Efficacité et sécurité du darolutamide en combinaison avec la thérapie de privation d'androgènes chez les patients atteints d'un cancer de la prostate métastatique sensible aux hormones

Darolutamide en combinaison avec la thérapie de privation androgénique chez les patients atteints de cancer de la prostate métastatique sensible aux hormones : résultats de l’essai de phase III ARANOTE

Contexte académique

Le cancer de la prostate métastatique sensible aux hormones (mHSPC) est un type courant de cancer de la prostate. Les patients répondent généralement au traitement par la thérapie de privation androgénique (androgen-deprivation therapy, ADT) pendant un certain temps. Cependant, la plupart des patients finissent par développer un cancer de la prostate métastatique résistant à la castration (metastatic castration-resistant prostate cancer, mCRPC), un stade associé à un pronostic sombre et à une qualité de vie significativement réduite. Par conséquent, retarder la progression du mHSPC vers le mCRPC est crucial non seulement pour la survie globale (overall survival, OS) des patients, mais aussi pour améliorer leur qualité de vie.

Ces dernières années, plusieurs essais de phase III ont montré que l’ADT combinée à des inhibiteurs de la voie des récepteurs aux androgènes (comme l’abiratérone, l’enzalutamide ou l’apalutamide) peut prolonger de manière significative l’OS des patients atteints de mHSPC et retarder leur progression vers le mCRPC. Cependant, l’utilisation de ces thérapies combinées dans la pratique clinique reste confrontée à de nombreux défis, notamment l’accessibilité des médicaments, la tolérance, la sécurité, les interactions médicamenteuses et la formation des prestataires de soins. Ainsi, la recherche d’un traitement efficace pour retarder la progression de la maladie tout en offrant une bonne tolérance est devenue un besoin important dans le domaine du traitement du mHSPC.

Le darolutamide est un inhibiteur puissant et structurellement distinct des récepteurs aux androgènes, avec une faible pénétration de la barrière hémato-encéphalique et un potentiel limité d’interactions médicamenteuses, ce qui le rend particulièrement adapté aux patients âgés et à ceux nécessitant une polythérapie. Des essais de phase III précédents ont déjà démontré l’efficacité et la sécurité du darolutamide dans le cancer de la prostate non métastatique résistant à la castration (nmCRPC) et le mHSPC. Sur la base de ces résultats positifs, l’essai ARANOTE a été conçu pour évaluer l’efficacité et la sécurité du darolutamide en combinaison avec l’ADT (sans chimiothérapie) chez les patients atteints de mHSPC.

Source de l’article

Cette étude a été menée par Fred Saad et 17 autres auteurs, issus de plusieurs institutions médicales renommées à travers le monde, notamment l’Hôpital de l’Université de Montréal au Canada, l’Hôpital clinique universitaire P. Stradiņš en Lettonie et le Carolina Urologic Research Center aux États-Unis. L’article a été publié le 16 septembre 2024 dans le Journal of Clinical Oncology (JCO), avec le DOI suivant : https://doi.org/10.1200/JCO-24-01798.

Déroulement de l’étude

Conception de l’essai

L’essai ARANOTE est un essai clinique de phase III mondial, randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, parrainé par Bayer et Orion Pharma. L’essai a été mené dans 133 centres répartis dans 15 pays, couvrant l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Afrique du Sud. La conception de l’essai a été réalisée par le premier auteur et Bayer, et tous les protocoles et documents pertinents ont été approuvés par les comités d’éthique de chaque site. L’essai a été mené conformément aux principes de la Déclaration d’Helsinki et aux lignes directrices de bonnes pratiques cliniques de l’ICH-GCP. Tous les patients ont signé un consentement éclairé avant leur inclusion.

Patients et interventions

Les patients éligibles étaient des hommes âgés de 18 ans ou plus, avec un adénocarcinome de la prostate confirmé histologiquement ou cytologiquement, et une maladie métastatique confirmée par imagerie conventionnelle. Les patients devaient avoir un score de performance ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) de 0 à 2 et avoir commencé l’ADT dans les 12 semaines précédant la randomisation. Les patients ont été randomisés dans un rapport 2:1 pour recevoir soit 600 mg de darolutamide deux fois par jour, soit un placebo, tout en continuant l’ADT. Le traitement a été poursuivi jusqu’à la progression radiologique de la maladie, une toxicité inacceptable, le début d’un nouveau traitement anticancéreux, la décision du patient ou du médecin, ou une interruption du traitement pendant plus de 28 jours consécutifs.

Évaluations de l’étude

Pendant le traitement et le suivi actif, les patients ont été évalués lors de visites cliniques toutes les 12 semaines. Le critère principal était la survie sans progression radiologique (radiological progression-free survival, rPFS), évaluée par un examen central des images conventionnelles. Les critères secondaires comprenaient l’OS, le temps jusqu’au début d’un traitement anticancéreux systémique ultérieur, le temps jusqu’à la progression en mCRPC, le temps jusqu’à la progression du PSA, le taux de PSA ,2 ng/ml et le temps jusqu’à la progression de la douleur. Les événements indésirables (adverse events, AEs) ont été classés selon les critères communs de terminologie des événements indésirables du National Cancer Institute (CTCAE v5.0).

Analyse statistique

Le calcul de la taille de l’échantillon était basé sur la différence attendue dans le critère principal (rPFS). Environ 665 patients étaient nécessaires pour observer 214 événements de progression, avec un taux d’abandon de 33% pour le suivi de la rPFS, afin de garantir une puissance statistique de 90%. L’analyse principale a utilisé un test du log-rank stratifié, et les critères secondaires ont été analysés à l’aide d’un modèle de régression de Cox stratifié.

Résultats principaux

Caractéristiques des patients

De mars 2021 à août 2022, 669 patients ont été randomisés, dont 446 ont reçu du darolutamide en combinaison avec l’ADT et 223 ont reçu un placebo en combinaison avec l’ADT. L’âge médian des patients était de 70 ans, 31,2% étaient asiatiques et 9,7% étaient noirs. La plupart des patients avaient un score de performance ECOG de 0 (49,8%) ou 1 (47,2%), et 68,3% avaient un score de Gleason ≥8. 72,5% des patients avaient une maladie métastatique de novo, et 12,0% avaient des métastases viscérales.

Critère principal

À la date de coupure pour l’analyse principale (7 juin 2024), le darolutamide en combinaison avec l’ADT a significativement amélioré la rPFS, réduisant le risque de progression radiologique ou de décès de 46% par rapport au placebo combiné à l’ADT (HR=0,54, IC à 95% : 0,41-0,71, p,0001). La rPFS médiane n’a pas été atteinte dans le groupe darolutamide, contre 25,0 mois dans le groupe placebo. Les bénéfices de la rPFS avec le darolutamide étaient cohérents dans tous les sous-groupes, y compris les patients avec une maladie de volume élevé ou faible.

Critères secondaires

À la date de coupure pour l’analyse principale, les résultats de l’OS suggéraient un bénéfice avec le darolutamide par rapport au placebo (HR=0,81, IC à 95% : 0,59-1,12), et des bénéfices cliniques ont été observés pour tous les autres critères secondaires. Le darolutamide a significativement prolongé le temps jusqu’à la progression en mCRPC (HR=0,40, IC à 95% : 0,32-0,51) et le temps jusqu’à la progression de la douleur (HR=0,72, IC à 95% : 0,54-0,96). De plus, la proportion de patients avec un PSA ,2 ng/ml était significativement plus élevée dans le groupe darolutamide que dans le groupe placebo (62,6% contre 18,5%).

Sécurité

Les taux d’événements indésirables étaient similaires dans les groupes darolutamide et placebo, la plupart des événements étant de grade 1 ou 2. L’incidence de la fatigue était plus faible dans le groupe darolutamide que dans le groupe placebo (5,6% contre 8,1%), et moins de patients ont arrêté le traitement en raison d’événements indésirables dans le groupe darolutamide (6,1% contre 9,0%).

Conclusion

Les résultats de l’essai ARANOTE confirment l’efficacité et la tolérance du darolutamide en combinaison avec l’ADT chez les patients atteints de mHSPC, avec une amélioration significative de la rPFS et un profil de sécurité favorable. Ces résultats offrent une nouvelle option de traitement pour les patients atteints de mHSPC, en particulier pour ceux qui ne sont pas candidats à la chimiothérapie.

Points forts de l’étude

  1. Amélioration significative de la rPFS : Le darolutamide en combinaison avec l’ADT a réduit de manière significative le risque de progression radiologique ou de décès, avec des bénéfices cohérents dans tous les sous-groupes.
  2. Profil de sécurité favorable : Les événements indésirables avec le darolutamide étaient rares, et l’incidence de la fatigue était plus faible que dans le groupe placebo.
  3. Applicabilité large : L’essai a inclus des patients de diverses régions du monde, y compris des patients âgés et de différentes origines ethniques, ce qui rend les résultats largement représentatifs.

Signification de l’étude

Les résultats de l’essai ARANOTE soutiennent davantage l’utilisation du darolutamide dans le traitement du mHSPC, en particulier en l’absence de chimiothérapie. L’efficacité et la sécurité du darolutamide en font une option de traitement importante pour les patients atteints de mHSPC, en particulier pour ceux qui ne sont pas candidats à la chimiothérapie ou qui ont une faible tolérance à celle-ci. De plus, cette étude fournit une référence importante pour les futurs essais cliniques, contribuant à optimiser les stratégies de traitement du mHSPC.