Analyse de rentabilité du dépistage du cancer du sein par mammographie numérique au Canada
Rapport académique : Analyse de l’efficacité économique du dépistage du cancer du sein par mammographie numérique au Canada
Contexte académique
Le cancer du sein (Cancer du Sein, CS) est le cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes en Amérique du Nord et la deuxième cause la plus fréquente de décès par cancer. Bien que les traitements contre le cancer du sein aient considérablement progressé au cours des dernières décennies, améliorant le taux de survie des patientes, les coûts de traitement ont également fortement augmenté. En particulier, l’introduction de nouvelles thérapies systémiques a amplifié ce coût. Ainsi, une question cruciale pour les responsables de la santé publique et les décideurs est de savoir comment concilier amélioration des résultats cliniques avec maîtrise des coûts de santé.
Le dépistage mammographique (Mammographic Screening) est un outil clé permettant de diagnostiquer précocement le cancer du sein, réduisant ainsi la mortalité et la morbidité. Cependant, l’efficacité économique (coût-efficacité) du dépistage, notamment pour différentes stratégies, reste un sujet de débat. Bien que le Task Force américain sur les services préventifs (US Preventive Services Task Force, USPSTF) ait recommandé en 2024 de diminuer l’âge de début du dépistage du cancer du sein de 50 à 40 ans, le Groupe de travail canadien sur les soins préventifs n’a pas intégré d’analyses économiques dans ses lignes directrices. Cette étude vise donc à évaluer le coût-efficacité du dépistage mammographique dans le cadre des normes actuelles de traitement du cancer du sein au Canada.
Origine de l’étude
L’étude a été réalisée par un groupe d’experts comprenant Anna N. Wilkinson, James G. Mainprize, Martin J. Yaffe, et d’autres, issus de divers instituts de recherche au Canada, couvrant des domaines tels que la médecine familiale, les sciences physiques, la pharmacie, la chirurgie et la radiologie. L’article a été publié le 2 janvier 2025 dans la revue médicale JAMA Network Open. Il porte le titre : « Cost-Effectiveness of Breast Cancer Screening Using Digital Mammography in Canada ».
Conception et méthodologie
Modèle d’étude et sources de données
L’étude utilise le modèle de microsimulation OncoSim-Breast, développé conjointement par le Partenariat canadien contre le cancer (Canadian Partnership Against Cancer) et Statistique Canada. Ce modèle simule l’historique naturel, la progression et la détection du cancer du sein chez les femmes, permettant d’estimer les résultats cliniques et les coûts de traitement pour différentes stratégies de dépistage. Il a été validé à partir de données empiriques issues du registre canadien du cancer et des statistiques vitales.
Les coûts de traitement proviennent des données de 2023 de l’Ontario, fondées sur une analyse d’imputation des coûts par activité (Activity-Based Costing). La cohorte modélisée inclut des femmes nées en 1975, suivies de 40 à 99 ans, et l’étude suppose que toutes les femmes reçoivent une mammographie numérique standard, sans ajustement basé sur leur risque individuel de cancer du sein.
Stratégies de dépistage
Cinq stratégies de dépistage ont été modélisées dans l’étude : 1. Pas de dépistage : groupe témoin, sans dépistage. 2. Dépistage biennal pour les 50-74 ans (B50-74) : la norme actuelle au Canada. 3. Dépistage biennal pour les 40-74 ans (B40-74). 4. Dépistage annuel pour les 40-74 ans (A40-74). 5. Stratégie hybride (A40-49/B50-74) : dépistage annuel pour les 40-49 ans et biennal pour les 50-74 ans.
Objectifs et méthodologies d’analyse
Les principaux résultats pris en compte sont : - Nombre de décès évités par dépistage. - Années de vie gagnées (LYs - Life Years) par dépistage. - Années de vie ajustées en fonction de la qualité (QALYs - Quality-Adjusted Life Years) gagnées. - Ratio coût-efficacité incrémental (ICER) exprimé en coût par décès évité, par année de vie ou par année de vie ajustée en fonction de la qualité.
Des analyses de sensibilité ont également été réalisées pour examiner l’influence des taux de participation, des taux de rappel (recall rate) et des bénéfices liés à la réduction de la mortalité.
Résultats de l’étude
Bienfaits cliniques du dépistage
L’étude montre que l’instauration précoce du dépistage (à partir de 40 ans) est associée à de meilleurs résultats cliniques. Par rapport à un dépistage débutant à 50 ans, débuter le dépistage à 40 ans permet d’éviter un plus grand nombre de décès, d’allonger davantage la durée de vie des patientes et d’améliorer la qualité de vie. Plus précisément : - Stratégie B40-74 : par rapport à B50-74, cette stratégie permet d’économiser 49 759 $ CA par décès évité, 1 558 $ CA par année de vie gagnée et 2 007 $ CA par année ajustée à la qualité. - Stratégie A40-74 : bien qu’elle soit plus coûteuse, elle offre les meilleurs résultats cliniques en termes de décès évités, avec une dépense de 25 501 $ CA par décès évité, 1 100 $ CA par année gagnée et 1 447 $ CA par année ajustée à la qualité.
Analyse coût-efficacité
Du point de vue du système de santé canadien, le dépistage B40-74 est une intervention de santé publique qui permet de réaliser des économies, tandis que le dépistage A40-74, bien que très efficace cliniquement, reste abordable et rentable. Plus précisément : - Stratégie B40-74 : par rapport à B50-74, cette stratégie permet d’économiser 49 759 $ par décès évité, 1 558 $ par année de vie gagnée et 2 007 $ par année ajustée à la qualité. - Stratégie A40-74 : par rapport au B50-74, le coût par décès évité s’élève à 25 501 $, à 1 100 $ par année de vie gagnée et à 1 447 $ par année ajustée.
Analyse de sensibilité
L’analyse de sensibilité révèle que même si les coûts de rappel diagnostique étaient doublés, le dépistage B40-74 maintiendrait son avantage économique. De plus, réduire le taux de rappel à 5 % augmenterait encore l’efficacité économique de cette stratégie. Enfin, même dans des scénarios où la participation au dépistage est faible, la stratégie A40-74 demeure cliniquement supérieure en termes de décès évités.
Conclusions et implications
La présente étude conclut que, bien que les coûts des programmes de dépistage augmentent en fonction du nombre de dépistages réalisés, ces coûts sont largement compensés par la réduction des dépenses liées au traitement du cancer du sein. La mammographie numérique constitue un outil efficace et rentable pour réduire les taux de mortalité associés au cancer du sein. Les résultats ont des implications politiques importantes pour des systèmes de santé financés uniquement par l’État et plaident pour un investissement accru dans les programmes de dépistage.
Points saillants de l’étude
- Rentabilité du dépistage précoce : Commencer le dépistage à 40 ans permet non seulement d’éviter davantage de décès, mais aussi de réduire significativement les coûts des traitements pour le système de santé.
- Pertinence des analyses économiques mises à jour : En intégrant les nouveaux coûts des traitements modernes du cancer du sein, cette étude offre des résultats précis et pertinents.
- Recommandations en matière de politiques de santé publique : Les auteurs suggèrent de diminuer l’âge initial pour le dépistage à 40 ans et de considérer les dépistages annuels pour optimiser les bénéfices cliniques et économiques.
Limites de l’étude
Malgré les conclusions solides, certaines limites existent. Par exemple, le modèle suppose une sensibilité moyenne pour la mammographie, sans ajustement pour des facteurs tels que la densité mammaire. De plus, l’étude ne prend pas en compte les coûts liés aux médicaments privés et aux coûts sociaux (comme la perte de productivité). Enfin, d’autres modalités de dépistage, telles que la tomosynthèse ou l’IRM, méritent d’être examinées dans de futures analyses.
En résumé
Avec l’augmentation des coûts des traitements modernes contre le cancer du sein, le dépistage précoce devient encore plus rentable. Cette étude démontre que des dépistages annuels entre 40 et 74 ans sont cliniquement et économiquement justifiés, offrant des bénéfices significatifs en termes de décès évités et de qualité de vie améliorée. Ces résultats renforcent l’importance d’une évaluation régulière et actualisée des coûts et des bienfaits associés aux programmes de dépistage dans le contexte des évolutions médicales.