Modèles de prédiction du risque de mortalité pour les personnes atteintes d'insuffisance rénale : une revue systématique
Traduction : Rapport académique sur les modèles de prédiction du risque de mortalité pour les personnes atteintes d’insuffisance rénale
Contexte académique
L’insuffisance rénale (insuffisance terminale, ou kidney failure) est une maladie chronique grave avec un impact significatif sur la qualité de vie et le taux de survie des patients. Cette condition engendre une morbidité et une mortalité supérieure à celles de nombreux autres troubles chroniques, y compris certains cancers non métastatiques. Les patients atteints d’insuffisance rénale sont souvent confrontés à des décisions thérapeutiques difficiles, telles que débuter ou poursuivre une thérapie de dialyse (dialyse péritonéale ou hémodialyse) ou opter pour une prise en charge conservatrice sans dialyse.
Pour aider les patients et les cliniciens à prendre des décisions éclairées, des modèles de prédiction du risque de mortalité (mortality risk prediction models) ont été proposés. Ces modèles visent à fournir une évaluation personnalisée des risques, facilitant ainsi des choix alignés sur les besoins et les valeurs individuelles. Cependant, des questions subsistent quant à la qualité, l’applicabilité et l’utilisabilité clinique de ces modèles.
Cet article vise à examiner systématiquement les modèles existants de prédiction de la mortalité chez les patients atteints d’insuffisance rénale pour en évaluer la qualité et la pertinence clinique. À travers cette revue, les auteurs cherchent à fournir des orientations pour de futures recherches et à encourager l’adoption de tels modèles dans la pratique clinique.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Faisal Jarrar, Meghann Pasternak, Tyrone G. Harrison, Matthew T. James, Robert R. Quinn, Ngan N. Lam, Maoliosa Donald, Meghan Elliott, Diane L. Lorenzetti, Giovanni Strippoli, Ping Liu, Simon Sawhney, Thomas Alexander Gerds et Pietro Ravani. Les contributeurs proviennent de plusieurs institutions de recherche, notamment l’Université de Calgary (Canada), l’Université de Bari (Italie) et l’Université de Sydney (Australie). L’article a été publié dans le JAMA Network Open le 3 janvier 2025 sous le numéro DOI : e2453190.
Méthodologie
Sources de données et stratégie de recherche
L’équipe de recherche a interrogé les bases de données Ovid Medline, Ovid Embase et Cochrane Library pour analyser les publications entre le 1ᵉʳ janvier 2004 et le 30 septembre 2024. La stratégie de recherche a intégré des termes pertinents couvrant trois concepts majeurs : insuffisance rénale chronique (chronic kidney failure), mortalité (mortality) et modélisation prédictive (prediction modeling). Les filtres recommandés pour l’identification des modèles prédictifs ont également été appliqués, et une recherche manuelle dans les références des articles inclus a été effectuée pour garantir l’exhaustivité.
Critères de sélection
Au total, 7 184 titres et résumés ont été analysés, dont 77 études sélectionnées pour une évaluation approfondie, et 50 finalement incluses dans l’analyse. Ces études ont impliqué collectivement 2 963 157 participants, avec un âge médian de 64 ans (gamme : 52-81 ans) et une proportion médiane de femmes de 42 % (gamme : 2 %-54 %). L’objectif principal de ces études était de prédire la mortalité toutes causes confondues, avec des horizons de prédiction s’étalant de 3 mois à 10 ans.
Extraction des données et évaluation de la qualité
Deux évaluateurs ont travaillé indépendamment pour extraire les données en utilisant les outils CHARMS (Checklist for Critical Appraisal and Data Extraction for Systematic Reviews of Prediction Modeling Studies) et PROBAST (Prediction Model Risk of Bias Assessment Tool). Ces outils ont permis d’évaluer le risque de biais et les préoccupations d’applicabilité. En parallèle, les auteurs ont également vérifié si les études respectaient les normes TRIPOD+AI (Transparent Reporting of Multivariable Prediction Models for Individual Prognosis or Diagnosis).
Cadre prédictif et évaluation des modèles
Chaque étude a été analysée sur la base de son cadre prédictif, y compris les caractéristiques de la population cible, l’origine temporelle de la prédiction, la portée temporelle, les prédicteurs sélectionnés, les résultats mesurés et l’inclusion (ou non) des risques concurrents. Les auteurs ont également examiné les méthodes de validation, notamment la validation croisée (cross-validation), la méthode bootstrap et la validation basée sur des divisions aléatoires uniques de données.
Résultats principaux
Caractéristiques des études sélectionnées
Sur les 50 études incluses, tous les modèles analysés étaient basés sur des données de patients en cours de traitement par hémodialyse ou dialyse péritonéale. Aucun modèle n’a été développé spécifiquement pour des personnes atteintes d’insuffisance rénale avant qu’elles aient pris une décision de traitement. La majorité des études (78 %) incluaient des patients débutant la dialyse, tandis qu’un faible pourcentage (4 %) examinait des patients ayant déjà suivi une dialyse depuis un certain temps. Les analyses ont révélé que toutes les études présentaient des lacunes méthodologiques importantes, augmentant ainsi le risque de biais et limitant leur applicabilité.
Performance des modèles
La plupart des études ont utilisé des mesures de discrimination, telles que l’indice C (C-index) ou l’aire sous la courbe ROC dépendante du temps (AUC, Area Under the Receiver Operating Characteristic Curve), pour évaluer les performances des modèles. Cependant, ces mesures ont une valeur limitée pour les décisions cliniques concrètes, car elles ne permettent pas d’estimer directement la calibration ou la précision prédictive dans des situations réelles. Seulement deux études (4 %) ont rapporté un score de Brier, qui évalue à la fois la calibration et la discrimination d’un modèle.
Utilisabilité clinique
Sur les 50 études examinées, seulement 15 (30 %) ont proposé des outils utilisables pour les cliniciens, tels que des calculateurs ou des nomogrammes facilitant l’évaluation au chevet des patients. De plus, une seule étude (2 %) a employé l’analyse des courbes de décision pour quantifier la valeur clinique des modèles.
Conclusions et implications
Une analyse systématique des modèles existants montre que les modèles prédictifs actuels de mortalité pour les patients atteints d’insuffisance rénale ne sont pas encore adaptés pour un usage clinique généralisé. Les lacunes importantes incluent des risques de biais élevés, des performances insuffisantes, une portée limitée et une faible disponibilité d’outils conviviaux pour les cliniciens. Par conséquent, il est nécessaire de développer de nouveaux modèles mieux conçus et davantage adaptés à l’utilisation clinique.
Points essentiels
- Étendue des données : Une recherche exhaustive a permis d’analyser les développements dans le domaine sur deux décennies.
- Besoin d’amélioration : Les modèles actuels souffrent de biais significatifs, limitant leur validité et leur implémentation clinique.
- Absence d’outils conviviaux : Seulement un petit pourcentage des études fournissent des instruments pratiques pour prédire les risques au chevet des patients.
Orientations futures
Les futures initiatives de recherche devraient inclure : - Populations sous-représentées : Intégrer des patients qui n’ont pas encore décidé de commencer une thérapie de dialyse ou opté pour une prise en charge conservatrice. - Validation rigoureuse : Utiliser systématiquement des méthodologies de validation telles que la validation croisée pour s’assurer de la robustesse des modèles. - Augmenter l’adoption clinique : Privilégier le développement d’outils conviviaux qui reflètent les attentes des patients, des soignants et des cliniciens et les inclure dans le processus de conception des modèles.
Cette revue éclaire les défis persistants dans le développement des modèles de prédiction pour les patients atteints d’insuffisance rénale et appelle à des méthodologies rigoureuses et inclusives pour répondre à ces manques.