Les doses actuelles d'antifongiques sont-elles suffisantes pour les patients gravement malades ? Résultats d'une étude pharmacocinétique internationale et multicentrique sur l'exposition aux antifongiques dans les unités de soins intensifs—L'étude SAFE-ICU
Une étude internationale multicentrique révèle des problèmes de sous-dosage des antifongiques chez les patients gravement malades
Contexte académique
Les infections fongiques invasives (invasive fungal infections) sont des infections nosocomiales courantes et graves, en particulier chez les patients en unité de soins intensifs (ICU), avec des taux élevés de morbidité et de mortalité. Un traitement antifongique rapide et approprié est un facteur clé pour améliorer le pronostic des patients. Cependant, la pharmacocinétique (pharmacokinetics, PK) chez les patients gravement malades change souvent de manière significative en raison de dysfonctionnements d’organes, de déplacements liquidiens et de médicaments concomitants, ce qui rend les doses standards incapables d’atteindre les effets thérapeutiques optimaux. Ce problème est particulièrement évident avec les antifongiques, car de nombreux antifongiques présentent des risques de toxicité significatifs, notamment hépatotoxicité et néphrotoxicité. Par conséquent, déterminer la dose optimale d’antifongiques chez les patients gravement malades, afin qu’elle soit à la fois efficace pour traiter l’infection et minimise les effets indésirables, devient une question importante dans la pratique clinique.
Bien qu’il existe déjà des études sur la pharmacocinétique des antifongiques chez les patients gravement malades, ces recherches sont principalement des études monocentriques avec de petits échantillons, dont les résultats manquent de généralisation et ont une signification limitée pour orienter les recommandations de dosage clinique. Pour résoudre ce problème, une équipe internationale de chercheurs a mené une étude pharmacocinétique multicentrique appelée “SAFE-ICU” afin d’évaluer l’efficacité des doses contemporaines d’antifongiques chez les patients gravement malades.
Source de l’article
Cette recherche a été réalisée par plusieurs chercheurs de différents pays, les principaux auteurs incluant Jason A. Roberts (University of Queensland Centre for Clinical Research), Fekade B. Sime, Jeffrey Lipman, etc. L’équipe de recherche couvre 30 centres ICU issus de plusieurs pays et régions, y compris l’Australie, les Pays-Bas, la Belgique, la Grèce, la Malaisie, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, Hong Kong en Chine et l’Autriche. Cette étude a été publiée en 2025 dans la revue Intensive Care Medicine, avec des données provenant d’une étude prospective, ouverte et multicentrique sur la pharmacocinétique menée entre 2017 et 2018.
Processus de recherche et résultats
1. Conception de l’étude et inclusion des patients
L’étude SAFE-ICU est une étude pharmacocinétique prospective et multicentrique visant à évaluer l’efficacité des traitements antifongiques triazoles (azoles), échinocandines (echinocandins) et polyènes (polyenes) chez les patients gravement malades. L’étude a inclus 339 patients en ICU qui avaient reçu des prescriptions d’antifongiques pour le traitement ou la prévention des infections fongiques invasives. L’âge médian des patients était de 62 ans, le score APACHE II médian était de 22, et 61 % étaient des hommes. Le traitement antifongique était principalement utilisé pour le traitement (80,8 %), et le fluconazole (fluconazole) était le médicament le plus couramment prescrit (40,7 %).
2. Échantillonnage pharmacocinétique et analyse
L’étude a procédé à des prélèvements sanguins à deux moments du traitement antifongique (jours 1 à 3 et jours 4 à 7). Trois échantillons ont été prélevés à chaque moment : le premier échantillon a été prélevé 30 minutes après la fin de l’administration intraveineuse, le deuxième échantillon entre 3 et 6 heures après le début de l’infusion ou de la dose entérale, et le troisième échantillon dans les 30 minutes précédant la prochaine dose prévue. Les concentrations totales dans les échantillons de plasma ont été mesurées par chromatographie, et les paramètres pharmacocinétiques ont été estimés à l’aide de méthodes non compartimentales (noncompartmental methods). L’adéquation des doses d’antifongiques a été évaluée en fonction des objectifs PK/PD prédéfinis (pharmacokinetic/pharmacodynamic targets).
3. Résultats principaux
Les résultats ont montré que parmi les 339 patients, il y avait au total 349 cycles de traitement antifongique. Globalement, chez les patients recevant un traitement prophylactique, plus de 80 % des patients atteignaient les cibles d’exposition pour la plupart des médicaments. Cependant, chez les patients recevant un traitement curatif, les taux d’atteinte des cibles étaient relativement bas pour le voriconazole (voriconazole), le posaconazole (posaconazole), le micafungine (micafungin) et l’amphotéricine B (amphotericin B), respectivement de 57,1 %, 63,2 %, 64,1 % et 41,7 %. Cela montre que les schémas posologiques actuels n’ont pas réussi à atteindre les niveaux d’exposition nécessaires pour un traitement optimal avec ces médicaments.
De plus, l’étude a révélé que les sites d’infection (par exemple, accès vasculaire, poumons, peau et abcès du système nerveux central) étaient associés à des taux d’atteinte des cibles plus faibles et à des taux d’échec clinique plus élevés. L’utilisation de vasopresseurs ou d’inotropes était associée à des taux d’atteinte des cibles plus élevés, mais les mécanismes spécifiques de ce phénomène nécessitent encore des recherches supplémentaires. L’étude a également trouvé une corrélation significative entre des scores élevés de SOFA (Sequential Organ Failure Assessment) et des taux d’échec clinique et de mortalité à 30 jours.
4. Conclusion et implications
Cette étude a systématiquement évalué pour la première fois, à l’échelle internationale, les caractéristiques pharmacocinétiques et les taux d’atteinte des cibles des antifongiques chez les patients gravement malades. Les résultats montrent que les doses contemporaines d’antifongiques sont souvent insuffisantes chez les patients gravement malades, en particulier pour le voriconazole, le posaconazole, le micafungine et l’amphotéricine B. Cette découverte souligne la nécessité d’optimiser les doses d’antifongiques chez les patients gravement malades, en particulier pour les ajustements posologiques individualisés et la surveillance thérapeutique des médicaments (therapeutic drug monitoring, TDM) chez les patients à haut risque.
En outre, l’étude indique que les recherches futures doivent se concentrer davantage sur les doses de charge initiales (loading dose) des antifongiques afin d’assurer un niveau d’exposition efficace dès le début du traitement. La collecte de données sur les concentrations minimales inhibitrices (minimum inhibitory concentration, MIC) des pathogènes contribuera également à évaluer plus précisément les taux d’atteinte des cibles des antifongiques et le pronostic des patients.
Points forts de l’étude
- Conception multicentrique avec un grand échantillon : Cette étude a inclus pour la première fois des centres ICU de 12 pays, offrant un échantillon important et des résultats ayant une forte généralisation.
- Évaluation pharmacocinétique : À travers un échantillonnage et une analyse pharmacocinétique rigoureux, l’étude a révélé une variabilité significative et des insuffisances dans l’exposition aux antifongiques chez les patients gravement malades.
- Recommandations de dosage individualisé : Les résultats de l’étude fournissent des bases importantes pour l’ajustement posologique individualisé des antifongiques chez les patients gravement malades, en particulier pour l’optimisation du traitement chez les patients à haut risque.
- Promotion de la surveillance thérapeutique des médicaments : L’étude met en avant l’importance de la surveillance thérapeutique des médicaments dans le traitement antifongique chez les patients gravement malades, offrant une nouvelle direction pour la pratique clinique.
Autres informations précieuses
L’étude mentionne également que certains antifongiques (par exemple, le voriconazole) ont une fenêtre thérapeutique étroite, et une exposition excessive peut entraîner des réactions toxiques. Par conséquent, tout en augmentant les doses, il est nécessaire de surveiller attentivement les concentrations de médicaments pour garantir la sécurité et l’efficacité du traitement. De plus, l’équipe de recherche appelle à des recherches futures pour explorer davantage les caractéristiques pharmacocinétiques des antifongiques chez des groupes spécifiques de patients (par exemple, ceux recevant un traitement de remplacement rénal continu) afin d’optimiser les schémas posologiques.
L’étude SAFE-ICU fournit des bases scientifiques importantes pour l’optimisation des doses dans le traitement antifongique chez les patients gravement malades, promouvant ainsi des stratégies de traitement personnalisées dans la pratique clinique.