L'antagoniste des canaux calciques nimodipine inhibe les voies réflexes spinales chez l'homme

L’effet du bloqueur de canaux calciques Nimodipine sur les voies réflexes médullaires humaines

Contexte académique

Le contrôle du mouvement est une fonction essentielle du système nerveux, dans laquelle les voies réflexes médullaires jouent un rôle clé. Dans les études animales, les canaux calciques sensibles à la tension (voltage-sensitive calcium channels, VSCCs) sont considérés comme des facteurs importants dans la régulation de l’excitabilité des motoneurones et des interneurones. Cependant, le rôle de ces canaux dans le contrôle moteur humain n’est pas encore pleinement compris, en particulier leur potentiel dans le traitement de la spasticité. La spasticité est un trouble neurologique courant, souvent associé à des lésions de la moelle épinière, des accidents vasculaires cérébraux et la sclérose en plaques. Bien que les médicaments anti-spastiques couramment utilisés, comme le baclofène, soient efficaces, leurs effets secondaires et leur efficacité à long terme limitent leur utilisation.

Ainsi, l’objectif de cette étude est d’examiner l’effet aigu du bloqueur de canaux calciques Nimodipine sur les voies réflexes médullaires humaines et, en le comparant au baclofène, d’évaluer son potentiel en tant que traitement anti-spastique futur. Le Nimodipine est un bloqueur des canaux calciques de type L (LTCCs) approuvé par la FDA et l’EMA, possédant de bonnes propriétés pharmacocinétiques et peu d’effets secondaires. En étudiant l’effet du Nimodipine sur le réflexe H, le réflexe d’étirement et le réflexe cutané, cette étude vise à élucider son mécanisme d’action au niveau médullaire et à fournir des bases pour des traitements cliniques futurs.

Source de l’article

Cet article a été réalisé par Eva Rudjord Therkildsen, Jens Bo Nielsen et Jakob Lorentzen du Département de neurosciences de l’Université de Copenhague, au Danemark. Jens Bo Nielsen est également affilié à la Fondation Elsass, tandis que Jakob Lorentzen fait partie du Département de pédiatrie de l’Hôpital Universitaire de Copenhague. L’article a été publié pour la première fois le 20 décembre 2025 dans le Journal of Neurophysiology, avec le DOI 10.1152/jn.00585.2024.

Méthodologie de l’étude

Cette étude a utilisé un plan croisé en double aveugle, avec un total de 19 participants sains (âge moyen de 32 ans, 8 hommes et 11 femmes). Les participants ont reçu, sur deux jours distincts, une intervention avec du Nimodipine (comprimé de 60 mg) et du baclofène (comprimé de 25 mg), avec des mesures des réflexes médullaires avant l’intervention et à 30, 60 et 90 minutes après. Les mesures des réflexes incluaient le réflexe d’étirement du muscle soléaire (soleus), le réflexe H et le réflexe cutané du muscle tibial antérieur (tibialis anterior).

Étapes expérimentales détaillées :

  1. Mesure du réflexe H : Le réflexe H du muscle soléaire et la réponse M directe (réaction motrice) ont été induits par stimulation électrique du nerf tibial au niveau du creux poplité. Le rapport entre la valeur maximale du réflexe H et celle de la réponse M (rapport Hmax/Mmax) a été utilisé pour évaluer l’excitabilité réflexe médullaire.

  2. Mesure du réflexe d’étirement : Une perturbation rapide de l’articulation de la cheville, via une plaque contrôlée par ordinateur, a été utilisée pour étirer le muscle fléchisseur plantaire (soléaire), enregistrant ainsi la réponse électromyographique du réflexe d’étirement. Le réflexe d’étirement a été analysé à la fois au repos et lors d’une pré-contraction, en identifiant ses composantes (M1, M2, M3).

  3. Mesure du réflexe cutané : Une stimulation électrique du nerf sural a permis d’enregistrer le réflexe cutané du muscle tibial antérieur lors d’une pré-contraction. Le réflexe cutané typique comprend une inhibition précoce suivie d’une facilitation ultérieure.

Dans l’analyse des données, une ANOVA à mesures répétées unidirectionnelle (one-way repeated-measures ANOVA) a été utilisée pour évaluer les changements avant et après l’intervention, avec une correction de Geisser-Greenhouse pour tenir compte des violations de l’hypothèse de sphéricité.

Principaux résultats

  1. Changements du réflexe H : Le Nimodipine a significativement réduit le rapport Hmax/Mmax (p < 0,0001), avec une diminution moyenne de 12,5 % à 15,5 %. Le baclofène a montré un effet similaire mais moins marqué (p = 0,024), avec une réduction moyenne de 7,92 % à 11,7 %. L’amplitude de la réponse M n’a pas changé de manière significative avec les deux interventions, indiquant que l’effet du Nimodipine se situe principalement au niveau médullaire plutôt que périphérique.

  2. Changements du réflexe d’étirement : Le Nimodipine a significativement réduit le réflexe d’étirement du soléaire au repos (p = 0,0073), mais aucun changement significatif n’a été observé lors d’une pré-contraction. En revanche, l’effet du baclofène sur le réflexe d’étirement n’a pas atteint un niveau de signification statistique (p = 0,083).

  3. Changements du réflexe cutané : Le Nimodipine a montré une tendance à réduire l’inhibition précoce et la facilitation ultérieure après administration orale, mais sans atteindre une signification statistique (p = 0,050 et p = 0,065). Le baclofène a également montré une tendance similaire.

Conclusions et implications

Cette étude montre que le Nimodipine réduit significativement le réflexe H et le réflexe d’étirement au repos chez les individus sains, mais n’a pas d’effet significatif sur le réflexe d’étirement lors d’une pré-contraction. Ces résultats suggèrent que le Nimodipine pourrait inhiber les courants entrants persistants (persistent inward currents, PICs) dans les interneurones ou les motoneurones médullaires, réduisant ainsi l’excitabilité des réflexes médullaires. Cependant, les réflexes lors d’une pré-contraction ne sont pas affectés, ce qui indique que l’activation volontaire peut contrebalancer l’effet inhibiteur du Nimodipine.

Comparé au baclofène, le Nimodipine montre un effet plus marqué dans la réduction de l’excitabilité réflexe médullaire, en particulier sur le réflexe H et le réflexe d’étirement. Cette découverte fournit des preuves préliminaires du potentiel du Nimodipine en tant que traitement anti-spastique futur. De plus, le Nimodipine présente un bon profil de sécurité, avec aucun effet secondaire grave rapporté dans l’étude.

Points forts de l’étude

  1. Méthodologie innovante : Cette étude est la première à évaluer systématiquement l’effet du Nimodipine sur plusieurs voies réflexes médullaires chez des individus sains, en le comparant au baclofène, offrant ainsi des preuves préliminaires de son potentiel en tant que traitement anti-spastique.

  2. Mécanisme d’action des bloqueurs de canaux calciques : En révélant l’effet inhibiteur du Nimodipine sur les réflexes médullaires, cette étude fournit de nouvelles perspectives sur le rôle des canaux calciques dans le contrôle moteur humain.

  3. Potentiel clinique : La sécurité du Nimodipine et son effet notable sur les réflexes médullaires fournissent une base théorique pour son utilisation dans le traitement de la spasticité.

Autres informations utiles

Les chercheurs ont également souligné les limites de l’étude, comme l’absence de groupe placebo et le fait que les changements réflexes chez les individus sains pourraient différer de ceux observés chez les patients spastiques. Les recherches futures devraient explorer davantage l’effet du Nimodipine chez les patients spastiques et utiliser des méthodes de mesure physiologique plus précises (comme l’enregistrement électrophysiologique médullaire) pour valider son mécanisme d’action.

Cette étude fournit non seulement une base scientifique pour l’utilisation du Nimodipine comme traitement anti-spastique, mais ouvre également de nouvelles voies de recherche sur le rôle des canaux calciques dans la modulation des réflexes médullaires chez l’humain.