Megasphaera elsdenii, un membre commensal du microbiote intestinal, est associé à une production accrue de gaz lors de la fermentation in vitro
Les gaz intestinaux (flatulence) sont un phénomène courant dans la vie quotidienne, généralement produits par la fermentation des composants alimentaires non digérés par le microbiote intestinal (gut microbiota). Bien que les gaz intestinaux soient généralement inoffensifs, ils peuvent provoquer des inconforts, des ballonnements, et même être associés à des maladies chroniques telles que le syndrome du côlon irritable (irritable bowel syndrome, IBS). Certains aliments, en particulier ceux riches en fibres alimentaires comme les haricots et les patates douces, sont considérés comme étroitement liés à la production de gaz. Cependant, le rôle spécifique du microbiote intestinal dans la production de gaz n’est pas encore entièrement compris.
Ces dernières années, des études ont montré que certaines espèces clés du microbiote intestinal pourraient jouer un rôle important dans la production de gaz. Megasphaera elsdenii est une bactérie commensale courante dans l’intestin, connue pour métaboliser le lactate et produire des acides gras à chaîne courte (short-chain fatty acids, SCFAs) chez les ruminants, mais son rôle dans l’intestin humain n’a pas été suffisamment étudié. En particulier, on ignore si M. elsdenii est lié à la production de gaz intestinaux et quel est son mécanisme d’action lors de la fermentation de différents aliments. Par conséquent, cette étude vise à explorer le rôle de M. elsdenii dans la production de gaz intestinaux, en particulier lors de la fermentation des haricots et des patates douces.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par le professeur Devin J. Rose de l’Université du Nebraska-Lincoln (University of Nebraska–Lincoln) et son équipe, comprenant Erasme Mutuyemungu, Hollman A. Motta-Romero, Qinnan Yang, entre autres. La recherche a été soutenue par le Service de recherche agricole du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA Agricultural Research Service). L’article a été accepté le 15 décembre 2023 et publié en 2024 dans la revue Gut Microbiome, avec le DOI 10.1017/gmb.2023.18.
Processus de recherche
1. Sélection des échantillons fécaux
L’équipe de recherche a d’abord collecté des échantillons fécaux auprès de 30 donneurs sains, en sélectionnant ceux contenant M. elsdenii détectable (ME_D) et ceux n’en contenant pas (ME_ND). Au final, l’étude a utilisé 3 échantillons ME_D et 7 échantillons ME_ND comme sujets expérimentaux. Tous les donneurs n’avaient aucun antécédent de troubles gastro-intestinaux et n’avaient pas utilisé d’antibiotiques ou de probiotiques au cours des six derniers mois.
2. Préparation des substrats
L’étude a choisi deux aliments associés à la production de gaz — les haricots rouges (kidney beans) et les patates douces (sweet potatoes) — comme substrats de fermentation. Ces aliments ont été soumis à une digestion et une dialyse in vitro, puis lyophilisés et stockés pour les expériences ultérieures.
3. Expériences de fermentation in vitro
Les haricots rouges et les patates douces lyophilisés ont été fermentés in vitro avec des microbiotes fécaux. La fermentation a été réalisée dans des conditions anaérobies, et la production de gaz a été mesurée à 0 heure, 24 heures et 48 heures. Un milieu de fermentation modifié a été utilisé pour assurer que le microbiote fermente dans un environnement simulant l’intestin.
4. Mesure de la production de gaz
La production de gaz a été mesurée en insérant une aiguille dans le tube de fermentation, reliée à une seringue en verre. L’étude a enregistré le volume de gaz à 24 heures et 48 heures, et analysé les différences entre les échantillons.
5. Analyse des acides gras à chaîne courte (SCFA)
Les échantillons fermentés ont été centrifugés, et le surnageant a été utilisé pour l’analyse des SCFA. L’étude a utilisé la chromatographie en phase gazeuse (gas chromatography) pour mesurer les concentrations d’acétate (acetate), de propionate (propionate) et de butyrate (butyrate).
6. Analyse de la composition du microbiote
L’équipe de recherche a extrait l’ADN des précipités bactériens après fermentation et a analysé la composition du microbiote par séquençage du gène 16S rRNA. Les données de séquençage ont été traitées à l’aide du logiciel QIIME 2, et les séquences ont été débruitées et classées à l’aide de l’algorithme DADA2.
7. Expériences avec les isolats de M. elsdenii
Pour vérifier le rôle de M. elsdenii dans la production de gaz, l’équipe de recherche a utilisé deux isolats de M. elsdenii : l’un provenant de selles humaines (M. elsdenii 2FL 0620 M7) et l’autre de ruminants (M. elsdenii B159). Ces isolats ont été fermentés séparément sur des substrats de patates douces et d’acétate, et leur production de gaz a été mesurée.
Résultats principaux
1. Différences de production de gaz
Les résultats ont montré que les microbiotes contenant M. elsdenii (ME_D) produisaient significativement plus de gaz lors de la fermentation des patates douces que les microbiotes sans M. elsdenii (ME_ND). En particulier, après 48 heures de fermentation, les microbiotes ME_D produisaient plus de gaz avec les patates douces qu’avec les haricots rouges. En revanche, les microbiotes ME_ND produisaient plus de gaz avec les haricots rouges.
2. Changements dans l’abondance de M. elsdenii
Au cours de la fermentation, l’abondance relative de M. elsdenii a augmenté de manière significative dans les microbiotes ME_D, atteignant jusqu’à 60 % dans certains échantillons. Dans les microbiotes ME_ND, bien que l’abondance de M. elsdenii soit faible, elle était détectable après la fermentation.
3. Production d’acides gras à chaîne courte (SCFA)
Les microbiotes ME_D ont consommé plus d’acétate et produit plus de butyrate pendant la fermentation. En particulier, la production de butyrate a augmenté de manière significative lors de la fermentation des patates douces. Cela suggère que M. elsdenii pourrait utiliser l’acétate pour un phénomène de cross-feeding (alimentation croisée), produisant ainsi du butyrate et des gaz.
4. Production de gaz par les isolats de M. elsdenii
L’isolat M. elsdenii 2FL 0620 M7, provenant de selles humaines, a produit des volumes élevés de gaz sur les substrats de patates douces et d’acétate, avec la production la plus élevée sur un mélange des deux. En revanche, l’isolat M. elsdenii B159, provenant de ruminants, a produit le plus de gaz sur les patates douces, mais a mal utilisé l’acétate.
Conclusion et signification
Cette étude est la première à explorer systématiquement le rôle de M. elsdenii dans la production de gaz intestinaux, en particulier lors de la fermentation des haricots et des patates douces. Les résultats montrent que M. elsdenii est un membre important du microbiote intestinal, capable d’augmenter significativement la production de gaz, surtout lors de la fermentation des patates douces. De plus, M. elsdenii utilise l’acétate pour un phénomène de cross-feeding, favorisant ainsi la production de butyrate et augmentant encore la production de gaz.
La valeur scientifique de cette étude réside dans la mise en lumière du rôle clé de M. elsdenii dans la production de gaz intestinaux, offrant une nouvelle perspective pour comprendre la relation entre le microbiote intestinal et la fermentation des aliments. De plus, les résultats fournissent des cibles potentielles pour développer des interventions visant à réduire l’inconfort lié aux gaz intestinaux, par exemple en modulant la composition du microbiote intestinal.
Points forts de l’étude
- Découverte clé : M. elsdenii est un facteur clé dans la production de gaz intestinaux, en particulier lors de la fermentation des patates douces.
- Nouveauté : C’est la première étude à explorer systématiquement le rôle de M. elsdenii dans la fermentation de différents aliments et à valider l’hypothèse de la production de gaz par cross-feeding avec l’acétate.
- Valeur appliquée : Les résultats fournissent une base scientifique pour développer des interventions visant à réduire l’inconfort lié aux gaz intestinaux, par exemple en modulant le microbiote intestinal.
Autres informations utiles
L’étude a également révélé que l’abondance de M. elsdenii augmentait de manière significative pendant la fermentation, ce qui suggère une forte adaptabilité dans l’environnement intestinal. De plus, les isolats de M. elsdenii provenant de selles humaines et de ruminants présentaient des différences significatives dans leur capacité à produire des gaz, indiquant que l’origine de l’hôte pourrait influencer leurs propriétés métaboliques.
Cette étude offre de nouvelles perspectives pour comprendre la relation entre le microbiote intestinal et la fermentation des aliments, et pose les bases pour des recherches et des applications futures.