Le pathobiont intestinal translocant Enterococcus gallinarum induit une auto-immunité Th17 et IgG3 anti-ARN dirigée chez la souris et l'homme
Contexte académique
Les maladies auto-immunes chroniques (autoimmune diseases) sont généralement déclenchées par une combinaison de prédispositions génétiques et de facteurs environnementaux, leur mécanisme pathogène étant complexe et incomplètement compris. Dans de nombreux cas, ces maladies nécessitent un traitement immunosuppresseur à vie, ce qui constitue un fardeau lourd pour les patients. Des recherches récentes ont montré que les microbes intestinaux jouent un rôle important dans les maladies auto-immunes, en particulier les « pathobiontes » (pathobiont) capables de traverser la barrière intestinale et d’entrer dans la circulation systémique. Ces bactéries peuvent déclencher ou exacerber des réponses auto-immunes en dehors de l’intestin. Cependant, la manière dont les microbes intestinaux influencent spécifiquement les réponses auto-immunes humaines, en particulier comment ils induisent des réponses immunitaires adaptatives spécifiques, reste un mystère. Cet article se concentre sur une bactérie intestinale pathogène appelée Enterococcus gallinarum (E. gallinarum), visant à révéler comment elle induit la différenciation des cellules Th17 et la production d’anticorps IgG3, déclenchant ainsi des réponses auto-immunes systémiques chez l’homme et la souris, en particulier dans le lupus érythémateux systémique (systemic lupus erythematosus, SLE) et l’hépatite auto-immune (autoimmune hepatitis, AIH).
Source de l’article
Cet article est le fruit d’une collaboration entre Konrad Gronke, Mytien Nguyen et d’autres membres d’équipes de recherche du Centre d’innovation Roche de Bâle (Roche Innovation Center Basel), de la Faculté de médecine de l’Université Yale (Yale University School of Medicine), de l’Université de Münster (University of Münster) et d’autres institutions, publié dans la revue Science Translational Medicine le 5 février 2025.
Déroulement et résultats de la recherche
1. E. gallinarum induit la différenciation des cellules Th17 humaines
L’équipe de recherche a d’abord utilisé des cellules mononucléées du sang périphérique (PBMCs) provenant de donneurs humains sains pour tester l’effet d’E. gallinarum et d’autres bactéries intestinales commensales sur la différenciation des cellules Th17. Les recherches ont montré qu’E. gallinarum pouvait augmenter de manière significative la sécrétion d’IL-17 et d’IFN-γ, induisant ainsi la différenciation des cellules Th17. Cet effet a été confirmé chez presque tous les donneurs, et comparé à d’autres entérocoques (comme E. faecalis et E. casseliflavus), E. gallinarum a montré un effet plus marqué. De plus, il a été découvert qu’E. gallinarum pouvait activer les monocytes via le récepteur Toll-like 8 (TLR8), favorisant ainsi davantage la différenciation des cellules Th17.
2. Migration et diffusion systémique d’E. gallinarum in vivo
Pour étudier le mécanisme de migration d’E. gallinarum in vivo, l’équipe de recherche a utilisé un modèle de souris gnotobiotiques (gnotobiotic mice) et les a colonisées de manière unique avec E. gallinarum. Grâce à des techniques d’immunohistochimie et de culture bactérienne, les chercheurs ont découvert qu’E. gallinarum pouvait traverser rapidement la barrière épithéliale intestinale, atteindre les ganglions lymphatiques mésentériques (mesenteric lymph nodes, MLNs), le foie et la rate. Cette migration est dépendante du temps, E. gallinarum se diffusant progressivement de l’intestin vers des organes plus distaux, pour finalement entrer dans la circulation systémique. Cette diffusion systémique est étroitement liée aux caractéristiques pathologiques d’une maladie lupique chez la souris.
3. E. gallinarum déclenche la production d’anticorps IgG3 et des réponses auto-anticorps
Les recherches ont également montré qu’E. gallinarum induit non seulement la différenciation des cellules Th17, mais favorise également la maturation des cellules B et conduit à la production d’anticorps de sous-classe IgG3. Dans un modèle de souris lupique, la colonisation unique par E. gallinarum a significativement augmenté le nombre de plasmocytes matures dans la rate et a élevé les niveaux d’auto-anticorps sériques ciblant l’ARN et l’ADN double brin (dsDNA). De plus, chez les patients atteints de SLE et d’AIH, les niveaux d’anticorps contre l’ARN d’E. gallinarum étaient significativement corrélés aux niveaux d’auto-anticorps contre l’ARN humain, en particulier pour les anticorps de sous-classe IgG3, où cette corrélation était particulièrement marquée.
4. Rôle clé du TLR8 dans la réponse immunitaire induite par E. gallinarum
L’équipe de recherche a révélé, via des expériences de knock-out génétique et d’inhibition pharmacologique, que le TLR8 est un récepteur clé dans la différenciation des cellules Th17 induite par E. gallinarum. L’ARN d’E. gallinarum peut activer le TLR8, tandis que l’ARN humain ne peut pas déclencher cette réponse. Cette découverte montre que l’ARN d’E. gallinarum, en tant que « motif moléculaire associé aux pathogènes (PAMP) », joue un rôle clé dans la réponse auto-immune. En outre, il a été découvert que l’hydroxychloroquine (HCQ) – un médicament couramment utilisé pour traiter le SLE – pouvait réduire significativement la différenciation des cellules Th17 en inhibant la voie de signalisation TLR8.
5. Rôle pathologique d’E. gallinarum dans une maladie lupique
Dans le modèle de souris lupique, l’introduction d’E. gallinarum a entraîné une protéinurie sévère et des lésions rénales, caractéristiques typiques de la néphrite lupique (lupus nephritis). Les recherches ont également montré que les dépôts d’anticorps IgG3 dans les reins étaient significativement corrélés à la gravité de la protéinurie, indiquant que les IgG3 jouent un rôle clé dans la néphropathie auto-immune.
Conclusion et signification
Cette étude révèle pour la première fois comment E. gallinarum induit la différenciation des cellules Th17 humaines et la production d’anticorps IgG3 via la voie de signalisation TLR8, déclenchant ainsi des réponses auto-immunes dans le lupus érythémateux systémique et l’hépatite auto-immune. Cela fournit non seulement de nouvelles perspectives mécanistes pour comprendre le rôle des microbes intestinaux dans les maladies auto-immunes, mais jette également les bases pour le développement de stratégies thérapeutiques précises basées sur les biomarqueurs de l’hôte et du microbiote. En outre, les résultats suggèrent que le ciblage de la voie TLR8 pourrait offrir une nouvelle direction pour le traitement des maladies auto-immunes.
Points forts de la recherche
- E. gallinarum est identifié pour la première fois comme un pathobionte intestinal clé induisant la différenciation des cellules Th17 humaines et la production d’anticorps IgG3.
- La voie de signalisation TLR8 joue un rôle central dans la réponse auto-immune déclenchée par E. gallinarum.
- L’étude révèle le rôle pathologique des anticorps IgG3 dans la néphropathie auto-immune, offrant une nouvelle cible pour le traitement du SLE.
- L’étude combine des modèles humains et murins, validant de manière exhaustive le mécanisme d’E. gallinarum dans les maladies auto-immunes systémiques.
Autres informations pertinentes
Cette étude fournit également des biomarqueurs potentiels pour le diagnostic précoce des maladies auto-immunes, comme les niveaux d’anticorps contre l’ARN d’E. gallinarum, qui pourraient servir d’indicateurs diagnostiques supplémentaires pour le SLE et l’AIH. En outre, les résultats soulignent l’importance des microbes intestinaux dans les maladies auto-immunes, fournissant un soutien théorique pour le développement futur de traitements basés sur le microbiote.