Vers une agroécologie systémique : conception et contrôle de l'interculture
Vers une agroécologie systémique : conception et contrôle de l’association culturale
Contexte académique
Face aux changements climatiques et à la disparition des ressources naturelles telles que les sols fertiles et l’eau, il est essentiel d’explorer des alternatives à l’agriculture industrielle monoculturale actuelle. L’association culturale (Intercropping, IC), qui consiste à cultiver deux ou plusieurs espèces végétales ensemble, est une pratique agricole prometteuse. De nombreuses expériences ont montré que, dans certaines conditions, l’association culturale peut réduire l’érosion des sols et l’utilisation d’engrais, améliorer la santé des sols et la gestion des terres, tout en maintenant les niveaux de production agricole. Cependant, il n’existe pas encore d’approches quantitatives pour prédire, concevoir et contrôler la mise en œuvre appropriée de l’association culturale pour des conditions environnementales et agricoles données, ni pour évaluer sa robustesse. Cet article développe une telle approche, basée sur des méthodes et concepts issus de la science des données et de la biologie systémique.
Source de l’article
Cet article est co-écrit par Sirio Belga Fedelia et Stanislas Leibler, respectivement affiliés à l’Institute for Advanced Study et à The Rockefeller University. L’article a été soumis le 29 juillet 2024, accepté le 13 novembre 2024, et publié le 16 décembre 2024 dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences).
Processus de recherche
Construction du jeu de données
La recherche a d’abord construit un jeu de données public comprenant les résultats de 2258 expériences d’association culturale, impliquant 274 paires de 69 plantes différentes. Les données incluent 4 caractéristiques du sol, 5 conditions environnementales et agricoles, ainsi que 8 traits pour chacune des deux plantes associées. Grâce à des techniques de réduction de dimensionnalité, les chercheurs ont simplifié l’espace des variables à 25 dimensions en quelques variables clés, permettant de prédire avec précision le rendement de l’association culturale par rapport à la monoculture.
Apprentissage automatique et prédiction
Les chercheurs ont utilisé un algorithme d’apprentissage automatique basé sur le régresseur Random Forest (Random Forest Regressor, RFR) pour entraîner 80 % des données expérimentales et prédire les 20 % restants, obtenant un R² de 0,7. Grâce à l’analyse des valeurs SHAP (Shapley Additive Explanations), les chercheurs ont évalué la contribution de chaque variable au rendement de l’association culturale et identifié 7 variables principales ayant un impact significatif sur la prédiction du rendement.
Réduction de dimensionnalité et analyse de robustesse
Pour simplifier l’analyse de l’espace de l’association culturale, les chercheurs ont utilisé l’analyse multidimensionnelle (Multidimensional Scaling, MDS) pour réduire l’espace de 25 dimensions à un espace de 2 dimensions appelé “espace d’association culturale réduit” (Reduced Intercropping Space, RIC Space). Grâce à cette réduction de dimensionnalité, les chercheurs ont pu évaluer la robustesse de l’association culturale face à des perturbations externes (comme les changements climatiques) et proposer des méthodes pour contrôler le rendement de l’association culturale en modifiant des variables ajustables (comme le pH du sol, la densité de plantation, etc.).
Résultats principaux
Prédiction du rendement de l’association culturale
Les résultats montrent qu’avec quelques variables clés, il est possible de prédire avec précision le rendement de l’association culturale par rapport à la monoculture. En particulier, des variables telles que la densité de plantation, le pH du sol et le rayonnement solaire ont un impact significatif sur la prédiction du rendement.
Robustesse de l’association culturale
Grâce à l’espace RIC réduit, les chercheurs ont évalué la robustesse de l’association culturale face à des perturbations externes. Par exemple, lorsque le rayonnement solaire ou les précipitations changent de manière inattendue, les prédictions de rendement de l’association culturale changent également. Les résultats montrent que l’association culturale est relativement robuste à certaines perturbations, mais dans des conditions extrêmes, le rendement peut diminuer de manière significative.
Contrôle de l’association culturale
Les chercheurs ont proposé des méthodes pour contrôler le rendement de l’association culturale en modifiant des variables ajustables (comme le pH du sol, la densité de plantation, etc.). En ajustant ces variables, il est possible d’augmenter le rendement de l’association culturale de niveaux faibles à des niveaux élevés. Par exemple, augmenter la densité de plantation de la culture principale ou choisir une plante compagne avec des traits spécifiques peut efficacement améliorer le rendement de l’association culturale.
Conclusion et signification
Cette recherche fournit une méthode quantitative pour la conception et le contrôle de l’association culturale, marquant une étape importante vers une “agriculture systémique”. Grâce à des méthodes issues de la science des données et de la biologie systémique, les chercheurs peuvent prédire le rendement de l’association culturale, évaluer sa robustesse et proposer des mesures concrètes pour contrôler son rendement. Cette étude a non seulement une valeur scientifique importante, mais elle ouvre également de nouvelles perspectives pour le développement d’une agriculture durable.
Points forts de la recherche
- Prédiction quantitative du rendement de l’association culturale : Grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique, les chercheurs peuvent prédire avec précision le rendement de l’association culturale par rapport à la monoculture.
- Évaluation de la robustesse de l’association culturale : Grâce à des techniques de réduction de dimensionnalité, les chercheurs ont évalué la robustesse de l’association culturale face à des perturbations externes, fournissant une base scientifique pour faire face aux changements climatiques.
- Proposition de méthodes de contrôle de l’association culturale : Les chercheurs ont proposé des mesures concrètes pour contrôler le rendement de l’association culturale en modifiant des variables ajustables, offrant des directives pour la pratique agricole.
- Début de l’agriculture systémique : Cette recherche jette les bases pour la conception et le contrôle de systèmes agricoles multi-espèces, marquant une étape importante vers une agriculture systémique.
Autres informations utiles
Cette recherche révèle également l’impact des traits des plantes (comme la longueur des racines et la taille du génome) sur le rendement de l’association culturale, offrant de nouvelles perspectives pour l’étude des interactions entre plantes. De plus, les chercheurs soulignent que des données expérimentales quantitatives supplémentaires sont nécessaires pour valider et affiner les méthodes de calcul proposées, afin de les appliquer finalement à la pratique agricole.
Cette recherche fournit une base scientifique importante pour la conception et le contrôle quantitatifs de l’association culturale, marquant une étape importante vers une agroécologie systémique et pilotée par les données.