Cataractes associées aux inhibiteurs des récepteurs du facteur de croissance des fibroblastes pour le cholangiocarcinome

Contexte académique et problématique

Les inhibiteurs des récepteurs du facteur de croissance des fibroblastes (FGFRi) sont une classe de médicaments ciblés utilisés pour traiter le cholangiocarcinome intrahépatique (iCCA). Bien que les FGFRi aient démontré une efficacité significative dans le traitement de l’iCCA, les complications potentielles liées à leur utilisation à long terme n’ont pas été suffisamment étudiées. En particulier, la question de savoir si les FGFRi sont associés à la formation ou à la progression de la cataracte est d’une importance cruciale dans la pratique clinique. La cataracte est une maladie oculaire courante qui peut entraîner une baisse de la vision, voire la cécité. Par conséquent, comprendre si le traitement par FGFRi est lié à la survenue de cataractes est essentiel pour optimiser les stratégies thérapeutiques et améliorer la qualité de vie des patients.

Des études antérieures ont montré que les FGFR sont largement exprimés dans les tissus oculaires, et que les FGFRi peuvent provoquer divers effets indésirables oculaires, tels que la sécheresse oculaire, l’uvéite et la rétinopathie séreuse centrale. Cependant, les recherches sur l’impact des FGFRi sur le cristallin adulte, en particulier la formation de cataractes, sont très limitées. Bien que la cataracte n’ait pas été signalée comme un événement indésirable courant dans les essais cliniques sur les FGFRi, quelques rapports de cas et études cliniques suggèrent que les FGFRi pourraient être associés à la survenue de cataractes. Par conséquent, cette étude vise à explorer, à travers une analyse rétrospective de cas, l’incidence, les caractéristiques cliniques et les facteurs de risque associés à la cataracte chez les patients atteints d’iCCA traités par FGFRi.

Source de l’article et informations sur les auteurs

Cette étude a été réalisée par Isabell Kassaye, Adam Alyafaie, Karen Zhang, Jacob Lifton, John D. Gordan, Robin Kate Kelley et Madeline Yung. Ces auteurs sont affiliés au département d’ophtalmologie et d’hématologie-oncologie de l’Université de Californie à San Francisco (UCSF). Les données de l’étude proviennent de la banque de tissus hépatobiliaires et du registre de l’UCSF, couvrant des patients atteints d’iCCA traités par FGFRi entre février 2015 et octobre 2021. L’étude a été menée du 6 septembre 2022 au 4 mai 2023, et l’analyse des données a été réalisée du 5 mai au 6 septembre 2023. Les résultats ont été publiés en ligne le 24 octobre 2024 dans la revue JAMA Ophthalmology.

Conception et méthodologie de l’étude

Il s’agit d’une étude rétrospective de série de cas visant à décrire l’apparition ou la progression de la cataracte chez les patients atteints d’iCCA traités par FGFRi. L’étude a inclus 18 patients porteurs d’anomalies du gène FGFR2 qui ont subi une évaluation ophtalmologique après un traitement par FGFRi. Le critère de jugement principal était la survenue d’une nouvelle cataracte ou l’aggravation d’une cataracte existante après le traitement par FGFRi. La cataracte était définie comme l’apparition d’une nouvelle cataracte, l’aggravation d’une cataracte préexistante, une indication de chirurgie de la cataracte, ou une baisse de la meilleure acuité visuelle corrigée (BCVA) d’au moins deux lignes.

L’étude a utilisé des analyses statistiques univariées et multivariées pour évaluer l’association entre la formation de cataracte et les variables cliniques. Les méthodes spécifiques comprenaient des tests t, des tests exacts de Fisher et un modèle de régression logistique bivariée pour analyser la relation entre la durée totale du traitement par FGFRi, l’âge des patients et la survenue de cataracte.

Résultats de l’étude

Parmi les 18 patients, 9 (50 %) ont développé une nouvelle cataracte ou une aggravation d’une cataracte existante dans au moins un œil après le traitement par FGFRi. Sur les 17 yeux atteints, 8 (47 %) ont nécessité une chirurgie de la cataracte. Un patient a développé une cataracte associée à un glaucome phacomorphe nécessitant une intervention chirurgicale urgente. Le délai médian entre le début du traitement par FGFRi et l’apparition ou l’aggravation de la cataracte était de 18 mois (plage : 1-23 mois). Il est à noter que 5 des 9 patients (56 %) ont été diagnostiqués avec une nouvelle cataracte ou une aggravation après l’arrêt du traitement par FGFRi.

L’analyse statistique a montré que les patients ayant développé une cataracte avaient reçu un traitement par FGFRi pendant une durée médiane plus longue (13 mois) que ceux n’ayant pas développé de cataracte (5 mois). L’analyse de régression bivariée a en outre révélé que la durée du traitement par FGFRi était significativement associée à la survenue de cataracte (OR=1,01, IC à 95 % : 1,00-1,02, p=0,048), tandis que l’âge des patients n’était pas significativement associé à la cataracte.

Discussion et conclusion

Cette étude est la première à explorer systématiquement la relation entre le traitement par FGFRi et la survenue de cataracte. Bien que la conception rétrospective de l’étude ne permette pas d’établir une relation de cause à effet, les résultats suggèrent que le traitement par FGFRi pourrait être associé à la formation ou à la progression de la cataracte, en particulier chez les patients traités pendant une durée prolongée. Cette constatation contraste avec les taux de cataracte plus faibles rapportés dans les essais cliniques précédents, probablement en raison de la durée de suivi plus courte dans ces essais, qui n’a pas permis de détecter les cataractes survenant après l’arrêt du traitement.

La voie de signalisation des FGFR joue un rôle crucial dans le développement et le maintien du cristallin, et les FGFRi pourraient perturber cette voie, entraînant des dommages structurels du cristallin et la formation de cataractes. De plus, l’hyperphosphatémie, un effet indésirable systémique courant des FGFRi, pourrait également contribuer à la formation de cataractes. L’étude a également révélé que certains patients ont développé des cataractes après l’arrêt du traitement, suggérant que l’inhibition prolongée des FGFR pourrait entraîner une réponse compensatoire du cristallin, et que la reprise de la signalisation après l’arrêt du traitement pourrait exacerber la formation de cataractes.

Sur la base de ces résultats, l’étude recommande des examens ophtalmologiques réguliers pendant et après le traitement par FGFRi pour détecter et gérer précocement les cataractes. Cela est particulièrement important pour améliorer la qualité de vie des patients, notamment dans le contexte d’une espérance de vie limitée pour les patients atteints d’iCCA.

Points forts et signification de l’étude

Le point fort de cette étude réside dans le fait qu’elle est la première à révéler systématiquement une association potentielle entre le traitement par FGFRi et la survenue de cataractes, comblant ainsi une lacune dans les connaissances dans ce domaine. Les résultats suggèrent que le traitement par FGFRi pourrait augmenter le risque de cataracte, en particulier chez les patients traités pendant une durée prolongée. Cette découverte fournit une référence importante pour la pratique clinique, en recommandant une surveillance ophtalmologique régulière pendant et après le traitement par FGFRi.

En outre, l’étude propose une hypothèse sur le mécanisme de survenue de cataractes après l’arrêt des FGFRi, ouvrant la voie à des recherches futures sur l’impact des FGFRi sur le cristallin. Bien que l’échantillon de l’étude soit de petite taille, les résultats ont une signification clinique importante, en particulier pour les patients atteints d’iCCA, chez qui la survenue de cataractes pourrait affecter davantage leur qualité de vie.

Limites de l’étude

Les limites de cette étude incluent sa conception rétrospective, l’incomplétude potentielle des données et la petite taille de l’échantillon. Étant donné que l’étude repose sur des dossiers médicaux, certaines évaluations ophtalmologiques peuvent ne pas avoir été systématiques, ce qui pourrait entraîner une sous-estimation de l’incidence des cataractes. De plus, l’espérance de vie limitée des patients atteints d’iCCA pourrait entraîner le décès de certains patients avant qu’ils ne développent une cataracte, affectant ainsi la précision des résultats.

Malgré ces limites, cette étude fournit des preuves préliminaires d’une association entre le traitement par FGFRi et la survenue de cataractes, jetant les bases pour des études prospectives futures.