Modélisation du transport ionique et hydrique à la surface oculaire par génération de cellules épithéliales humaines de la glande de Meibomius et de la conjonctive produisant des lipides et des mucines

Modélisation du transport ionique et hydrique à la surface oculaire humaine

Introduction

La surface oculaire joue un rôle crucial dans la physiologie et les maladies humaines, en particulier en ce qui concerne la stabilité et la composition du film lacrymal (tear film) qui recouvre l’œil. Le film lacrymal est composé de trois couches : une couche lipidique externe sécrétée par les glandes de Meibomius, une couche aqueuse intermédiaire produite par les glandes lacrymales, et une couche muqueuse interne sécrétée par les cellules épithéliales conjonctivales. Les fonctions du film lacrymal incluent la fourniture d’une surface optique lisse, l’élimination des débris et la défense contre les infections microbiennes. Toute anomalie ou déficit au niveau de la surface oculaire peut entraîner des pathologies telles que le syndrome de l’œil sec (dry eye). Cependant, bien que l’importance de la surface oculaire soit évidente, les recherches sur l’expression, les propriétés et la régulation des canaux ioniques dans les cellules épithéliales oculaires sont encore relativement rares. La plupart des études existantes reposent sur des modèles animaux tels que le rat, la souris ou le lapin, tandis que les recherches portant sur les cellules épithéliales humaines sont moins fréquentes.

Pour combler cette lacune, une équipe de recherche de l’université de Poitiers, du Centre Hospitalier Universitaire de Poitiers, de la plateforme ImageUP et de H4 Orphan Pharma a mené une étude visant à explorer les mécanismes de transport ionique et hydrique dans les cellules épithéliales conjonctivales humaines (hconec) et les cellules épithéliales des glandes de Meibomius (hmgec). Cette étude a non seulement généré des cellules capables de sécréter du mucus et des lipides, mais a également utilisé des techniques comme la chambre de Ussing et la microscopie quantitative de phase pour décrire en détail l’expression et la fonction des canaux ioniques et des canaux hydriques dans ces cellules.

Source de l’article

Cette recherche a été réalisée par Chloë Radji, Christine Barrault, Roxane Flausse, Nicolas Leveziel, Anne Cantereau, Catherine Bur, Gaëtan Terrasse et Frédéric Becq, et a été publiée le 28 janvier 2025 dans American Journal of Physiology-Cell Physiology. L’étude a bénéficié du soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et de la région Nouvelle-Aquitaine.

Méthodologie et résultats

1. Génération et caractérisation des cellules épithéliales conjonctivales et des glandes de Meibomius humaines

L’équipe de recherche a d’abord isolé et cultivé des cellules épithéliales conjonctivales primaires humaines (hconec) et des cellules épithéliales des glandes de Meibomius (hmgec) à partir de tissus oculaires humains. Grâce à des analyses immunofluorescentes, les chercheurs ont confirmé la nature épithéliale de ces cellules tout en excluant toute contamination par des cellules endothéliales, fibroblastiques ou myofibroblastiques. Par la suite, ils ont validé la capacité des hconec à sécréter la mucine Muc5AC par des tests ELISA, et celle des hmgec à sécréter des lipides grâce à la coloration au rouge Oil Red O. Ces résultats montrent que les modèles cellulaires générés peuvent simuler les fonctions physiologiques des cellules épithéliales oculaires humaines.

2. Étude des canaux ioniques

Afin d’examiner les mécanismes de transport ionique dans ces cellules, les chercheurs les ont cultivées dans des conditions d’interface air-liquide (air-liquid interface) et ont enregistré les courants transépithéliaux à court-circuit (transepithelial short-circuit current, isc) à l’aide d’une chambre de Ussing. Ils ont découvert que plusieurs canaux ioniques étaient présents dans la membrane apicale des hconec et hmgec, notamment le canal sodique épithélial sensible à l’amiloride (ENaC), le régulateur de conductance transmembranaire de la fibrose kystique dépendant du cAMP (CFTR), le TMEM16A activé par l’UTP, ainsi que le canal potassique KCNQ1 sensible au Chromanol 293B. Dans la membrane basolatérale, ils ont identifié le co-transporteur Na-K-Cl sensible au bumétanide (NKCC) et des canaux potassiques sensibles au baryum.

À travers des expériences pharmacologiques, les chercheurs ont validé les fonctions de ces canaux. Par exemple, l’amiloride a inhibé les courants sodiques médiés par ENaC, tandis que le forskoline (un activateur de cAMP) et le VX-770 (un amplificateur de CFTR) ont activé la sécrétion de chlorure via CFTR. De plus, l’UTP a pu induire une sécrétion de chlorure dépendante du calcium en activant les récepteurs P2Y2 et le canal TMEM16A.

3. Étude du transport hydrique

Les chercheurs ont également mesuré le transport hydrique dans les hconec et hmgec à l’aide de la microscopie quantitative de phase. Ils ont constaté que le forskoline pouvait stimuler l’afflux d’eau via la voie cAMP, tandis que le chlorure de mercure (HgCl2) inhibait ce processus. Des analyses Western blot ont confirmé l’expression des aquaporines AQP3 et AQP5 dans les hconec et hmgec, indiquant que le transport hydrique dépendant du cAMP est principalement médié par ces protéines.

4. Régulation par le VIP

L’étude a également révélé que le peptide intestinal vasoactif (vasoactive intestinal peptide, VIP) pouvait activer CFTR via la voie cAMP, stimulant ainsi la sécrétion de chlorure. L’effet du VIP était dépendant de la concentration, avec des valeurs EC50 de 1 nM pour les hconec et 8 nM pour les hmgec. Cette découverte suggère que le VIP pourrait jouer un rôle physiologique important dans le transport ionique et hydrique des cellules épithéliales oculaires.

Conclusion et implications

Cette étude décrit pour la première fois de manière systématique les mécanismes moléculaires du transport ionique et hydrique dans les cellules épithéliales conjonctivales et des glandes de Meibomius humaines, proposant un modèle détaillé de ces transports. Elle comble ainsi une lacune dans la recherche sur les canaux ioniques dans les cellules épithéliales oculaires humaines et fournit des bases expérimentales importantes pour comprendre les mécanismes moléculaires de la sécrétion lacrymale et des maladies associées. Ces découvertes pourraient offrir de nouvelles cibles et stratégies pour le traitement de pathologies comme le syndrome de l’œil sec.

Points forts de l’étude

  1. Génération de cellules primaires humaines : L’étude a réussi pour la première fois à cultiver et identifier des cellules épithéliales conjonctivales et des glandes de Meibomius humaines capables de sécréter du mucus et des lipides, offrant un modèle fiable pour les recherches futures.
  2. Analyse complète des canaux ioniques : L’étude décrit en détail l’expression et la fonction de divers canaux ioniques tels que ENaC, CFTR, TMEM16A et KCNQ1 dans les cellules épithéliales oculaires.
  3. Exploration des mécanismes de transport hydrique : À l’aide de la microscopie quantitative de phase, l’étude a révélé les mécanismes de transport hydrique dépendant du cAMP et a confirmé le rôle clé des aquaporines AQP3 et AQP5.
  4. Rôle régulateur du VIP : L’étude a montré que le VIP peut activer CFTR via la voie cAMP, offrant une nouvelle perspective sur la régulation de la sécrétion dans les cellules épithéliales oculaires.

Autres informations précieuses

L’équipe de recherche a également fourni des moyens de partage des données expérimentales, renforçant la transparence et la reproductibilité de l’étude. De plus, la technique de microscopie quantitative de phase utilisée dans cette étude offre une méthode innovante pour surveiller en temps réel le transport hydrique dans les cellules vivantes, avec un large potentiel d’applications.


Grâce à cette étude, nous comprenons désormais mieux les mécanismes moléculaires du transport ionique et hydrique dans les cellules épithéliales de la surface oculaire humaine, et elle ouvre de nouvelles perspectives pour le traitement des maladies associées. À l’avenir, les recherches fondées sur ces découvertes pourraient conduire à des avancées significatives dans le traitement du syndrome de l’œil sec et d’autres affections oculaires.