Changements dans la performance des lecteurs lors de la lecture séquentielle des examens de dépistage du cancer du sein par tomosynthèse numérique

Changements dans la performance des lecteurs lors de la lecture séquentielle des examens de tomosynthèse mammaire numérique pour le dépistage du cancer du sein

Contexte académique

Le cancer du sein est l’un des cancers les plus fréquents chez les femmes à l’échelle mondiale, et le dépistage précoce est crucial pour améliorer les taux de guérison. La mammographie numérique (Digital Mammography, DM) traditionnelle est la principale méthode de dépistage du cancer du sein, mais elle présente certaines limites dans la détection des lésions dans les zones de superposition des tissus mammaires. Ces dernières années, la tomosynthèse mammaire numérique (Digital Breast Tomosynthesis, DBT) est devenue un outil important pour le dépistage du cancer du sein. La DBT génère des images tridimensionnelles du sein, permettant une visualisation plus claire des tissus mammaires et réduisant les erreurs de diagnostic dues à la superposition des tissus. Plusieurs études cliniques ont montré que la DBT surpasse la DM traditionnelle dans le dépistage du cancer du sein (1-6). Par conséquent, de nombreux établissements de santé ont investi massivement dans l’acquisition et la modernisation des équipements DBT.

Cependant, avec l’utilisation croissante de la DBT dans le dépistage, les chercheurs se sont intéressés aux facteurs influençant la performance du dépistage, en particulier les variations de performance des lecteurs lors de la lecture par lots (Batch Reading). Des études ont montré que la lecture par lots de mammographies présente des effets séquentiels (Sequential Effects), c’est-à-dire que la performance des lecteurs varie en fonction de l’ordre de lecture. Par exemple, Taylor-Phillips et ses collègues ont observé dans un essai clinique à grande échelle au Royaume-Uni que le taux de rappel moyen des lecteurs diminuait de 6,4 % à 4,6 % au cours des 40 premiers examens d’un lot, sans changement significatif du taux de détection du cancer (8,9). Des résultats similaires ont été observés dans une étude observationnelle en Norvège (10). Ces études suggèrent que les lecteurs pourraient subir une adaptation visuelle (Visual Adaptation) au cours de la lecture, influençant ainsi leur performance.

Bien que ces études fournissent des indices importants pour comprendre les effets séquentiels dans la lecture par lots, elles se basent principalement sur des données de mammographie numérique plein champ (Full-Field Digital Mammography, FFDM) provenant de programmes de dépistage européens. Les pratiques de dépistage aux États-Unis diffèrent significativement de celles de l’Europe, notamment en termes de fréquence de dépistage et de taux de rappel (14-16). De plus, l’introduction de la DBT pourrait influencer davantage les effets séquentiels dans la lecture par lots. Par conséquent, cette étude vise à analyser les données cliniques de dépistage par DBT pour évaluer les changements de performance des lecteurs lors de la lecture par lots.

Source de l’article

Cet article a été co-écrit par Craig K. Abbey, Andriy I. Bandos, Mohana K. Parthasarathy, Michael A. Webster et Margarita L. Zuley. Les auteurs sont respectivement affiliés au département de psychologie et de sciences du cerveau de l’Université de Californie à Santa Barbara, au département de biostatistique de l’Université de Pittsburgh, au département de radiologie du Magee-Womens Hospital du centre médical de l’Université de Pittsburgh et au département de psychologie de l’Université du Nevada à Reno. L’article a été accepté le 15 août 2024 et publié dans le journal Radiology, volume 313, numéro 2.

Conception et méthodes de l’étude

Conception de l’étude

Cette étude est une étude observationnelle rétrospective et transversale, utilisant les données du système d’information radiologique (Radiology Information System, RIS) du Magee-Womens Hospital du centre médical de l’Université de Pittsburgh. Les données ont été collectées pour les examens de dépistage par DBT réalisés entre janvier 2018 et décembre 2019, avec comme référence les résultats pathologiques ou les résultats d’imagerie à un an de suivi. Les lots contenant moins de trois examens, les examens avec résultats le même jour et les radiologues ayant des modèles de lecture atypiques ont été exclus.

Collecte des données

Grâce aux requêtes du RIS, les chercheurs ont obtenu le temps de chaque examen, l’âge des patients, la densité mammaire et les résultats de suivi à un an. Le statut cancéreux a été vérifié via le système de registre du cancer (MetriQ; Elekta). Les taux de rappel, les taux de détection du cancer et les intervalles de temps entre les examens de dépistage ont été calculés pour chaque radiologue.

Acquisition et interprétation des images

Tous les examens DBT ont été reconstruits avec une épaisseur de 1 mm et des images mammographiques synthétiques en 2D ont été générées. Les radiologues ont interprété les résultats sur une station de travail dédiée à la mammographie (Hologic), qui ouvrait automatiquement le cas suivant dès que le précédent était finalisé. Un lot était défini comme une séquence d’examens lus consécutivement, avec un intervalle de temps entre les examens ne dépassant pas 10 minutes.

Analyse statistique

Les principaux critères d’évaluation étaient les taux de rappel et les temps d’interprétation au sein des lots. Des modèles linéaires généralisés mixtes (Generalized Linear Mixed Models, GLMM) ont été utilisés pour l’analyse statistique, prenant en compte les caractéristiques des patients (âge, densité mammaire), l’environnement de lecture (jour de la semaine, heure) et l’hétérogénéité entre les radiologues.

Résultats de l’étude

Caractéristiques de l’échantillon

L’étude a finalement inclus 121 652 examens de dépistage, comprenant 1 081 cas de cancer, interprétés par 15 radiologues. L’âge médian des patients était de 61 ans. Le nombre médian d’examens par lot était de sept, et la plupart des lots ne contenaient pas de cas de cancer (92 %).

Analyse des taux de rappel et des temps d’interprétation

Le taux de faux positifs non ajusté était de 15,5 % pour le premier examen du lot et diminuait à 10,5 % après trois examens consécutifs (p < 0,001), sans changement significatif de la sensibilité (82,6 % contre 84,2 % ; p = 0,15). Le temps d’interprétation diminuait progressivement au sein des lots, le temps moyen d’interprétation pour les examens non cancéreux passant de 2,8 minutes à 2,2 minutes (p < 0,001). L’analyse ajustée a montré que les changements dans les taux de faux positifs et les temps d’interprétation restaient significatifs.

Discussion

Cette étude révèle les effets séquentiels dans la lecture par lots de dépistage par DBT, montrant que les taux de faux positifs et les temps d’interprétation des lecteurs s’améliorent progressivement au sein des lots. Ces changements sont en partie attribuables à des biais de sélection, le premier examen d’un lot contenant potentiellement plus de cas complexes ou suspects. Cependant, l’analyse ajustée suggère que l’adaptation visuelle pourrait être un autre mécanisme important expliquant ces effets.

L’adaptation visuelle est une propriété des systèmes perceptifs qui permet d’ajuster la sensibilité en fonction de l’environnement stimulant actuel. Des études ont montré que la texture des mammographies induit une adaptation visuelle, influençant la perception et la performance des lecteurs (11-13). Dans cette étude, la diminution des taux de faux positifs et des temps d’interprétation est cohérente avec l’hypothèse de l’adaptation visuelle, suggérant que les lecteurs s’adaptent progressivement aux caractéristiques des images.

Conclusion

Cette étude, en analysant les données cliniques de dépistage par DBT, révèle les changements de performance des lecteurs lors de la lecture par lots. L’amélioration des taux de faux positifs et des temps d’interprétation est en partie due à des biais de sélection, mais l’adaptation visuelle pourrait également jouer un rôle important. Ces résultats suggèrent que les pratiques de dépistage futures pourraient envisager d’optimiser l’ordre de lecture pour améliorer davantage la performance du dépistage par DBT.

Points forts de l’étude

  1. Diminution significative des taux de faux positifs : Dans la lecture par lots, le taux de faux positifs est passé de 15,5 % à 10,5 %, et cette diminution reste significative après ajustement.
  2. Réduction des temps d’interprétation : Le temps d’interprétation des examens non cancéreux est passé de 2,8 minutes à 2,2 minutes, indiquant une amélioration de l’efficacité des lecteurs dans la lecture par lots.
  3. Rôle potentiel de l’adaptation visuelle : L’étude suggère que l’adaptation visuelle pourrait être un mécanisme important expliquant les changements de performance des lecteurs, ouvrant de nouvelles perspectives pour les pratiques de dépistage.

Valeur de l’étude

Cette étude fournit des preuves importantes pour comprendre les effets séquentiels dans la lecture par lots de dépistage par DBT, révélant les variations des taux de faux positifs et des temps d’interprétation. Ces résultats non seulement aident à optimiser les processus de dépistage, mais ouvrent également de nouvelles pistes de recherche, en particulier sur le rôle de l’adaptation visuelle dans l’interprétation des images médicales. Grâce à des recherches supplémentaires, les pratiques cliniques pourraient mieux exploiter ces découvertes pour améliorer la précision et l’efficacité du dépistage du cancer du sein.