Inotuzumab Ozogamicin et chimiothérapie de faible intensité chez les patients âgés nouvellement diagnostiqués avec une leucémie aiguë lymphoblastique à précurseurs B CD22+ sans chromosome Philadelphie
Contexte académique et problématique
La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) est une maladie hématologique maligne, particulièrement difficile à traiter chez les patients âgés, avec des options thérapeutiques limitées et des résultats souvent médiocres. Les schémas de chimiothérapie traditionnels offrent des taux de survie à long terme faibles, généralement de l’ordre de 20 à 30 % chez les patients âgés. Par conséquent, la recherche de traitements plus efficaces et mieux tolérés est devenue une priorité dans les études cliniques. L’Inotuzumab Ozogamicin (InO), un anticorps conjugué ciblant l’antigène CD22, a montré une efficacité significative dans les LAL en rechute ou réfractaires. Cependant, son utilisation en première ligne chez les patients âgés n’a pas encore été suffisamment validée.
Cette étude vise à évaluer la sécurité et l’efficacité de l’InO associé à une chimiothérapie de faible intensité comme traitement de première intention pour les patients âgés nouvellement diagnostiqués avec une LAL précurseur des cellules B (BCP-ALL) CD22 positive et sans chromosome Philadelphie (Ph-). L’objectif principal est d’améliorer le taux de survie globale (OS) à un an et d’explorer son efficacité à long terme chez les patients âgés.
Origine de l’étude
Cette étude a été menée par Patrice Chevallier et ses collègues de plusieurs centres de recherche en France, Finlande et République tchèque, en collaboration avec le Groupe de travail européen sur la leucémie aiguë lymphoblastique chez l’adulte (EWALL) et le Groupe de recherche sur la leucémie aiguë lymphoblastique chez l’adulte (GRAALL). Les résultats ont été publiés le 17 octobre 2024 dans le Journal of Clinical Oncology.
Conception et déroulement de l’étude
Conception de l’étude
L’étude EWALL-InO est un essai clinique de phase II, ouvert, multicentrique et prospectif, enregistré sous le numéro NCT03249870. L’étude a inclus des patients âgés de 55 ans et plus, nouvellement diagnostiqués avec une BCP-ALL CD22 positive et Ph-. Le traitement comprenait deux phases d’induction, six cycles de consolidation chimiothérapeutique et une maintenance chimiothérapeutique de 18 mois. Une greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques (allo-SCT) était autorisée après trois cycles de consolidation.
Schéma thérapeutique
- Phase de pré-traitement : Les patients recevaient des corticostéroïdes.
- Première phase d’induction : Les patients recevaient de la vincristine, de la dexaméthasone et trois injections d’InO (0,8 mg/m² le jour 1, 0,5 mg/m² les jours 8 et 15).
- Deuxième phase d’induction : Les patients recevaient du cyclophosphamide, de la dexaméthasone et deux injections d’InO (0,5 mg/m² les jours 1 et 8).
- Traitement de consolidation : Les patients recevaient jusqu’à six cycles de chimiothérapie de consolidation.
- Traitement de maintenance : Les patients recevaient 18 mois de chimiothérapie de maintenance.
Critères d’évaluation
Le critère principal était la survie globale (OS) à un an. Les critères secondaires incluaient la mortalité pendant les phases d’induction, la récupération hématologique, les taux de réponse, l’état de la maladie résiduelle minimale (MRD), la survie sans événement (EFS), la survie sans rechute (RFS) et le taux cumulatif de rechute (CIR).
Résultats de l’étude
Caractéristiques des patients
Entre décembre 2017 et mars 2022, 131 patients ont été inclus, avec un âge médian de 68 ans. Parmi eux, 47 % étaient des hommes et 53 % des femmes.
Faisabilité du traitement
Un patient est décédé pendant la phase de pré-traitement, 130 patients ont reçu la première induction et 120 patients ont reçu la deuxième induction. Parmi les 118 patients ayant répondu après la deuxième induction, 113 ont reçu au moins un cycle de consolidation et 76 ont commencé la maintenance.
Taux de réponse et MRD
Après la première induction, 88,5 % des patients ont atteint une réponse complète (CR) ou une CR avec récupération incomplète des plaquettes (CRp), avec 71 % des patients ayant une MRD1 <10^-3 et 56 % une MRD1 <10^-4. Après la deuxième induction, 90 % des patients ont atteint une CR/CRp, avec 86 % des patients ayant une MRD2 <10^-3 et 80 % une MRD2 <10^-4.
Taux de survie
La survie globale à un an était de 73,2 %, et à deux ans de 55 %. La survie sans rechute à un an était de 66 %, et à deux ans de 50 %. Le taux cumulatif de rechute à un an était de 25 %, et à deux ans de 38 %. Les 10 patients ayant reçu une allo-SCT avaient un taux de survie globale et sans rechute à deux ans de 90 %, sans rechute.
Facteurs pronostiques
Une cytogénétique à haut risque et une expression de CD22 <70 % étaient associées à une survie globale plus faible. Une cytogénétique à haut risque et une MRD2 ≥10^-4 étaient associées à une survie sans rechute plus faible et à un taux de rechute plus élevé.
Sécurité
Trois patients sont décédés pendant la première induction, deux d’insuffisance multiviscérale et un d’hémorragie. Aucun décès n’est survenu pendant la deuxième induction. Les événements indésirables de grade 3-4 les plus fréquents étaient les infections et les troubles hépatiques. Un seul cas non mortel de syndrome obstructif sinusoïdal (SOS) a été documenté.
Conclusion
Cette étude démontre que l’InO associé à une chimiothérapie de faible intensité est un traitement de première intention efficace et bien toléré pour les patients âgés atteints de BCP-ALL CD22 positive et Ph-. Le taux de survie globale à un an était de 73,2 %, avec une mortalité liée au traitement faible. Les résultats soutiennent l’utilisation de l’InO en première ligne chez les patients âgés atteints de LAL et fournissent des preuves solides pour en faire un nouveau standard de traitement.
Points forts de l’étude
- Taux de réponse élevé : 90 % des patients ont atteint une CR/CRp après l’induction, avec 80 % ayant une MRD2 <10^-4.
- Faible toxicité : Seulement trois décès pendant l’induction et un seul cas non mortel de SOS.
- Survie à long terme : La survie globale à un an était de 73,2 %, et à deux ans de 55 %, avec un taux de survie globale et sans rechute de 90 % chez les patients ayant reçu une allo-SCT.
Signification de l’étude
Cette étude offre une nouvelle option de traitement efficace et bien tolérée pour les patients âgés atteints de LAL, améliorant significativement leur survie et leur qualité de vie. Les résultats soutiennent l’utilisation de l’InO en première ligne chez ces patients et posent les bases pour des études prospectives de phase III.