Les microenvironnements spécifiques aux organes favorisent l'évolution divergente des cellules T dans la maladie aiguë du greffon contre l'hôte
Différenciation des cellules T spécifiques aux organes dans la maladie du greffon contre l’hôte aiguë (AGVHD)
Contexte académique
La maladie du greffon contre l’hôte aiguë (Acute Graft-versus-Host Disease, AGVHD) est une complication grave fréquente après une greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques (Allogeneic Hematopoietic Stem Cell Transplantation, HCT), causée par l’attaque immunitaire des cellules T du donneur sur les tissus de l’hôte. Bien que les mécanismes pathologiques de l’AGVHD aient été étudiés, les mécanismes de différenciation des cellules T dans des organes spécifiques restent mal compris. Les réponses spécifiques des cellules T dans différents organes pourraient être régulées par le microenvironnement local, mais les mécanismes précis de cette régulation n’ont pas encore été entièrement élucidés. L’AGVHD affecte plusieurs organes, y compris le tractus gastro-intestinal, la peau, le foie et les poumons, mais les caractéristiques pathologiques et les réponses immunitaires varient considérablement selon les organes. Comprendre ces différences pourrait faciliter le développement de stratégies thérapeutiques ciblant des organes spécifiques.
Pour explorer cette question, l’équipe de recherche a utilisé un modèle de primate non humain (Nonhuman Primate, NHP) et a employé diverses méthodes d’immunologie systémique, y compris la cytométrie en flux multiparamétrique, l’analyse transcriptionnelle de population, le séquençage d’ARN unicellulaire (Single-Cell RNA Sequencing, scRNA-seq) et le séquençage des récepteurs des cellules T (T Cell Receptor Sequencing, TCR-seq), pour étudier en profondeur la différenciation différentielle des cellules T dans le foie et les poumons lors de l’AGVHD.
Source de l’article
Cette recherche a été réalisée par Kayleigh Ingersoll Omdahl, Rene S. Bermea, Victor Tkachev et Leslie S. Kean, entre autres chercheurs, issus de plusieurs institutions prestigieuses, notamment le Boston Children’s Hospital, la Harvard Medical School et le Massachusetts General Hospital. L’article a été publié le 29 janvier 2025 dans la revue Science Translational Medicine, sous le titre “Organ-specific microenvironments drive divergent T cell evolution in acute graft-versus-host disease”.
Méthodologie
1. Modèle de recherche et échantillons
L’étude a utilisé le macaque rhésus (rhesus macaque) comme modèle d’AGVHD, avec des analyses effectuées 7 à 8 jours après la transplantation. L’étude comprenait trois groupes : le groupe AGVHD (HCT allogénique, n=12), le groupe témoin de HCT autologue (auto-HCT, n=4) et le groupe témoin de sujets sains (Healthy Controls, HCs, n=26). L’analyse histopathologique a permis d’évaluer le degré d’inflammation dans le foie et les poumons.
2. Analyse par cytométrie en flux
Les chercheurs ont utilisé la cytométrie en flux multiparamétrique pour analyser les caractéristiques phénotypiques des cellules T dans les groupes AGVHD, auto-HCT et HCs. Ils se sont concentrés sur les phénotypes de mémoire des cellules T CD8+ et CD4+, les marqueurs de résidence tissulaire (comme CD69 et CD103), les marqueurs de prolifération (Ki67) et les marqueurs de cytotoxicité (Granzyme B). De plus, l’algorithme FlowSOM a été utilisé pour effectuer une analyse de clustering non supervisée des cellules T, afin d’identifier les différences phénotypiques entre les organes.
3. Analyse transcriptionnelle
Les chercheurs ont utilisé des puces à ADN spécifiques aux NHP pour analyser le transcriptome des cellules T CD3+ dans les groupes AGVHD, auto-HCT et HCs. La réduction de dimension par UMAP et le clustering hiérarchique ont permis d’évaluer les différences d’expression génique entre les organes et les groupes. Une comparaison plus approfondie a révélé que les cellules T pulmonaires étaient associées à des voies de remodelage de la matrice extracellulaire et de chimiotactisme, tandis que les cellules T hépatiques étaient associées à des voies de métabolisme des acides nucléiques et de prolifération.
4. Séquençage d’ARN unicellulaire et séquençage de TCR
Pour étudier plus en détail le processus de différenciation des cellules T, les chercheurs ont isolé des cellules T CD45+CD3+ à partir du foie et des poumons d’animaux atteints d’AGVHD, et ont effectué un séquençage d’ARN unicellulaire et un séquençage de TCR. Les données ont été corrigées des effets de lot à l’aide du package Python scVI, et l’analyse de pseudotemps a été réalisée avec le logiciel Monocle3 pour suivre les trajectoires de différenciation des cellules T. L’étude a révélé qu’avec une expansion clonale accrue, les cellules T pulmonaires s’enrichissaient progressivement en cellules T effectrices CD8+ CX3CR1+, tandis que les cellules T hépatiques s’enrichissaient en cellules T mémoire effectrices CD8+ Eomes+.
5. Analyse des clonotypes partagés
Les chercheurs ont également analysé les clonotypes de TCR présents à la fois dans le foie et les poumons (Shared Clonotypes, SCs), et ont constaté que même avec le même TCR, les transcriptomes des cellules T dans le foie et les poumons présentaient des différences significatives. Cela suggère que la différenciation des cellules T dépend des signaux du microenvironnement local plutôt que de la spécificité antigénique.
Résultats
Analyse histopathologique : Les groupes AGVHD ont montré une inflammation significative dans le foie et les poumons, avec une inflammation périportale dans le foie et une inflammation périvasculaire et une pneumonie interstitielle dans les poumons.
Analyse par cytométrie en flux : Les groupes AGVHD présentaient une infiltration de cellules T mémoire effectrices CD8+ (TEM) et de cellules T mémoire centrales CD4+ (TCM) dans le foie et les poumons, et ces cellules exprimaient fortement le marqueur de prolifération Ki67 et le marqueur de cytotoxicité Granzyme B.
Analyse transcriptionnelle : Les cellules T pulmonaires ont significativement régulé à la hausse les gènes associés au chimiotactisme et au remodelage de la matrice extracellulaire, tandis que les cellules T hépatiques ont régulé à la hausse les gènes associés au métabolisme des acides nucléiques et à la prolifération. Ces résultats indiquent que la différenciation des cellules T dans des organes spécifiques est régulée par le microenvironnement local.
Séquençage d’ARN unicellulaire et séquençage de TCR : Avec une expansion clonale accrue, les cellules T pulmonaires se différenciaient progressivement en cellules T effectrices CD8+ CX3CR1+, tandis que les cellules T hépatiques se différenciaient en cellules T mémoire effectrices CD8+ Eomes+. Même avec le même TCR, les transcriptomes des cellules T dans le foie et les poumons présentaient des différences significatives.
Conclusion
Cette étude a révélé les mécanismes de différenciation des cellules T dans des organes spécifiques lors de l’AGVHD, soulignant l’importance du microenvironnement local dans la programmation transcriptionnelle des cellules T. Les résultats montrent que la différenciation et l’état fonctionnel des cellules T dans le foie et les poumons sont influencés par des signaux spécifiques à l’organe, et que cette différenciation est étroitement liée à l’expansion clonale. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de traitements immunitaires ciblant des organes spécifiques, notamment pour traiter l’AGVHD pulmonaire et hépatique.
Points forts de l’étude
- Différenciation des cellules T spécifiques aux organes : Première étude à révéler les mécanismes de différenciation différentielle des cellules T dans le foie et les poumons dans un modèle d’AGVHD.
- Utilisation de technologies unicellulaires : Le séquençage d’ARN unicellulaire et de TCR a permis une étude approfondie de l’expansion clonale et des trajectoires de différenciation des cellules T.
- Signification clinique : Les résultats offrent de nouvelles cibles et stratégies pour le développement de traitements immunitaires ciblant des organes spécifiques, en particulier pour l’AGVHD pulmonaire et hépatique.
Autres informations utiles
L’étude a également révélé que la différenciation des cellules T dans les poumons et le foie est étroitement liée à l’expansion clonale, suggérant que l’inhibition de l’expansion des cellules T pourrait être la clé pour contrôler les réponses immunitaires spécifiques aux organes. En outre, l’étude a montré que les cellules T pulmonaires et hépatiques s’enrichissent en différentes chimiokines et voies métaboliques, offrant des cibles potentielles pour le développement de médicaments immunomodulateurs spécifiques aux organes.