Les mouvements oculaires de fixation comme sensation active pour une haute acuité visuelle
Les micro-mouvements oculaires comme mécanisme de sensation active pour une haute acuité visuelle
Contexte académique
La perception visuelle humaine est un processus complexe, en particulier lorsque nous essayons de maintenir notre regard fixe. Même dans ces conditions, nos yeux produisent des mouvements involontaires infimes, appelés micro-mouvements oculaires (Fixational Eye Movements, FEM). Ces micro-mouvements incluent généralement deux types : la dérive (drift) et les micro-saccades. Des études antérieures ont montré que, bien que les FEM provoquent des tremblements de l’image sur la rétine, le système visuel humain est toujours capable de percevoir des détails plus fins que l’amplitude de ces mouvements. Ce phénomène a suscité un vif intérêt dans la communauté scientifique : pourquoi les FEM ne nuisent-ils pas à l’acuité visuelle, et pourraient même y contribuer positivement ?
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont combiné théorie et expérimentation afin de révéler les mécanismes par lesquels les FEM influencent l’encodage visuel et l’acuité visuelle dans différentes conditions. En étudiant les propriétés dynamiques des FEM et leur impact sur l’activité neuronale rétinienne, cette recherche vise à expliquer comment les FEM jouent un rôle actif dans les tâches de haute acuité visuelle et à explorer les mécanismes d’encodage neural sous-jacents.
Source de l’article
Cette recherche a été menée par Trang-Anh E. Nghiem, Jenny L. Witten, Oscar Dufour, Wolf M. Harmening et Rava Azeredo da Silveira. L’équipe de recherche provient de plusieurs institutions prestigieuses, notamment l’École Normale Supérieure de Paris en France, l’Institut de Recherche en Ophtalmologie Moléculaire et Clinique de Bâsel en Suisse, le Département d’Ophtalmologie de l’Université de Bonn en Allemagne et le Département d’Économie de l’Université de Zurich en Suisse. L’article a été publié le 4 février 2025 dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) sous le titre Fixational eye movements as active sensation for high visual acuity.
Méthodologie et résultats
1. Conception expérimentale et participants
L’étude a recruté 17 participants adultes en bonne santé (8 hommes, 9 femmes, âgés de 10 à 42 ans). Les mouvements oculaires ont été enregistrés à l’aide d’un ophtalmoscope à balayage laser à optique adaptative (Adaptive Optics Scanning Laser Ophthalmoscope, AOSLO) pendant une tâche de discrimination visuelle. Les participants devaient identifier l’orientation d’une lettre Snellen E (haut, bas, gauche, droite), dont la taille était ajustée à chaque essai par une procédure d’escalier adaptative bayésienne, variant de 0,6 à 1,6 minutes d’arc. Chaque expérience comprenait 20 essais, répétés sur cinq sessions.
2. Enregistrement et analyse des trajectoires des FEM
Grâce à l’AOSLO, l’équipe a enregistré les mouvements rétiniens et les positions des stimuli avec une haute résolution temporelle (environ 960 Hz). Les trajectoires des FEM ont été modélisées comme un processus de diffusion bidimensionnel, et le coefficient de diffusion (diffusion coefficient, D) a été calculé pour quantifier l’amplitude et les propriétés dynamiques des FEM. Les résultats ont montré que les trajectoires des FEM suivent un processus de diffusion aléatoire, avec des coefficients de diffusion variant significativement entre les participants.
3. Modèle de réponse rétinienne
Pour simuler l’impact des FEM sur l’activité neuronale rétinienne, l’équipe a développé un modèle de réponse des cellules ganglionnaires rétiniennes (Retinal Ganglion Cells, RGCs). Ce modèle suppose que les champs récepteurs des RGCs ont une distribution gaussienne et sont caractérisés par un noyau spatio-temporel. Les taux de décharge des RGCs ont été simulés via un processus de Poisson, et un classifieur bayésien (Bayesian Classifier) a été utilisé pour classer l’orientation des stimuli. Ce classifieur accumule les preuves issues de l’activité rétinienne, mettant à jour progressivement la distribution de probabilité a posteriori pour inférer la direction et la position du stimulus.
4. Comparaison entre modèle et résultats expérimentaux
Les résultats montrent que des FEM d’amplitude modérée améliorent significativement la capacité à discriminer des stimuli fins, tandis que des FEM trop faibles ou trop grands nuisent à l’acuité visuelle. Ces résultats correspondent étroitement aux données expérimentales, validant ainsi le modèle. De plus, l’étude révèle que les participants ajustent dynamiquement l’amplitude de leurs FEM en fonction de la taille du stimulus, tout en restant dans une plage proche de l’optimum pour maximiser l’acuité visuelle.
Conclusion de l’étude
En combinant expérimentation et modélisation théorique, cette étude révèle le double rôle des FEM dans les tâches de haute acuité visuelle : d’une part, les FEM rafraîchissent l’image sur la rétine, rendant l’activité des RGCs plus soutenue et améliorant ainsi l’encodage des détails fins ; d’autre part, les FEM introduisent des variations temporelles qui fournissent davantage d’informations sur les stimuli. L’étude montre également que l’amplitude des FEM est ajustée dynamiquement pour rester dans une plage proche de l’optimum, ce qui soutient davantage leur rôle positif dans la perception visuelle.
Points forts de l’étude
- Importance : Cette étude est la première à mettre en évidence le rôle actif des FEM dans les tâches de haute acuité visuelle et à proposer des mécanismes d’encodage neural sous-jacents, comblant ainsi une lacune dans ce domaine.
- Innovation méthodologique : La recherche combine une technologie de suivi oculaire de haute précision (AOSLO) avec un classifieur bayésien, offrant un nouveau cadre méthodologique pour l’étude de la perception visuelle.
- Valeur appliquée : Les résultats fournissent de nouvelles bases théoriques pour le diagnostic et le traitement des troubles de la perception visuelle, tout en inspirant la conception d’algorithmes visuels en intelligence artificielle.
Autres informations pertinentes
L’équipe a également exploré la pertinence des FEM dans des conditions de vision naturelle et a proposé des directions de recherche futures, y compris l’extension à des tâches visuelles plus complexes et à des ensembles de stimuli plus variés. Par ailleurs, les données et les codes d’analyse sont disponibles sur la plateforme Mendeley Data, offrant une ressource précieuse pour les études ultérieures.
Grâce à cette recherche, les scientifiques ont non seulement résolu l’énigme des FEM dans la perception visuelle, mais ont également mis en lumière l’importance de la sensation active dans le système visuel, ouvrant de nouvelles voies pour les recherches futures en sciences de la vision.