Effet du nintedanib oral contre placebo sur l'épistaxis dans la télangiectasie hémorragique héréditaire : l'essai multicentrique randomisé en double aveugle EPICURE
Effet du nintedanib oral versus placebo sur l’épistaxis dans la télangiectasie hémorragique héréditaire : essai multicentrique randomisé en double aveugle EPICURE
Contexte académique
La télangiectasie hémorragique héréditaire (Hereditary Hemorrhagic Telangiectasia, HHT) est une maladie génétique rare caractérisée par des malformations vasculaires, en particulier des télangiectasies. L’épistaxis est le symptôme le plus fréquent chez les patients atteints de HHT, affectant plus de 90 % d’entre eux. L’épistaxis affecte non seulement gravement la qualité de vie des patients, mais peut également entraîner une anémie ferriprive, voire mettre en danger la vie des patients. Les traitements actuels de la HHT incluent principalement des thérapies topiques hydratantes, l’acide tranexamique et les thérapies ablatives, mais ces méthodes n’ont pas montré d’efficacité significative à moyen et long terme pour réduire l’épistaxis. De plus, les thérapies ablatives peuvent entraîner une perforation de la cloison nasale, augmentant ainsi la fréquence et la gravité des épistaxis. Pour les patients ne répondant pas à ces traitements, les agents anti-angiogéniques systémiques comme le bevacizumab peuvent être une option, mais leur utilisation est limitée par la voie d’administration, le coût et l’absence d’autorisation de mise sur le marché. Par conséquent, l’exploration d’autres médicaments anti-angiogéniques pour la HHT est d’une importance cruciale.
Le nintedanib est un inhibiteur de la tyrosine kinase (tyrosine kinase inhibitor, TKI) administré par voie orale, qui inhibe les récepteurs des facteurs de croissance impliqués dans l’angiogenèse, tels que les récepteurs du facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGFR), les récepteurs du facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGFR) et les récepteurs du facteur de croissance des fibroblastes (FGFR). Des études ont montré que le nintedanib prévient les pathologies vasculaires et réduit les saignements gastro-intestinaux dans un modèle murin de HHT. De plus, un rapport de cas récent a montré une réduction significative du score de gravité de l’épistaxis (Epistaxis Severity Score, ESS) chez un patient atteint de HHT traité par nintedanib pour une fibrose pulmonaire. Par conséquent, le nintedanib pourrait être un candidat efficace pour le traitement de l’épistaxis chez les patients atteints de HHT.
Source de l’article
Cette étude a été menée par Ruben Hermann et ses collègues de plusieurs hôpitaux et instituts de recherche français, et l’article a été publié le 1er décembre 2024 dans la revue Angiogenesis. L’étude a été financée par le Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC 2018) et la société Boehringer Ingelheim.
Conception et méthodes de l’étude
Conception de l’étude
Cette étude est un essai clinique de phase II national, prospectif et multicentrique, utilisant un design randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, comparant le nintedanib à un placebo chez des patients atteints de HHT. L’étude comprenait une période de traitement et une période de suivi, chacune de 12 semaines. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche français et enregistrée sur le site ClinicalTrials.gov (NCT03954782).
Population étudiée
L’étude a inclus des patients âgés de 18 ans et plus, diagnostiqués cliniquement avec une HHT et présentant un score de gravité de l’épistaxis (ESS) supérieur à 4. Tous les patients provenaient des centres français de HHT, et les traitements étaient centralisés dans dix hôpitaux. Les critères d’exclusion comprenaient la présence de malformations artério-veineuses pulmonaires non traitées, une hémoptysie, une hématurie, des saignements gastro-intestinaux ou des ulcères évidents, des malformations artério-veineuses cérébrales, une maladie hépatique ou une insuffisance rénale, une infection active, une maladie coronarienne connue ou une prédisposition à la thrombose, l’utilisation de certains médicaments (comme les anticoagulants, les antiplaquettaires ou d’autres traitements anti-angiogéniques), entre autres.
Randomisation et mise en aveugle
Le processus de randomisation a été centralisé et généré par l’unité de recherche clinique des Hospices Civils de Lyon à l’aide du logiciel SAS®, avec des blocs de taille 4 et 6. Les patients ont été randomisés via un système de réponse web interactif (IWRS) pour être assignés soit au groupe nintedanib, soit au groupe placebo. La gestion des données a été réalisée avec le logiciel Ennov Clinical 7.1 (Clinsight).
Interventions
Les patients du groupe nintedanib ont reçu 150 mg de nintedanib deux fois par jour, à environ 12 heures d’intervalle, pendant 12 semaines. Le groupe placebo a reçu des capsules molles de gélatine contenant une suspension de dioxyde de titane, identiques en apparence au nintedanib. En cas d’effets indésirables, le traitement pouvait être temporairement interrompu ou la dose réduite à 100 mg deux fois par jour. Si les effets indésirables persistaient après la réduction de dose, le traitement était arrêté.
Critères de jugement principaux et secondaires
Le critère de jugement principal était la proportion de patients présentant une réduction d’au moins 50 % de la durée moyenne mensuelle de l’épistaxis au cours des 8 dernières semaines de traitement par rapport aux 8 semaines précédant le traitement. Les critères secondaires incluaient la durée et la fréquence mensuelles de l’épistaxis, les niveaux d’hémoglobine, la qualité de vie (évaluée par le questionnaire SF-36) et le nombre de transfusions de globules rouges et d’injections de fer.
Résultats de l’étude
Caractéristiques de base des patients
L’étude a inclus 60 patients, randomisés en deux groupes de 30 patients chacun (nintedanib et placebo). Les caractéristiques de base montraient que les deux groupes étaient similaires en termes de sexe, âge, mutations génétiques, antécédents de chirurgie nasale, perforation de la cloison nasale, durée et fréquence de l’épistaxis, et niveaux d’hémoglobine.
Critère de jugement principal
Dans la population en intention de traiter (ITT), 13 patients (43,3 %) du groupe nintedanib et 8 patients (26,7 %) du groupe placebo ont atteint le critère de jugement principal (p = 0,28). Dans l’analyse per protocole (PP), les résultats étaient similaires (12 patients, 42,9 % dans le groupe nintedanib vs 8 patients, 28,6 % dans le groupe placebo, p = 0,40).
Critères de jugement secondaires
Le groupe nintedanib a montré une réduction significative de la durée de l’épistaxis pendant et après le traitement (57 % vs 24 %, p = 0,013), ainsi qu’une diminution significative de la fréquence de l’épistaxis (35 % vs 12 %, p = 0,018). De plus, les niveaux d’hémoglobine ont augmenté de manière significative dans le groupe nintedanib (+18 g/L vs -1 g/L, p = 0,02). Cependant, il n’y avait pas de différence significative entre les groupes en termes de qualité de vie ou de score de gravité de l’épistaxis (ESS).
Effets indésirables
Le groupe nintedanib a présenté un taux plus élevé d’événements indésirables, les plus fréquents étant la diarrhée, les nausées, les douleurs abdominales et les maux de tête. Deux patients ont arrêté le traitement en raison d’effets indésirables graves (saignements gastro-intestinaux et œdème facial), et trois patients ont nécessité une réduction de dose en raison d’effets indésirables.
Discussion et conclusion
L’essai EPICURE est le premier essai clinique randomisé évaluant l’efficacité du nintedanib chez les patients atteints de HHT. Bien que le critère de jugement principal n’ait pas atteint une signification statistique, le groupe nintedanib a montré des améliorations significatives dans la durée de l’épistaxis et les niveaux d’hémoglobine. Ces résultats soutiennent l’efficacité du nintedanib chez les patients atteints de HHT et justifient des études supplémentaires.
Les effets indésirables du nintedanib, bien que fréquents, étaient gérables pour la plupart des patients grâce à des ajustements de dose ou des interruptions temporaires du traitement. Par rapport au bevacizumab, le nintedanib pourrait être une alternative pour certains patients, en particulier ceux pour qui le bevacizumab est contre-indiqué, mal toléré ou inefficace.
Points forts de l’étude
- Premier essai clinique randomisé : L’essai EPICURE est le premier essai clinique randomisé évaluant l’efficacité du nintedanib chez les patients atteints de HHT.
- Améliorations significatives de l’épistaxis et de l’hémoglobine : Bien que le critère de jugement principal n’ait pas atteint une signification statistique, le groupe nintedanib a montré des améliorations significatives dans la durée de l’épistaxis et les niveaux d’hémoglobine.
- Sécurité gérable : Les effets indésirables du nintedanib, bien que fréquents, étaient gérables pour la plupart des patients grâce à des ajustements de dose ou des interruptions temporaires du traitement.
Importance de l’étude
Cette étude offre une nouvelle option thérapeutique pour les patients atteints de HHT, en particulier pour ceux qui ne répondent pas ou ne tolèrent pas les traitements existants. L’efficacité significative et la sécurité gérable du nintedanib en font un candidat important pour le traitement de la HHT. Les études futures devraient valider son efficacité et sa sécurité à long terme et explorer son potentiel dans d’autres maladies liées à l’angiogenèse.