Rôle de la reprogrammation métabolique induite par la chirurgie cardiovasculaire majeure dans les lésions rénales aiguës en soins intensifs
Le rôle de la reprogrammation métabolique induite par les interventions cardiovasculaires majeures dans la lésion rénale aiguë : une étude métabolomique
Contexte académique
Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans le monde, entraînant plus de 17,9 millions de morts chaque année, soit 32 % du total des décès mondiaux. Avec l’augmentation de la charge de la maladie, environ un tiers des patients pourraient avoir besoin d’une intervention chirurgicale au cours de leur vie. Actuellement, plus de 2 millions de chirurgies cardiaques sont réalisées chaque année dans le monde. Bien que la chirurgie cardiaque joue un rôle crucial dans la santé cardiovasculaire, elle comporte également des risques importants de morbidité et de mortalité. La récupération postopératoire implique souvent une réponse inflammatoire de l’hôte, avec une ischémie myocardique, une dysfonction endothéliale et une lésion d’ischémie-reperfusion contribuant à divers degrés de dysfonctionnement d’organe. Cependant, notre compréhension des mécanismes moléculaires sous-jacents aux réponses au stress postopératoire reste limitée, ce qui entrave les améliorations fondées sur des preuves des résultats des patients.
Récemment, le développement des technologies métabolomiques a fourni de nouveaux outils pour étudier les changements métaboliques après une chirurgie cardiovasculaire. La métabolomique peut caractériser de manière exhaustive les modèles métaboliques postopératoires, révélant des signatures métaboliques associées au stress chirurgical et à la dysfonction d’organe postopératoire. Cette étude vise à explorer, par des méthodes métabolomiques, la reprogrammation métabolique induite par les interventions cardiovasculaires majeures et son rôle potentiel dans la lésion rénale aiguë (acute kidney injury, AKI) postopératoire.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Tiago R. Velho et al., auteurs issus de plusieurs institutions de recherche, y compris l’unité de recherche en chirurgie cardiothoracique et le Centre de Recherche sur les Mécanismes des Maladies de la Faculté de Médecine de l’Université de Lisbonne. L’article a été publié en 2024 dans la revue Intensive Care Medicine, avec le DOI 10.1007/s00134-024-07770-4.
Processus de recherche
1. Sujets de l’étude et groupes
Cette étude prospective observationnelle a inclus 53 patients ayant subi une intervention cardiovasculaire majeure. Les patients ont été divisés en trois groupes selon le type de chirurgie : - Groupe CPB : chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle (cardiopulmonary bypass, CPB), comprenant 33 cas. - Groupe sans CPB : chirurgie cardiaque sans CPB, comprenant 10 cas. - Groupe de chirurgie vasculaire : chirurgie vasculaire majeure, comprenant 10 cas.
2. Collecte et traitement des échantillons
Des échantillons de sang périphérique ont été prélevés avant l’intervention, ainsi qu’à 6 heures et 24 heures après l’opération. Les échantillons de sérum ont été séparés par centrifugation et conservés à -80°C pour analyse métabolomique ultérieure.
3. Analyse métabolomique
Une approche métabolomique non ciblée a été utilisée, avec la technologie de spectrométrie de masse pour quantifier 8668 caractéristiques métaboliques dans les échantillons de sérum. Les étapes spécifiques étaient les suivantes : - Prétraitement des échantillons : 100 μL de sérum ont été mélangés avec 400 μL d’un mélange méthanol/éthanol (4:1, v/v), vortexés pendant 5 minutes et centrifugés pour éliminer les protéines. - Séparation des métabolites : les métabolites ont été séparés par chromatographie en interaction hydrophile (hydrophilic interaction chromatography, HILIC) et par chromatographie en phase inverse (reversed phase, RP). - Détection par spectrométrie de masse : une spectrométrie de masse tandem haute résolution (Q-Exactive Focus) a été utilisée pour détecter les métabolites, et les données ont été traitées avec le logiciel Compound Discoverer 3.0.
4. Analyse des données
Un modèle linéaire à effets mixtes (linear mixed-effect models) a été utilisé pour analyser les changements métaboliques à différents points temporels, ajusté pour l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle. Une correction des tests multiples (méthodes de Bonferroni et Benjamini-Hochberg) a permis de sélectionner les métabolites significativement modifiés. De plus, une analyse des voies métaboliques et une analyse en composantes principales (PCA) ont été réalisées pour comparer les caractéristiques métaboliques entre les différents groupes chirurgicaux.
Principaux résultats
1. Caractéristiques métaboliques du groupe CBP
Dans le groupe CPB, un total de 772 métabolites ont montré des changements significatifs (p < 2,8e-05) à travers les trois points temporels. Ces métabolites étaient principalement enrichis dans les voies métaboliques liées au métabolisme des protéines, avec le métabolisme de la glycine et de la sérine comme étant le plus représenté. De plus, les caractéristiques métaboliques du groupe CPB différaient nettement des deux autres groupes, montrant un modèle unique de reprogrammation métabolique.
2. Caractéristiques métaboliques des patients atteints d’AKI
Dans le groupe CPB, 42,4 % des patients (14 cas) ont développé une AKI postopératoire, dont 33,3 % de stade 1 et 9,1 % de stade 2. Les caractéristiques métaboliques de ces patients montrent une augmentation significative du catabolisme des protéines, incluant la dégradation de la valine, de la leucine et de l’isoleucine, ainsi que des perturbations du cycle des acides tricarboxyliques (TCA cycle) et une accumulation d’acylcarnitines.
3. Association entre métabolites et AKI
À l’aide d’une régression logistique, il a été constaté que les niveaux préopératoires d’O-3-méthylglutarylcarnitine étaient significativement associés à l’AKI postopératoire (p = 0,035), avec une aire sous la courbe (AUC) de 90,7 % pour prédire l’AKI. De plus, les niveaux préopératoires d’acide citrique étaient significativement plus élevés chez les patients atteints d’AKI.
Conclusion
Cette étude révèle pour la première fois les caractéristiques distinctes de la reprogrammation métabolique induite par les interventions cardiovasculaires majeures, en particulier celles utilisant la CPB. Les patients ayant développé une AKI postopératoire présentent des caractéristiques métaboliques spécifiques, y compris une augmentation du catabolisme des protéines, des perturbations du cycle des acides tricarboxyliques et une accumulation d’acylcarnitines. Ces découvertes fournissent des bases métaboliques importantes pour concevoir des interventions visant à réduire la dysfonction d’organe postopératoire, y compris l’AKI.
Points forts de l’étude
- Caractéristiques métaboliques uniques : la chirurgie avec CPB induit une reprogrammation métabolique dominée par le métabolisme des protéines, distincte des autres types de chirurgie.
- Biomarqueur métabolique prédictif de l’AKI : les niveaux préopératoires d’O-3-méthylglutarylcarnitine peuvent servir de biomarqueur prédictif de l’AKI postopératoire.
- Dérèglement des voies métaboliques : les caractéristiques métaboliques des patients atteints d’AKI montrent des perturbations significatives du cycle des acides tricarboxyliques et du métabolisme des acylcarnitines, suggérant le rôle potentiel de ces voies dans les lésions rénales postopératoires.
Valeur de l’étude
Cette étude, grâce à une approche métabolomique, met en lumière les changements métaboliques après des interventions cardiovasculaires majeures et leur association avec l’AKI postopératoire. Ces découvertes offrent non seulement une nouvelle perspective pour comprendre les mécanismes moléculaires sous-jacents à la dysfonction d’organe postopératoire, mais fournissent également des cibles potentielles pour développer des stratégies thérapeutiques basées sur le métabolisme. Par exemple, la modulation de la synthèse des acylcarnitines ou des interventions nutritionnelles préopératoires pourrait améliorer le pronostic des patients subissant une chirurgie cardiaque.