Certification de la durabilité des pratiques pastorales en Mongolie
Contexte
À l’échelle mondiale, les pratiques agricoles non durables ont entraîné la dégradation des écosystèmes, en particulier le surpâturage qui détruit les écosystèmes des prairies. La Mongolie, deuxième producteur mondial de cachemire, voit ses pratiques pastorales nomades jouer un rôle crucial dans son économie, sa culture et ses écosystèmes. Cependant, avec l’augmentation du nombre de chèvres, le problème du surpâturage s’aggrave, entraînant la dégradation de la végétation des prairies, l’érosion des sols et la perte d’habitats pour la faune sauvage. Pour répondre à ce problème, le gouvernement mongol, en collaboration avec les Nations Unies, a désigné 2026 comme “Année internationale des prairies et des pasteurs”, visant à promouvoir des pratiques pastorales durables.
Les programmes de certification, en tant qu’outils pour inciter à une gestion durable des terres, ont été appliqués dans plusieurs domaines. Cependant, les programmes de certification existants font face à de nombreux défis lors de l’évaluation de la durabilité, notamment la complexité des méthodes d’évaluation, les divergences d’opinions entre les parties prenantes et le “greenwashing” (écoblanchiment). Par conséquent, le développement d’une méthode d’évaluation transparente, reproductible et représentative des opinions des parties prenantes est devenu essentiel pour promouvoir des pratiques pastorales durables.
Source de l’article
Cette recherche a été menée par des chercheurs de plusieurs institutions, dont l’Arthur Rylah Institute for Environmental Research (ARI), la Wildlife Conservation Society (WCS), et Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), entre autres. Les principaux auteurs de l’article incluent Steve J. Sinclair, Khorloo Batpurev, et Canran Liu. L’étude a été publiée en mars 2025 dans la revue Nature Sustainability, sous le titre “Certifying the Sustainability of Herding Practices in Mongolia”.
Processus de recherche
1. Conception de l’étude et définition des variables
L’étude visait à développer une méthode d’évaluation de la durabilité basée sur les opinions des parties prenantes, et à l’appliquer à la production de cachemire en Mongolie. L’équipe de recherche a d’abord défini 19 variables, couvrant le contexte des pratiques pastorales (comme les conditions météorologiques), les comportements (comme les stratégies de pâturage) et les résultats (comme le taux de survie des chèvres, la couverture végétale, etc.). Ces variables étaient basées sur les critères existants du Comité de certification du cachemire durable (S3C) et ont été ajustées à la suite d’entretiens préliminaires avec 11 éleveurs.
2. Conception des scénarios et consultation des parties prenantes
L’équipe de recherche a créé 245 scénarios hypothétiques mais plausibles de pratiques pastorales, chaque scénario décrivant le comportement et les résultats d’une famille d’éleveurs sur une année. Ces scénarios ont été présentés aux parties prenantes sous forme de cartes A5, incluant des éleveurs, des scientifiques et des décideurs politiques. Au total, 151 participants ont évalué ces scénarios, en attribuant un score de durabilité (de 0 à 100) et en jugeant si la certification était justifiée.
3. Modélisation et analyse des données
Sur la base des données d’évaluation des parties prenantes, l’équipe de recherche a utilisé deux méthodes d’apprentissage automatique : la forêt aléatoire (Random Forest) et le boosting de gradient (Gradient Boosting) pour construire des modèles prédictifs des scores de durabilité. Le modèle de forêt aléatoire a montré les meilleures performances et a été utilisé pour les analyses ultérieures. Le modèle, en prédisant les scores médians, a permis de transformer des pratiques pastorales complexes en un outil d’évaluation simple.
4. Développement du modèle filtré
Pour révéler les différences d’opinion entre les producteurs et les certificateurs, l’équipe de recherche a développé un “modèle filtré”. Ce modèle a exclu les scénarios qui ont reçu des scores élevés malgré une couverture végétale insuffisante dans les pâturages d’hiver. Le modèle filtré a mis davantage l’accent sur les résultats environnementaux, en particulier les changements dans la couverture végétale.
Résultats principaux
1. Diversité des évaluations des parties prenantes
Les évaluations des parties prenantes sur les scénarios de pratiques pastorales ont montré une grande variabilité, avec 13 % des scénarios ayant des scores allant de 0 à 100, indiquant un manque de consensus sur les pratiques durables. Cependant, lorsque les scores médians ont été utilisés, des tendances claires sont apparues dans les données. Par exemple, des scores plus élevés étaient corrélés à des taux de survie des chèvres et d’acceptation des fibres de cachemire plus élevés.
2. Capacité prédictive des modèles
Le modèle de forêt aléatoire a montré de bonnes performances dans la prédiction des scores médians (R²=0.46). Le modèle a prédit que les scénarios avec des scores supérieurs à 41,99 étaient plus susceptibles d’être certifiés. Les variables les plus influentes dans le modèle incluaient le taux d’acceptation des fibres de cachemire (fibre_accept) et le nombre de chèvres en fin de saison (goat_end).
3. Résultats du modèle filtré
Le modèle filtré a montré des performances similaires au modèle complet (R²=0.47), mais il a mis davantage l’accent sur les résultats environnementaux, en particulier la couverture végétale (veg_cov_dep). Le modèle filtré n’a plus récompensé les scénarios avec une augmentation du nombre de chèvres, sauf si d’autres variables indiquaient que les pratiques pastorales étaient durables.
Conclusion de l’étude
Cette recherche a développé une méthode d’évaluation de la durabilité basée sur les opinions des parties prenantes, capable de transformer des pratiques pastorales complexes en un outil d’évaluation simple. Cette méthode présente plusieurs innovations : (1) l’utilisation des opinions des parties prenantes comme source d’information ; (2) l’utilisation de l’apprentissage automatique pour traiter des espaces de décision complexes ; (3) l’intégration de scores continus et de recommandations binaires de certification ; (4) la possibilité de “filtrage” pour révéler les différences d’opinion entre différents groupes de parties prenantes.
L’outil d’évaluation développé peut être appliqué à tout système de production, à condition que les variables des pratiques de production puissent être clairement exprimées et que des parties prenantes appropriées soient disponibles pour l’évaluation. Cette méthode améliore non seulement la transparence et la crédibilité des programmes de certification, mais elle offre également une plateforme pour la négociation entre producteurs et certificateurs.
Points forts de l’étude
- Participation des parties prenantes : L’étude a largement sollicité les opinions des éleveurs, des scientifiques et des décideurs politiques, garantissant la représentativité et la transparence de la méthode d’évaluation.
- Application de l’apprentissage automatique : Grâce au modèle de forêt aléatoire, l’étude a réussi à transformer des pratiques pastorales complexes en un outil d’évaluation opérationnel.
- Modèle filtré : Le modèle filtré a révélé les différences d’opinion entre producteurs et certificateurs, offrant une nouvelle perspective sur l’évaluation de la durabilité.
- Potentiel d’application large : Cette méthode ne se limite pas à la production de cachemire en Mongolie et peut être étendue à d’autres systèmes de production, offrant une valeur d’application étendue.
Signification de l’étude
Cette recherche propose une nouvelle méthode d’évaluation pour les programmes de certification durable, capable de répondre efficacement aux problèmes d’asymétrie d’information et de “greenwashing”. En intégrant les opinions des parties prenantes et les technologies d’apprentissage automatique, l’étude améliore non seulement la précision et la transparence des évaluations, mais elle fournit également un outil important pour promouvoir le développement durable de l’agriculture mondiale.