Caractéristiques de décharge des unités motrices innervant les muscles fonctionnellement paralysés
Étude sur la fonction des motoneurones après une lésion de la moelle épinière
Contexte
La lésion de la moelle épinière (Spinal Cord Injury, SCI) est une maladie neurologique grave qui entraîne souvent une perte de la fonction motrice chez les patients. Bien que les patients atteints de SCI ne puissent plus contrôler volontairement leurs mouvements, des études ont montré que les motoneurones situés en dessous du niveau de la lésion peuvent conserver une certaine fonctionnalité. Cependant, les comportements spécifiques de ces motoneurones après la lésion et les mécanismes de récupération fonctionnelle restent encore mal compris. Pour mieux comprendre les changements des motoneurones après une SCI, les chercheurs ont analysé les caractéristiques de décharge des unités motrices chez des patients atteints de SCI et des sujets sains lors de tentatives de mouvements de la main, en utilisant l’électromyographie de surface à haute densité (High-Density Surface Electromyography, HDsEMG) et l’imagerie ultrasonore.
Cette étude vise à révéler les propriétés neuronales et spatiales des motoneurones après une SCI, à explorer comment ces neurones s’adaptent après la lésion, et à analyser les mécanismes potentiels de récupération fonctionnelle. En comparant l’activité des unités motrices entre les patients atteints de SCI et les sujets sains, les chercheurs espèrent fournir de nouvelles perspectives pour les futures technologies d’interface neuronale et les traitements de rééducation.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Daniela Souza de Oliveira, Marco Carbonaro, Brent James Raiteri, Alberto Botter, Matthias Ponfick et Alessandro Del Vecchio. L’équipe de recherche provient de plusieurs institutions, notamment le Département d’Intelligence Artificielle et d’Ingénierie Biomédicale de l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg en Allemagne, le Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Neuromusculaires de l’École Polytechnique de Turin en Italie, le Département des Sciences du Sport de l’Université de la Ruhr à Bochum en Allemagne, et le Centre de Lésions Médullaires de l’Hôpital Rummelsberg en Allemagne. L’article a été publié pour la première fois le 20 décembre 2024 dans le Journal of Neurophysiology, avec le DOI 10.1152/jn.00389.2024.
Déroulement de l’étude
Sujets et conception expérimentale
L’étude a recruté 8 patients atteints de lésions médullaires complètes chroniques (groupe SCI) et 12 sujets sains (groupe témoin). Les patients du groupe SCI présentaient des lésions situées entre les niveaux C4 et C6, et n’avaient aucune capacité de mouvement volontaire des mains depuis au moins un an. Le groupe témoin était composé d’adultes en bonne santé âgés de 27,1 ± 3,4 ans. Tous les participants ont signé un consentement éclairé, et l’expérience a été approuvée par un comité d’éthique.
Au cours de l’expérience, les chercheurs ont placé des grilles d’électrodes HDsEMG sur les muscles de l’avant-bras des participants pour enregistrer leur activité musculaire lors de tentatives de mouvements de la main. Les participants ont suivi des vidéos d’une main virtuelle en mouvement pour tenter d’effectuer des mouvements de flexion et d’extension des doigts. Les tâches expérimentales comprenaient des mouvements de flexion et d’extension individuels des cinq doigts, des mouvements d’ouverture et de fermeture des doigts, ainsi que des pinces à deux et trois doigts, à une fréquence de 0,5 Hz et d’une durée de 42 secondes.
Acquisition et analyse des données
Les chercheurs ont utilisé l’HDsEMG pour enregistrer l’activité musculaire des participants et ont décomposé les signaux à l’aide d’un algorithme de séparation aveugle des sources pour extraire les motifs de décharge des unités motrices individuelles. Pour analyser davantage les propriétés spatiales des unités motrices, les chercheurs ont également combiné l’imagerie ultrasonore pour observer les déplacements des tissus musculaires.
Dans la partie analyse des données, les chercheurs ont utilisé la méthode de factorisation matricielle non négative (Non-negative Matrix Factorization, NNMF) pour extraire les modes d’entrée communs des unités motrices. En calculant la différence de phase entre les motifs de décharge des unités motrices et la cinématique de la main virtuelle, les chercheurs ont classé les unités motrices en deux catégories : modulées par la tâche (task-modulated) et non modulées (nonmodulated), puis ont analysé leurs caractéristiques de décharge.
Résultats de l’étude
L’étude a révélé que, tant dans le groupe SCI que dans le groupe témoin, les motifs de décharge des unités motrices pouvaient être divisés en deux modes principaux, correspondant respectivement aux mouvements de flexion et d’extension des doigts. Bien que la corrélation entre les motifs de décharge des unités motrices du groupe SCI et la cinématique de la main virtuelle soit plus faible, les délais temporels entre les deux groupes étaient similaires, indiquant que l’entrée commune aux motoneurones est toujours préservée après une SCI.
De plus, la proportion d’unités motrices non modulées dans le groupe SCI était significativement plus élevée que dans le groupe témoin, suggérant que les motifs de décharge de certaines unités motrices deviennent irréguliers ou toniques après une SCI. Les chercheurs ont également constaté que les zones d’activité des unités motrices du groupe SCI étaient plus étendues, ce qui pourrait être lié à la réorganisation neuronale et à la réinnervation des fibres musculaires après la lésion.
En combinant l’HDsEMG et l’imagerie ultrasonore, les chercheurs ont observé que les muscles paralysés des patients atteints de SCI produisaient encore des déplacements locaux lors des tentatives de mouvement, indiquant la présence d’unités motrices fonctionnelles dans ces muscles.
Conclusion et signification
Cette étude a mis en lumière les changements dans les caractéristiques de décharge et la distribution spatiale des motoneurones après une SCI, montrant que, bien que les patients ne puissent plus contrôler volontairement leurs mouvements, leurs motoneurones conservent une certaine fonctionnalité. Les résultats de l’étude fournissent une base importante pour le développement de systèmes d’interface cerveau-machine basés sur l’activité des motoneurones, en particulier pour le décodage en temps réel de l’intention de mouvement à partir des muscles paralysés.
En outre, l’étude souligne la diversité des comportements des unités motrices après une SCI, suggérant que les futurs traitements de rééducation devraient tenir compte des différences individuelles et élaborer des plans de traitement personnalisés en fonction des caractéristiques spécifiques des unités motrices.
Points forts de l’étude
- Méthode expérimentale innovante : L’étude combine l’électromyographie de surface à haute densité et l’imagerie ultrasonore, permettant pour la première fois d’enregistrer simultanément l’activité neuronale des unités motrices et les déplacements des tissus musculaires chez des patients atteints de SCI.
- Découverte importante : L’étude révèle que l’entrée commune aux motoneurones est toujours préservée après une SCI, et que certaines unités motrices réagissent encore à l’intention de mouvement, ouvrant de nouvelles possibilités pour les technologies d’interface neuronale.
- Potentiel clinique : Les résultats suggèrent que le décodage de l’activité des unités motrices dans les muscles paralysés pourrait permettre un décodage en temps réel de l’intention de mouvement, offrant de nouvelles perspectives pour la rééducation des patients atteints de SCI et le développement d’appareils d’assistance.
Autres informations utiles
L’équipe de recherche prévoit également d’explorer davantage les changements à long terme des unités motrices après une SCI et de tenter d’optimiser le contrôle des unités motrices grâce à des entraînements en boucle fermée et à des retours en temps réel. De plus, la mise à disposition des données de l’étude constituera une ressource précieuse pour d’autres chercheurs, favorisant les avancées dans le domaine des lésions médullaires.