Un spécimen d'herbier vieux d'un siècle fournit des informations sur l'émergence de la maladie de Pierce des vignes en Amérique
Rapport concernant l’étude sur l’émergence de la maladie de Pierce à travers un spécimen d’herbier centenaire
La maladie de Pierce (Pierce’s Disease, PD) affectant la vigne est une menace significative pour l’industrie viticole. Elle est causée par le pathogène bactérien Xylella fastidiosa sous-espèce fastidiosa (Xff). Toutefois, les origines géographiques de ce pathogène, la période de son introduction en Amérique ainsi que ses voies de diffusion restent débattues. Pour répondre à ces questions, une équipe pluridisciplinaire dirigée par Monica A. Donegan et composée de scientifiques issus de l’Université de Californie à Berkeley, du Muséum national d’Histoire naturelle (CNRS, Paris) ainsi que d’autres institutions, a mené une étude novatrice. Ils ont réussi à reconstruire le génome complet d’un pathogène végétal à partir d’un spécimen d’herbier de vigne conservé depuis 1906 et ont réalisé des analyses phylogénétiques approfondies. Les résultats de cette étude, publiés en 2025 dans la revue Current Biology, redéfinissent la chronologie et les routes géographiques de la diffusion de cette maladie, apportant de précieuses contributions aux domaines tels que la biogéographie, la pathologie végétale, et la génomique historique.
Contexte et objectifs de l’étude
Xylella fastidiosa est un pathogène bactérien mondialement connu pour provoquer des maladies graves sur des cultures économiquement majeures. En plus de causer la maladie de Pierce sur la vigne, il affecte également les oliviers et les agrumes. Concernant son “établissement” en Amérique du Nord, deux hypothèses principales sont débattues : l’une suppose que Xff est endémique du sud-est des États-Unis, une hypothèse soutenue par la résistance de certaines vignes natives à la maladie ; l’autre postule que Xff a été introduit d’Amérique centrale en Amérique du Nord au cours des derniers siècles. Le manque de données géniques anciennes a limité la possibilité de trancher entre ces deux hypothèses.
Grâce aux avancées dans l’extraction d’ADN conservé dans des spécimens d’herbier, il est possible d’éclairer l’histoire évolutive de nombreuses maladies végétales. Par exemple, cette approche a permis de retrouver l’ADN du pathogène de la peste noire (Yersinia pestis) ou celui du pathogène responsable de la famine irlandaise (Phytophthora infestans). Cependant, jusqu’à présent, aucun génome ancien de Xylella fastidiosa n’avait été reconstruit. Cette étude, en révélant le génome complet d’un spécimen d’herbier vieux de plus de 100 ans, fournit une profondeur temporelle et une perspective évolutive inédites pour recalibrer la diffusion de Xff en Amérique.
Méthodologie
Cette étude adopte une méthodologie rigoureuse en plusieurs étapes, comprenant :
1. Sélection des spécimens et extraction de l’ADN
Les chercheurs ont sélectionné 10 spécimens d’herbier étiquetés comme atteints de maladies, conservés dans le Centre de Diversité Végétale de l’Université de Californie à Davis. Seul le spécimen DAV238006, collecté en 1906 à Modesto (Californie) et présentant des symptômes typiques de la maladie de Pierce, a été testé positif à Xylella fastidiosa via PCR quantitative (qPCR). Des analyses approfondies par séquençage Illumina ont généré 65 millions de lectures appariées à partir de cet extrait.
2. Caractérisation de l’ADN ancien et assemblage du génome
Les ADN anciens (aDNA) se distinguent par des niveaux élevés de fragmentation et des patterns spécifiques de dégradation chimique, comme la désamination de la cytosine. Après correction et nettoyage des lectures séquencées pour ces caractéristiques, les chercheurs ont assemblé un génome ancien de haute qualité, dénommé _Herb1906. L’assemblage contenait 195 contigs, avec une couverture moyenne très élevée (2036x), démontrant une qualité comparable à des génomes modernes. L’analyse par typage multilocus (MLST) a confirmé que _Herb1906 appartient au groupe commun ST1, fréquemment observé chez les souches infectant les vignes en Californie.
3. Phylogénétique et datation temporelle
Plus de 330 génomes modernes de Xff ont été inclus pour construire un arbre phylogénétique en maximum de vraisemblance, intégrant les données issues de _Herb1906. Des analyses temporelles basées sur un calendrier moléculaire utilisant BEAST ont estimé que l’introduction de Xff aux États-Unis a eu lieu entre 1734 et 1741, soit 70 ans avant les estimations précédentes (vers 1960).
4. Suivi de la diversité génétique et des routes de dispersion géographique
L’étude a révélé que _Herb1906 est regroupé avec une petite population génomique moderne originaire du comté de Mendocino, en Californie. Pourtant, il semble que Xff ait été introduit dans plusieurs régions de Californie à partir du sud-est des États-Unis, contredisant l’hypothèse d’une unique introduction en Californie.
Résultats et conclusions
Reconstruction du premier génome ancien complet de Xff : L’étude réussit à extraire un génome historique de haute qualité à partir d’un échantillon datant de 1906. Ceci permet d’étendre l’analyse génomique bien au-delà des données modernes.
Nouvelle datation des introductions aux États-Unis : Xff est probablement apparu en Amérique entre 1734 et 1741, soit 150 ans plus tôt que ce que l’on supposait auparavant. Cependant, en Californie, sa présence résulterait de multiples introductions depuis les États-Unis sud-orientaux.
Analyse de la diversité génétique : Même si la souche historique est génétiquement liée aux populations modernes du nord de la Californie, les résultats indiquent que Xff a connu plusieurs événements d’introduction indépendants en Californie, liés à l’expansion agricole historique.
Gains et pertes génomiques adaptatifs : Les comparaisons ont mis en évidence 17 événements de gains/pertes de gènes entre _Herb1906 et ses homologues modernes, suggérant des adaptations potentielles à des conditions locales ou écologiques spécifiques.
Signification et perspectives
Cette étude illustre le potentiel des collections d’herbiers pour élucider l’histoire des pathogènes végétaux. Non seulement elle redéfinit la chronologie de la diffusion de Xff, mais elle remet également en cause les hypothèses de transmission unique. Ces avancées sont cruciales pour comprendre l’expansion des pathogènes et pour développer des stratégies de gestion adaptées.
Cependant, des efforts de collaboration internationale sont nécessaires pour échantillonner davantage de spécimens d’herbiers dans des zones géographiques encore peu étudiées. Ces travaux pourraient enrichir les bases de données génomiques globales, permettant une meilleure reconstruction des routes de diffusion des pathogènes.
En conclusion, l’analyse génomique d’un spécimen d’herbier centenaire offre une nouvelle perspective sur l’histoire des maladies végétales et constitue une avancée significative pour les sciences du passé et la gestion du présent.