Les psychostimulants dopaminergiques provoquent un éveil de la sédation induite par l'isoflurane sans inverser les troubles de la mémoire chez les rats
Les psychostimulants dopaminergiques provoquent un éveil lors de la sédation induite par l’isoflurane sans inverser les déficits de mémoire chez les rats
Contexte académique
L’utilisation généralisée des agents anesthésiques en chirurgie permet aux patients de subir des interventions sans douleur. Cependant, l’impact des anesthésiques sur la mémoire reste un sujet de recherche crucial en anesthésiologie. L’isoflurane, un agent anesthésique inhalé couramment utilisé, peut provoquer des déficits de mémoire à faible dose, en particulier sur la mémoire de travail (working memory). La mémoire de travail est une forme de mémoire à court terme responsable du traitement et du stockage temporaire d’informations pour des tâches cognitives complexes. Bien que les psychostimulants dopaminergiques aient démontré leur capacité à restaurer l’éveil chez les animaux sous anesthésie, leur capacité à inverser les déficits de mémoire induits par l’isoflurane reste incertaine.
Cette étude vise à explorer si les psychostimulants dopaminergiques peuvent inverser les déficits de mémoire de travail visuospatiale induits par de faibles doses d’isoflurane. En utilisant un modèle de rats, les chercheurs ont évalué l’impact d’un agoniste des récepteurs D1 de la dopamine (chloro-APB), d’un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline (atomoxétine) et d’un agent libérant à la fois la dopamine et la noradrénaline (dextroamphétamine) sur les déficits de mémoire et l’état de sédation induits par l’isoflurane.
Source de l’article
L’étude a été réalisée par Michael R. Fettiplace et ses collègues, issus du Département d’anesthésie, de soins intensifs et de médecine de la douleur du Massachusetts General Hospital, de la Harvard Medical School, du Touro College of Osteopathic Medicine, du Département de biologie cellulaire et de physiologie de l’Université Brigham Young et de la École de médecine de l’Université de Californie à Irvine. L’article a été publié le 3 juillet 2024 dans le British Journal of Anaesthesia, sous le titre Dopaminergic psychostimulants cause arousal from isoflurane-induced sedation without reversing memory impairment in rats.
Déroulement de la recherche
1. Animaux et entraînement
L’étude a utilisé 16 rats Sprague-Dawley adultes (8 femelles et 8 mâles), pesant entre 250 et 300 grammes. Les rats ont été entraînés à effectuer une tâche de mémoire de travail visuospatiale appelée “Trial-Unique Nonmatching-to-Location” (TUNL). Cette tâche, réalisée sur un écran tactile, exigeait que les rats identifient et sélectionnent un nouvel emplacement sur l’écran après un délai. L’entraînement a duré jusqu’à ce que les rats atteignent un taux de réussite supérieur à 80 % avec un délai de 6 secondes.
2. Traitement à l’isoflurane et tests comportementaux
Après l’entraînement, les chercheurs ont évalué l’impact de faibles doses d’isoflurane (0,3 vol %) sur la performance de la tâche et l’activité des rats. L’isoflurane a été administré par inhalation dans une chambre d’induction pendant 45 minutes, après quoi les rats ont été transférés dans une chambre de test contenant 0,25 à 0,35 vol % d’isoflurane pour les tests comportementaux. L’activité des rats a été mesurée par le nombre de ruptures de faisceaux infrarouges.
3. Interventions pharmacologiques
Dans certaines expériences, les chercheurs ont injecté par voie intraveineuse un agoniste des récepteurs D1 de la dopamine (chloro-APB), un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline (atomoxétine) et un agent libérant à la fois la dopamine et la noradrénaline (dextroamphétamine) pour évaluer leur impact sur la performance de la tâche et l’activité des rats sous inhalation continue d’isoflurane.
4. Analyse des données
Les données ont été analysées à l’aide de GraphPad Prism 10 et d’IBM SPSS, en évaluant l’impact de l’isoflurane, du délai et du sexe sur la performance de la tâche et l’activité. Des courbes psychométriques (psychometric curve fitting) et des modèles linéaires à effets mixtes (linear mixed-effects model) ont été utilisés pour analyser les données.
Résultats principaux
1. Impact de l’isoflurane sur la mémoire de travail
De faibles doses d’isoflurane ont significativement réduit la performance de la mémoire de travail visuospatiale, se traduisant par une baisse du taux de réussite et une réduction de l’activité. Ce déficit de mémoire était indépendant du sexe et du délai, et s’est rapidement résorbé dans les 15 minutes suivant l’arrêt de l’isoflurane.
2. Effet des psychostimulants dopaminergiques
Bien que les psychostimulants dopaminergiques (comme le chloro-APB et la dextroamphétamine) aient restauré l’activité des rats à des niveaux de base, ils n’ont pas inversé les déficits de mémoire de travail induits par l’isoflurane. Cela suggère que la sédation et les déficits de mémoire induits par l’isoflurane ont des mécanismes distincts et peuvent être antagonisés indépendamment.
3. Comparaison entre induction et récupération
L’étude a montré qu’il n’y avait pas de différence significative dans la performance de la tâche entre l’induction et la récupération de l’anesthésie, indiquant que l’impact de l’isoflurane sur la mémoire de travail est réversible et ne persiste pas après l’anesthésie.
Conclusion
Cette étude a utilisé la tâche TUNL pour évaluer l’impact de faibles doses d’isoflurane sur la mémoire de travail visuospatiale et a montré que les psychostimulants dopaminergiques peuvent restaurer l’éveil sans inverser les déficits de mémoire. Cette découverte suggère que la sédation et les déficits de mémoire induits par l’isoflurane ont des mécanismes neuronaux distincts et peuvent être modulés indépendamment par des voies pharmacologiques différentes. Les résultats fournissent de nouvelles perspectives sur les mécanismes neuronaux des agents anesthésiques et pourraient contribuer au développement de stratégies anesthésiques plus sûres.
Points forts de l’étude
- Découverte majeure : Les psychostimulants dopaminergiques peuvent restaurer l’éveil lors de la sédation induite par l’isoflurane sans inverser les déficits de mémoire, indiquant que la sédation et les déficits de mémoire ont des mécanismes neuronaux distincts.
- Innovation méthodologique : L’étude a utilisé la tâche TUNL, combinant la technologie d’écran tactile et la détection de ruptures de faisceaux infrarouges, permettant d’évaluer simultanément la mémoire et l’activité.
- Valeur applicative : Les résultats offrent de nouvelles perspectives sur les mécanismes neuronaux des agents anesthésiques et pourraient contribuer au développement de stratégies anesthésiques plus sûres, réduisant le risque de dysfonctionnement cognitif postopératoire.
Autres informations pertinentes
L’étude souligne également que des recherches futures pourraient explorer le rôle des psychostimulants non dopaminergiques (comme la caféine et les agents cholinergiques) dans la récupération cognitive post-anesthésique. De plus, elle met en évidence l’impact de la dose et de la durée d’exposition aux agents anesthésiques sur les déficits de mémoire, suggérant une utilisation prudente de ces agents en clinique.
Grâce à cette étude, les chercheurs ont mis en lumière les différents mécanismes par lesquels l’isoflurane affecte la mémoire et l’éveil, fournissant un soutien théorique important au domaine de l’anesthésiologie. Les recherches futures pourraient s’appuyer sur ces résultats pour explorer davantage les mécanismes neuronaux des agents anesthésiques et optimiser les stratégies anesthésiques afin de réduire l’incidence des dysfonctionnements cognitifs postopératoires.