Exploiter un pangénome phasé pour la conception d'haplotypes de pomme de terre hybride
Utilisation d’un pangénome phasé pour la conception d’haplotypes de pommes de terre hybrides
Contexte académique
La pomme de terre (Solanum tuberosum L.) est l’une des cultures tubéreuses les plus importantes au monde, nourrissant plus de 1,3 milliard de personnes chaque année dans plus de 120 pays. Cependant, le génome tétraploïde et le mode de reproduction clonale de la pomme de terre rendent son amélioration génétique lente, ce qui limite l’accumulation rapide de traits bénéfiques par les méthodes de sélection traditionnelles. Pour accélérer l’amélioration de la pomme de terre, les scientifiques ont proposé un système de reproduction hybride basé sur des lignées consanguines diploïdes. Cependant, le développement de lignées consanguines diploïdes est entravé par la présence de nombreuses variations délétères, qui affectent gravement la croissance et la fitness globale de la pomme de terre. Par conséquent, comprendre la nature de ces variations délétères et trouver des moyens de les éliminer est devenu un objectif central de la recherche sur les pommes de terre hybrides.
De plus, la plupart des génomes diploïdes de pommes de terre publiés ne sont pas phasés, ce qui masque des informations cruciales sur la diversité des haplotypes et l’hétérozygotie. Pour surmonter ce défi, les chercheurs ont développé une carte pangénomique phasée de la pomme de terre, visant à révéler les variations structurelles (Structural Variants, SVs) et la diversité des haplotypes, et à fournir un support théorique pour la sélection future de la pomme de terre.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Lin Cheng, Nan Wang, Zhigui Bao et d’autres scientifiques de plusieurs institutions, dont l’Institut de génomique agricole de Shenzhen de l’Académie chinoise des sciences agricoles, l’Université de Liège en Belgique et l’Institut Max Planck de biologie en Allemagne. L’article a été publié en ligne le 2 décembre 2024 dans la revue Nature, sous le titre Leveraging a phased pangenome for haplotype design of hybrid potato.
Processus et résultats de la recherche
1. Construction du pangénome phasé
Les chercheurs ont d’abord sélectionné 31 variétés diploïdes de pommes de terre, comprenant 10 espèces sauvages et 19 variétés cultivées, et ont généré des séquences génomiques pour 60 haplotypes. Grâce au séquençage PacBio HiFi et à la technologie Hi-C, les chercheurs ont réalisé un assemblage génomique de haute précision pour ces variétés. La taille moyenne du génome de chaque haplotype était de 811 Mb, avec un contig N50 de 12,25 Mb. En utilisant les données Hi-C, les chercheurs ont assemblé les haplotypes en pseudochromosomes, avec un taux d’ancrage de 95,17 %.
Pour construire la carte pangénomique de la pomme de terre, les chercheurs ont utilisé deux méthodes : Pangenome Graph Builder (PGGb) et minigraph-cactus. Finalement, ils ont construit une carte pangénomique (PPG-v.1.0) comprenant 60 haplotypes, contenant 248,64 millions de nœuds et 345,61 millions de liens, pour une longueur totale de séquence de 3 076 Mb. Par rapport au génome de référence linéaire, la carte pangénomique permet de mieux capturer la diversité du génome de la pomme de terre.
2. Origine et dynamique des variations structurelles
Les chercheurs ont également analysé les variations structurelles (SVs) dans le génome de la pomme de terre, découvrant que 90,6 % des SVs étaient associés à des éléments transposables (Transposable Elements, TEs). En particulier, les SVs médiés par les rétrotransposons à longues répétitions terminales (LTR/Gypsy) étaient significativement plus nombreux que ceux médiés par d’autres types de TEs. Les chercheurs ont également constaté que les réarrangements médiés par les TEs (TE-mediated rearrangements, TEMRs) étaient largement présents dans le génome de la pomme de terre, en particulier chez les variétés cultivées.
En comparant les génomes des espèces sauvages et cultivées, les chercheurs ont découvert que l’hétérozygotie des variétés cultivées était significativement plus élevée que celle des espèces sauvages (14,0 % contre 9,5 %), ce qui suggère que des croisements étendus ont eu lieu pendant la domestication de la pomme de terre. De plus, les chercheurs ont identifié de nombreuses inversions spécifiques aux haplotypes chez les variétés cultivées, qui pourraient être liées à la formation et à la croissance des tubercules.
3. Identification et élimination des variations structurelles délétères
Les chercheurs ont identifié 19 625 variations structurelles potentiellement délétères (Deleterious Structural Variants, DSVs) et ont constaté que ces DSVs avaient tendance à exister sous forme hétérozygote dans le génome de la pomme de terre. En particulier, chez les variétés cultivées, 97 % des DSVs étaient hétérozygotes, ce qui suggère que ces variations délétères ont été “protégées” pendant la domestication, évitant ainsi la sélection négative.
Pour éliminer ces variations délétères, les chercheurs ont développé une méthode de conception computationnelle basée sur la carte pangénomique, visant à concevoir des haplotypes idéaux de pommes de terre (Ideal Potato Haplotypes, IPHs). En simulant des événements de recombinaison, les chercheurs ont réussi à concevoir deux combinaisons d’haplotypes idéaux (IPHs-A et IPHs-E), dans lesquelles les variations délétères étaient significativement réduites, offrant ainsi une référence importante pour la sélection future de la pomme de terre.
4. “Effet de la vitre brisée” et accumulation de variations délétères
Les chercheurs ont également découvert que les DSVs avaient tendance à former des clusters dans le génome de la pomme de terre, un phénomène appelé “effet de la vitre brisée” (Broken-Window Effect). Plus précisément, les polymorphismes mononucléotidiques délétères (Deleterious Single Nucleotide Polymorphisms, DSNPs) autour des DSVs étaient significativement plus nombreux en phase de couplage (coupling phase) qu’en phase de répulsion (repulsion phase). Cet effet pourrait être dû au fait que les DSVs réduisent le taux de recombinaison dans les régions environnantes, entraînant une accumulation locale de variations délétères.
Conclusion et signification
Cette étude, en construisant une carte pangénomique phasée de la pomme de terre, a révélé les variations structurelles et la diversité des haplotypes dans le génome de la pomme de terre, en particulier l’hétérozygotie étendue et les variations délétères présentes chez les variétés cultivées. Les chercheurs ont également développé une méthode de conception computationnelle, réussissant à concevoir des haplotypes idéaux de pommes de terre, fournissant ainsi un outil important pour la sélection future de pommes de terre hybrides.
La valeur scientifique de cette étude réside dans le fait qu’elle révèle non seulement les variations structurelles et la dynamique évolutive du génome de la pomme de terre, mais offre également de nouvelles perspectives pour la recherche génomique et la sélection d’autres cultures à reproduction clonale. De plus, l’effet de la vitre brisée proposé par l’étude fournit une nouvelle perspective pour comprendre les mécanismes d’accumulation des variations délétères dans le génome.
Points forts de la recherche
- Construction d’une carte pangénomique phasée : Les chercheurs ont construit pour la première fois une carte pangénomique de la pomme de terre comprenant 60 haplotypes, offrant une ressource importante pour comprendre la diversité et les variations structurelles du génome de la pomme de terre.
- Origine et dynamique des variations structurelles : L’étude a révélé le rôle important des TEs dans les variations structurelles du génome de la pomme de terre, en particulier la présence étendue de SVs médiés par LTR/Gypsy chez les variétés cultivées.
- Identification et élimination des variations délétères : Les chercheurs ont identifié un grand nombre de variations structurelles délétères et ont réussi à les réduire grâce à une méthode de conception computationnelle, fournissant un nouvel outil pour la sélection de la pomme de terre.
- Découverte de l’effet de la vitre brisée : L’étude a proposé pour la première fois l’effet de la vitre brisée des DSVs dans le génome, offrant un nouveau support théorique pour comprendre les mécanismes d’accumulation des variations délétères.
Cette étude fournit non seulement un support théorique important pour la sélection de la pomme de terre, mais offre également de nouvelles perspectives et méthodes pour la recherche génomique et la sélection d’autres cultures.