériaux, mais plutôt d’un réservoir précocement mélangé.

Cette découverte a des implications importantes pour la compréhension de la formation de la Lune et de l’origine des volatils sur la Terre et la Lune. Elle souligne également l’importance des échantillons rapportés par les missions spatiales, qui fournissent des informations plus précises sur les matériaux extraterrestres par rapport aux météorites.

Points forts de la recherche

  1. Mesures isotopiques de haute précision : L’équipe a développé une méthode de fluorination laser améliorée, permettant des mesures isotopiques à un niveau inférieur au ppm, fournissant des données de haute précision pour l’étude de la similarité isotopique entre la Terre et la Lune.
  2. Remise en question du modèle de la “Lune sèche” : L’étude a révélé que la teneur en volatils des roches lunaires est comparable à celle du manteau terrestre, contredisant le modèle traditionnel d’une “Lune sèche”.
  3. Nouveaux modèles de formation de la Lune : Les chercheurs ont proposé plusieurs modèles possibles pour la formation de la Lune, ouvrant de nouvelles pistes pour les recherches futures.

Autres informations utiles

L’étude souligne également que les futures missions lunaires devraient se concentrer sur l’échantillonnage des roches du manteau lunaire pour valider davantage les modèles de formation de la Lune. De plus, la ligne de fluorination laser automatisée développée par l’équipe offre un nouvel outil pour l’analyse isotopique de haute précision, applicable à d’autres domaines de la science planétaire et de la géochimie.