Effets de l'anesthésie par inhalation versus l'anesthésie intraveineuse totale sur la mortalité à long terme chez les patients âgés après une chirurgie non cardiaque : une étude observationnelle rétrospective

Effets de l’anesthésie par inhalation versus l’anesthésie intraveineuse totale sur la mortalité à long terme chez les patients âgés après une chirurgie non cardiaque : une étude observationnelle rétrospective

Contexte académique

Avec le phénomène mondial de vieillissement, le nombre de patients âgés subissant des interventions chirurgicales augmente chaque année. Les patients âgés, en raison d’une fonction organique réduite et de comorbidités plus fréquentes, sont plus susceptibles de subir des effets indésirables liés à la chirurgie et à l’anesthésie. De plus, la sensibilité aux agents anesthésiques augmente avec l’âge, ce qui peut retarder la récupération postopératoire et augmenter le risque de morbidité et de mortalité périopératoires. Par conséquent, il est essentiel de trouver un équilibre entre les conditions chirurgicales optimales et la minimisation des effets indésirables de l’anesthésie chez les patients âgés.

Le choix du mode d’anesthésie est l’une des décisions clés que l’anesthésiste prend pour le traitement individualisé d’un patient. L’anesthésie par inhalation et l’anesthésie intraveineuse totale (Total Intravenous Anesthesia, TIVA) sont deux méthodes couramment utilisées pour le maintien de l’anesthésie. L’anesthésie par inhalation, en raison de son administration simple, de son début et de sa fin rapides, est largement utilisée depuis longtemps et pourrait offrir une protection multi-organes en atténuant la réponse inflammatoire. La TIVA, utilisant principalement le propofol, présente des avantages tels qu’une réduction des nausées et vomissements postopératoires et un réveil plus doux, et est considérée comme ayant des propriétés neuroprotectrices, pouvant potentiellement réduire les dysfonctionnements cognitifs postopératoires chez les patients âgés. Cependant, il n’existe pas de consensus sur l’impact de ces deux méthodes d’anesthésie sur la mortalité à long terme chez les patients âgés. Bien qu’une revue Cochrane ait indiqué qu’il n’y avait pas de différence significative dans la mortalité à 30 jours entre l’anesthésie par inhalation et la TIVA chez les patients âgés subissant une chirurgie non cardiaque, les preuves sont limitées en raison de la petite taille des échantillons ou de la faible mortalité. Par conséquent, cette étude vise à explorer l’impact de l’anesthésie par inhalation et de la TIVA sur la mortalité à long terme chez les patients âgés subissant une chirurgie non cardiaque, ainsi qu’à évaluer leur impact sur les complications postopératoires.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Ah Ran Oh, Jungchan Park, Jong-Hwan Lee, Joonghyun Ahn, Dongjae Lee et Seung Yoon Yoo du département d’anesthésiologie et de médecine de la douleur du Samsung Medical Center en Corée, et publié dans le British Journal of Anaesthesia, volume 133, numéro 4, en 2024. L’article a été publié en ligne le 5 août 2024, avec le DOI 10.1016/j.bja.2024.07.008.

Conception et méthodes de l’étude

Conception de l’étude et population

Cette étude est une étude observationnelle rétrospective, utilisant les données du registre des chirurgies non cardiaques du Samsung Medical Center (SMC-NOCOP), qui enregistre les patients adultes ayant subi une chirurgie non cardiaque entre janvier 2011 et juin 2019 au Samsung Medical Center à Séoul, en Corée. Les patients de moins de 60 ans, ceux n’ayant pas reçu d’anesthésie générale ou dont la durée d’anesthésie était inférieure à 2 heures ont été exclus, aboutissant à un total de 45 879 patients. Ces patients ont été divisés en deux groupes selon le mode de maintien de l’anesthésie : le groupe TIVA (7 273 patients, 15,9 %) et le groupe anesthésie par inhalation (38 606 patients, 84,1 %).

Collecte des données et facteurs de confusion potentiels

Les données ont été collectées à partir des dossiers médicaux électroniques, incluant les caractéristiques de base des patients, les antécédents sociaux et médicaux, les médicaments préopératoires, le type de chirurgie et le risque chirurgical. L’indice de comorbidité de Charlson a été utilisé pour évaluer l’état de santé général des patients. Pour réduire l’impact des facteurs de confusion, la méthode de pondération par l’inverse de la probabilité de traitement (Inverse Probability of Treatment Weighting, IPTW) a été utilisée.

Résultats et définitions de l’étude

Le résultat principal était la mortalité toutes causes confondues dans l’année suivant la chirurgie. Les résultats secondaires incluaient les complications postopératoires (complications pulmonaires postopératoires, événements cardiovasculaires indésirables périopératoires et lésion rénale aiguë) ainsi que la mortalité à 3 et 5 ans après la chirurgie. Les complications postopératoires ont été définies sur la base des codes de classification internationale des maladies ou des définitions cliniques.

Gestion de l’anesthésie

La gestion de l’anesthésie a été laissée à la discrétion de l’anesthésiste en fonction des conditions spécifiques du patient. L’anesthésie par inhalation a été induite par voie intraveineuse (thiopental, propofol ou étomidate) puis maintenue avec un agent inhalatoire (sévoflurane, desflurane ou isoflurane). La TIVA a été maintenue par une perfusion intraveineuse continue de propofol et de rémifentanil.

Analyse statistique

La méthode IPTW a été utilisée pour ajuster les facteurs de confusion, et les analyses de Kaplan-Meier et de régression des risques proportionnels de Cox ont été utilisées pour comparer la mortalité entre les deux groupes. Les complications postopératoires ont été analysées à l’aide de modèles de régression logistique. De plus, des analyses de sous-groupes et des analyses de sensibilité ont été réalisées pour vérifier la robustesse des résultats.

Résultats de l’étude

Caractéristiques des patients

L’étude a inclus 45 879 patients, dont 7 273 dans le groupe TIVA et 38 606 dans le groupe anesthésie par inhalation. Les deux groupes présentaient certaines différences dans les caractéristiques de base et les variables périopératoires, mais après ajustement par IPTW, les variables étaient bien équilibrées entre les deux groupes.

Résultat principal

La mortalité toutes causes confondues dans l’année suivant la chirurgie était de 5,8 % (2 64345 879). La mortalité à 1 an était de 4,4 % (3207 273) dans le groupe TIVA et de 6,0 % (2 32338 606) dans le groupe anesthésie par inhalation. Après ajustement par IPTW, il n’y avait pas d’association significative entre le type d’anesthésie et la mortalité à 1 an (HR = 0,95 ; IC à 95 % 0,84-1,08).

Résultats secondaires

La mortalité à 3 et 5 ans était plus élevée dans le groupe anesthésie par inhalation, mais après ajustement par IPTW, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes. Cependant, le taux de complications postopératoires était significativement plus élevé dans le groupe anesthésie par inhalation, incluant les complications pulmonaires postopératoires (OR = 1,30 ; IC à 95 % 1,22-1,37), les événements cardiovasculaires indésirables périopératoires (OR = 1,34 ; IC à 95 % 1,22-1,48) et la lésion rénale aiguë (OR = 2,19 ; IC à 95 % 1,88-2,57).

Analyse de sous-groupes

L’analyse de sous-groupes a montré que l’effet du type d’anesthésie sur la mortalité à 1 an variait selon le sexe et la nature de la chirurgie. L’anesthésie par inhalation était associée à une augmentation de la mortalité chez les patientes (HR = 1,24 ; IC à 95 % 1,02-1,50), mais à une réduction de la mortalité chez les patients subissant une chirurgie d’urgence (HR = 0,70 ; IC à 95 % 0,53-0,93).

Analyse de sensibilité

Les analyses de sensibilité utilisant l’appariement par score de propension (Propensity Score Matching, PSM) et la pondération par l’inverse de la probabilité de censure (Inverse Probability of Censoring Weighting, IPCW) ont confirmé les résultats de l’analyse principale, renforçant la robustesse de l’étude.

Discussion

Cette étude montre que le choix du mode d’anesthésie n’a pas d’impact significatif sur la mortalité à 1 an chez les patients âgés subissant une chirurgie non cardiaque. Cependant, l’anesthésie par inhalation est associée à une augmentation des complications postopératoires, en particulier chez les patientes et les patients subissant une chirurgie d’urgence, où le type d’anesthésie pourrait avoir des effets différents sur la mortalité. L’effet protecteur de l’anesthésie par inhalation dans les chirurgies d’urgence pourrait être lié à son rôle modulateur dans la réponse inflammatoire.

Conclusion

Chez les patients âgés subissant une chirurgie non cardiaque, le choix du mode d’anesthésie n’affecte pas la mortalité à 1 an. Cependant, le type d’anesthésie pourrait avoir des effets différents sur la mortalité chez les femmes et les patients subissant une chirurgie d’urgence. L’anesthésie par inhalation et la TIVA peuvent être utilisées en toute sécurité chez les patients âgés, et le choix du mode d’anesthésie doit être individualisé en fonction des conditions spécifiques du patient et des préférences de l’anesthésiste.

Points forts de l’étude

  1. Étude rétrospective à grande échelle : Cette étude a inclus 45 879 patients âgés, offrant une puissance statistique élevée.
  2. Évaluation de la mortalité à long terme : L’étude a évalué non seulement la mortalité à 1 an, mais aussi à 3 et 5 ans, fournissant des données complètes sur le pronostic à long terme.
  3. Analyse de sous-groupes : L’analyse de sous-groupes a révélé des effets spécifiques du type d’anesthésie sur la mortalité chez les femmes et les patients subissant une chirurgie d’urgence, offrant des indications pour des stratégies d’anesthésie individualisées.
  4. Méthodes statistiques rigoureuses : L’étude a utilisé plusieurs méthodes statistiques, notamment l’IPTW, le PSM et l’IPCW, pour contrôler les facteurs de confusion et améliorer la fiabilité des résultats.

Signification de l’étude

Cette étude fournit des indications importantes pour le choix du mode d’anesthésie chez les patients âgés subissant une chirurgie non cardiaque. Bien que le type d’anesthésie n’affecte pas la mortalité à long terme, l’anesthésie par inhalation peut augmenter le risque de complications postopératoires, en particulier chez les femmes. Par conséquent, les anesthésistes doivent prendre en compte les conditions spécifiques du patient et le type de chirurgie pour choisir le mode d’anesthésie optimal, afin d’obtenir les meilleurs résultats pour le patient.