Organisation des soins neurocritiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire

Étude sur l’organisation des soins de neurocritique dans les pays à faible et moyen revenu

Contexte académique et problématique

Les soins de neurocritique (Neurocritical Care, NCC) constituent une branche unique de la médecine intensive qui a connu une croissance rapide au cours des dernières décennies. Des études montrent que les patients atteints de lésions cérébrales aiguës ont des résultats significativement améliorés lorsqu’ils sont traités dans des unités dédiées par une équipe spécialisée en NCC. Bien que le NCC soit bien établi dans les pays à haut revenu (High-Income Countries, HICs), ce domaine est encore à ses débuts dans de nombreux pays à faible et moyen revenu (Low- and Middle-Income Countries, LMICs).

Des écarts de ressources notables existent entre les HICs et les LMICs concernant l’accès aux ressources essentielles telles que les lits d’unité de soins intensifs (Intensive Care Unit, ICU), l’imagerie neuronale, les laboratoires cliniques, les capacités neurochirurgicales et les médicaments pour gérer les affections neurologiques complexes. Dans les LMICs, il y a une pénurie aiguë de personnel de santé formé pour gérer les urgences neurologiques, et l’expertise spécialisée en NCC est largement absente. Ces limitations de ressources entravent la fourniture efficace de NCC, et les informations disponibles sur les capacités actuelles de NCC dans les LMICs sont limitées.

Bien que l’étude PRINCE (Point Prevalence in Neurocritical Care) menée par la Société de neurocritique (Neurocritical Care Society, NCS) vise à fournir un aperçu global des pratiques de NCC, ses résultats reflètent principalement l’expérience des grands centres académiques dans des environnements à ressources élevées, avec une représentation minimale des LMICs. Par conséquent, cette étude ne peut pas être pleinement extrapolée aux LMICs, où les défis sont beaucoup plus marqués.

Cette étude se concentre exclusivement sur les pratiques de NCC dans les environnements à ressources limitées afin de combler ce fossé. En s’appuyant sur les résultats de l’étude PRINCE et en les contextualisant pour les LMICs, les chercheurs espèrent comprendre l’organisation du NCC dans ces pays. Bien que toutes les hôpitaux offrant des services de NCC n’aient pas été inclus, les chercheurs estiment que cela fournira des informations précieuses sur l’allocation des ressources, la charge de morbidité et les domaines de recherche potentiels. Finalement, ces informations peuvent aider les LMICs à prioriser les ressources et à élaborer des stratégies pour améliorer la qualité des soins aux patients atteints de lésions neurologiques, qui font souvent face à une morbidité et une mortalité plus élevées par rapport aux patients dans les HICs.

Sources de l’article et présentation des auteurs

Cette étude a été réalisée conjointement par des chercheurs de 45 institutions différentes, dont Hemanshu Prabhakar de l’Institut indien des sciences médicales (All India Institute of Medical Sciences, New Delhi, India) et Abhijit V. Lele du centre médical Harborview de l’Université de Washington (Harborview Medical Center, University of Washington, Seattle, WA, USA). L’article a été publié en 2025 dans la revue Neurocritical Care.

Méthodologie de l’étude

Population et taille de l’échantillon

Cette étude utilise une méthode d’enquête transversale, collectant des données auprès de 408 prestataires de soins de santé provenant de 42 LMICs. Ces données portent sur l’existence d’unités de soins intensifs neurologiques dédiées (Neurointensive Care Units, NICUs), la composition de l’équipe de travail, l’accès aux technologies de soins critiques et le respect des protocoles basés sur des preuves.

Collecte et analyse des données

Les données ont été collectées en ligne via Google Forms et analysées statistiquement à l’aide du logiciel Stata 18.0. Les statistiques descriptives ont été utilisées pour résumer les données, le test de Kruskal-Wallis pour évaluer les différences entre les régions géographiques, et le test de Pearson’s χ² pour évaluer les différences basées sur la classification économique de la Banque mondiale.

Conception et distribution de l’enquête

L’équipe de recherche a adapté le formulaire de rapport de cas initialement développé par la NCS pour l’étude PRINCE, puis a procédé à une révision et à des modifications par le comité directeur pour l’adapter aux environnements à ressources limitées. Les représentants nationaux ont recruté des participants via des réseaux informels, des courriels et des plateformes de médias sociaux (comme WhatsApp et les listes de diffusion des sociétés de soins intensifs). Chaque représentant national des LMICs était responsable de la distribution du lien de l’enquête aux institutions locales et aux collègues.

Résultats de l’étude

Infrastructure et allocation des ressources

L’étude a révélé qu’à peine 36,8% des répondants disposaient d’unités NICU dédiées, avec une proportion maximale de 100% dans la région du Moyen-Orient et une proportion minimale de 11,5% en Afrique subsaharienne. L’accès aux technologies de soins critiques, comme les scanners CT portatifs, était très limité, notamment dans les pays à faible revenu (Low-Income Countries, LICS) où l’accès aux scanners CT portatifs était nul. De plus, il était courant de dépendre des internes en anesthésie pour fournir des soins 24 heures sur 24.

Pénurie de personnel

L’étude a montré une pénurie généralisée de personnel dans les LMICs, de nombreuses institutions dépendant des internes en anesthésie pour assurer une couverture 24 heures sur 24. Le ratio infirmier/patient était généralement de 1:2 dans les différentes régions, mais de 1:3 dans la région Europe et Asie centrale. Les prestataires de soins avancés (Advanced Practice Providers, APPs) étaient particulièrement rares dans les LICS.

Respect des directives et des protocoles

Le respect des directives pour l’AVC ischémique aigu (Acute Ischemic Stroke, AIS) et les traumatismes crâniens (Traumatic Brain Injury, TBI) était de 61,7% et 55,6% respectivement, avec un taux de respect maximal dans la région Amérique latine et Caraïbes (Latin America and the Caribbean, LAC) de 72% et 73%. Les taux de respect étaient plus élevés dans les pays à revenu intermédiaire supérieur (Upper Middle-Income Countries, UMICs) (66% et 60%) mais plus faibles dans les LICS (22% et 32%).

Accès aux ressources technologiques

L’accès aux scanners CT portatifs et aux services de télésurveillance en unité de soins intensifs (tele-ICU) était très limité dans les LMICs. Seulement 9,3% des répondants disposaient de scanners CT portatifs, avec un taux d’accès de 19,3% dans les UMICs et aucun accès dans les LICS. Les services de tele-ICU étaient disponibles dans seulement 14,9% des institutions, avec un taux de 21,3% dans les UMICs.

Conclusions et implications

Conclusion de l’étude

Cette étude met en lumière les lacunes cruciales dans l’infrastructure, le personnel et la technologie dans les LMICs, mais elle souligne également le potentiel d’amélioration. Des investissements stratégiques dans la capacité des NICUs, la formation du personnel et les technologies abordables sont un besoin non satisfait dans les environnements à ressources limitées. Ces découvertes offrent une feuille de route aux décideurs politiques et aux parties prenantes de la santé mondiale pour prioriser les soins de neurocritique et réduire les disparités dans les résultats des patients à l’échelle mondiale.

Valeur de l’étude

Cette étude souligne l’organisation, les ressources et le respect des directives en matière de NCC dans les LMICs, révélant des écarts significatifs dans l’infrastructure, le personnel et le respect des protocoles standardisés. Malgré les défis, les résultats de l’étude offrent des opportunités clés pour améliorer la livraison des soins, en recommandant une attention particulière à l’infrastructure, au développement du personnel et à l’accès à la technologie. Ces découvertes fournissent des références importantes aux décideurs politiques, aux ministères de la santé et aux fournisseurs de première ligne pour les aider à prendre des décisions en matière d’allocation des ressources et de réforme du système.

Points forts de l’étude

  1. Infrastructure inégale : La distribution des NICUs varie considérablement selon les régions, en particulier en Afrique subsaharienne où l’accès est sévèrement limité.
  2. Pénurie de personnel : La dépendance aux internes en anesthésie pour les soins 247 est courante, et les APPs sont particulièrement rares dans les LICS.
  3. Faible respect des directives : Les taux de respect des directives pour l’AIS et le TBI sont plus élevés dans les UMICs mais plus bas dans les LICS.
  4. Accès limité aux ressources technologiques : Les scanners CT portatifs et les services de tele-ICU sont très peu accessibles, surtout dans les LICS.

Perspectives futures

Les résultats de cette étude ont des implications importantes pour la politique de santé mondiale. Renforcer les systèmes de NCC dans les LMICs contribue non seulement à améliorer les résultats des patients, mais aussi à promouvoir l’équité en santé mondiale. Quelle que soit leur localisation, tous les patients atteints d’une urgence neurologique méritent d’avoir accès aux meilleurs soins possibles. Grâce à des interventions ciblées, il est possible de construire un système mondial de NCC qui sert tous les patients, quel que soit leur lieu de résidence ou leur statut économique.