Fibrose rénale dans les modèles in vitro et in vivo : vers des modèles humanisés physiologiquement pertinents
Les mécanismes de la fibrose rénale et les modèles de recherche : Vers des modèles plus proches de la physiologie humaine
Contexte de l’étude et déclaration du problème
La maladie rénale chronique (Chronic Kidney Disease, CKD) constitue un défi majeur de santé publique à l’échelle mondiale. On estime qu’elle touche plus de 10 % de la population mondiale, ce qui en fait l’une des principales causes de mortalité. En tant qu’élément clé de la CKD, la fibrose rénale (kidney fibrosis) perturbe la structure et la fonction des unités rénales, ou néphrons. Cependant, les mécanismes pathologiques sous-jacents restent encore mal compris. La recherche actuelle sur la fibrose rénale s’appuie principalement sur des modèles animaux qui, bien qu’ils permettent d’identifier certains mécanismes potentiels, présentent des limites importantes en termes de recherche translationnelle. En effet, ces modèles ne reproduisent pas pleinement la physiologie, le métabolisme et les voies moléculaires du rein humain. Par ailleurs, les modèles classiques de culture cellulaire en deux dimensions (2D), bien qu’ils servent de point de départ pour modéliser des maladies et tester des médicaments, ne simulent pas la complexité architecturale et fonctionnelle tridimensionnelle (3D) du rein. Ces limitations soulignent la nécessité de développer des modèles avancés et humanisés in vitro en 3D.
Origine de l’article
Cet article de revue a été réalisé par Gabriele Addario, Lorenzo Moroni et Carlos Mota, chercheurs affiliés au MERLN Institute for Technology-Inspired Regenerative Medicine de l’Université de Maastricht, aux Pays-Bas. L’article a été publié en 2025 dans la revue scientifique Advanced Healthcare Materials.
Contenu et analyse de l’étude
Cet article de revue synthétise les mécanismes physiopathologiques de la fibrose rénale et les modèles actuels de recherche, tout en explorant les perspectives concernant les modèles tridimensionnels avancés et physiologiquement pertinents. Les points principaux sont résumés ci-dessous :
1. Complexité du système urinaire et des reins
Les auteurs commencent par une présentation détaillée de la complexité anatomique et fonctionnelle du système urinaire. Celui-ci comprend les reins, les uretères, la vessie et l’urètre. Les reins, en tant qu’organes centraux, remplissent diverses fonctions physiologiques grâce à leurs unités fonctionnelles de base, les néphrons. Cela inclut la filtration des déchets métaboliques, la régulation de l’équilibre hydro-électrolytique et acido-basique, la régulation de la pression artérielle et des niveaux hormonaux, ainsi que l’activation de la vitamine D et la régulation du calcium. Les reins sont constitués du cortex et de la médulla, où se trouvent des millions de néphrons, chacun composé d’un corpuscule rénal et d’un tubule rénal. La complexité structurelle et la diversité cellulaire rendent les reins vulnérables aux pathologies telles que la fibrose, le cancer et la néphropathie diabétique.
Un autre aspect important de ce contexte de recherche est l’interaction complexe entre les cellules et la matrice extracellulaire (extracellular matrix, ECM). L’ECM rénale est un réseau dynamique constitué principalement de collagène et de protéoglycanes, offrant des signaux physico-chimiques et biomécaniques essentiels à la morphogenèse tissulaire. Tout déséquilibre dans la composition ou la structure de l’ECM peut entraîner des conditions pathologiques telles que la fibrose.
2. Mécanismes pathologiques de la fibrose rénale
La fibrose rénale représente une caractéristique clé de la CKD. Elle se manifeste par un déséquilibre entre la production excessive et la dégradation limitée de l’ECM, entraînant des dommages irréversibles à la structure et à la fonction des néphrons. L’article explore en détail les déclencheurs et les mécanismes pathologiques de la fibrose :
Origine controversée des fibroblastes
Les fibroblastes, principaux acteurs de la production excessive de l’ECM, sont au cœur du débat en raison de leur origine incertaine. Plusieurs hypothèses sont proposées : transformation endothélio-mésenchymateuse (EndMT) à partir de cellules endothéliales, transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) des cellules tubulaires, ou contribution de fibroblastes dérivés de la moelle osseuse. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires, ces mécanismes offrent des perspectives importantes pour comprendre la diversité des voies menant à la fibrose.Réseau de signaux pathologiques
La fibrose est fortement influencée par la voie de signalisation du facteur de croissance transformant β (Transforming Growth Factor-β, TGF-β), qui joue un rôle central dans l’activation des fibroblastes et la synthèse de l’ECM. D’autres déclencheurs incluent les stimulations telles que l’hypoxie, la protéinurie et l’exposition à des toxines.
3. État actuel des diagnostics et des traitements
Les outils de diagnostic actuels reposent principalement sur des biomarqueurs non invasifs (tels que le taux de filtration glomérulaire et la protéinurie) et des biopsies de tissus invasives. Cependant, ces méthodes présentent des limites en termes de précision et de sensibilité pour les phases précoces de la maladie. Les biopsies, en particulier, sont associées à des risques liés à leur caractère invasif.
En ce qui concerne les traitements, aucun médicament efficace contre la fibrose rénale n’a été approuvé à ce jour. L’article mentionne des candidats moléculaires à l’étude, tels que des inhibiteurs de la voie TGF-β (par exemple, Remdesivir et Pirfenidone). Malgré certains effets anti-fibrotiques observés dans des essais précliniques, ces médicaments échouent fréquemment lors de la transition vers les essais cliniques. Cela met en lumière le besoin urgent de modèles avancés de criblage de médicaments.
4. Types et limites des modèles actuels
L’article fournit une vue d’ensemble des modèles existants, en évaluant les avantages et les inconvénients des modèles 2D in vitro, in vivo, ainsi que des modèles 3D avancés :
Applications et limites des modèles animaux
Les rongeurs, en particulier les souris et les rats, sont les modèles animaux les plus utilisés pour étudier la fibrose rénale. Ils ont permis de révéler des mécanismes fondamentaux, comme celui lié au TGF-β. Cependant, ces modèles ont des limitations évidentes pour la recherche translationnelle humaine, en raison de différences physiologiques, métaboliques et pharmacologiques. Les principes éthiques des 3R (Remplacement, Réduction, Raffinement) incitent également au développement d’alternatives aux modèles animaux.Limites des cultures cellulaires 2D
Bien que largement utilisées, les cultures cellulaires 2D ne reproduisent pas la complexité architecturale et les interactions cellulaires du milieu tridimensionnel du rein. Elles entraînent des limitations fonctionnelles, ce qui complique l’étude des processus pathologiques comme la fibrose.Potentiel des modèles avancés en 3D
L’article explore des approches innovantes en 3D, telles que les sphéroïdes, les organoïdes, les modèles sur puce (on-chip models) et la biofabrication. Bien que prometteurs, ces modèles présentent encore certaines limitations, notamment en maturité et en complexité. Les technologies émergentes, telles que l’impression 3D et les systèmes microfluidiques, offrent des avancées en permettant des environnements multicellulaires et dynamiques.
5. Perspectives et importance future
L’article conclut en mettant en évidence la nécessité de combiner plusieurs stratégies pour créer des structures proches d’organes rénaux complets. Ces modèles offriraient une architecture complexe et hautement physiologique. Les perspectives incluent :
- Avancées scientifiques : approfondir la compréhension des mécanismes de la fibrose.
- Avancées appliquées : fournir des outils alternatifs pour le modélisme des maladies et le développement de médicaments.
Cet article souligne combien des modèles 3D avancés in vitro, physiologiquement pertinents et humanisés, peuvent dépasser les limitations des modèles traditionnels. La synthèse apportée par les auteurs constitue une contribution majeure pour la recherche sur la fibrose rénale et met en lumière le potentiel des technologies intégrées pour accélérer le développement de nouvelles thérapies.