Transistors à hétérojonction à nanofils verticaux mis à l'échelle avec confinement quantique extrême
Contexte académique
Le développement rapide de l’informatique axée sur les données et de l’IA a conduit à un besoin accru en dispositifs électroniques plus performants et plus efficaces énergétiquement. Toutefois, la technologie actuelle des semi-conducteurs CMOS (Complementary Metal-Oxide-Semiconductor) en silicium atteint ses limites physiques et ne parvient plus à équilibrer performance et consommation énergétique par une simple réduction des dimensions des transistors. Ces limitations incluent les effets de canal court et l’effet tunnel source-drain direct, entraînant une restriction de la longueur minimale de grille. En outre, la limite thermique théorique de 60 mV/decade de la pente sous-seuil (subthreshold swing, SS), imposée par la statistique électronique de Fermi-Dirac, restreint davantage ces dispositifs, ce que l’on appelle la “tyrannie de Boltzmann”. Par conséquent, le développement de nouvelles architectures de transistors dépassant ces limites est essentiel pour répondre aux besoins de calcul intensif de demain avec des empreintes compactes et des énergies faibles.
Parmi les innovations proposées, le transistor à effet de champ tunnel (TFET) attire particulièrement l’attention en raison de son potentiel pour combiner pente sous-seuil inférieure à 60 mV/decade et forts courants de commutation. Théoriquement, des dispositifs basés sur des structures hétérojonction avec alignement de bandes “cassées” (broken-band) pourraient permettre d’atteindre ces objectifs en maintenant des courants de 300 µA/µm ou plus à température ambiante. Cependant, jusqu’à présent, les travaux expérimentaux sur les hétérojonctions n’ont pas réussi à cumuler simultanément ces deux caractéristiques dans un seul dispositif.
Origine de l’article
Cette recherche, menée par Yanjie Shao et Jesús A. del Alamo du Massachusetts Institute of Technology (MIT), en collaboration avec Marco Pala de l’Université Paris-Saclay et David Esseni de l’Université d’Udine, a été publiée dans Nature Electronics. L’article expose la conception réussie d’un transistor à effet tunnel vertical basé sur une nano-architecture GaSb/InAs (arséniure de gallium-antimoine/arséniure d’indium), marquant une avancée cruciale dans le domaine des TFET.
Conception de l’étude et protocoles expérimentaux
1. Design et fabrication des dispositifs
Les chercheurs ont utilisé la technologie d’épitaxie par jets moléculaires (Molecular Beam Epitaxy, MBE) pour développer des structures hétérogènes ultra-fines et sous contrainte basée sur GaSb et InAs. Des nanofils verticaux d’un diamètre aussi faible que 6 nm ont été fabriqués grâce à des procédés précis d’attaque sèche au chlore et d’attaque humide sélective. En réduisant progressivement le diamètre de la couche active d’InAs à 5 nm, les chercheurs ont exploité l’effet de confinement quantique extrême et l’alignement des bandes à l’interface pour renforcer l’efficacité énergétique au niveau de la jonction tunnel. Ce design permet à la fois de minimiser la zone occupée par le transistor et de supprimer les effets négatifs du canal court.
Pour valider ce principe, l’équipe a d’abord conçu des diodes Esaki (à deux bornes) afin de caractériser les comportements électroniques élémentaires des jonctions tunnels, avant d’intégrer une structure complète de transistors à trois bornes avec une configuration de grille tout autour (Gate-All-Around).
2. Caractérisation des dispositifs
La morphologie et le dimensionnement des nanofils verticaux ont été analysés grâce à la microscopie électronique à balayage inclinée (SEM). La qualité atomique des interfaces hétérogènes a été validée par microscopie électronique à transmission à balayage (STEM) et par spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie (EDS).
Dans leurs tests électriques, les chercheurs ont mesuré les caractéristiques I-V (courant-tension) sur différents échantillons pour examiner les densités de courant, les pentes sous-seuil et les performances en régime de commutation à des températures allant de 77 K à la température ambiante.
3. Modélisation théorique et simulations
Pour compléter les résultats expérimentaux, des calculs basés sur la théorie de la fonctionnelle de densité (Density Functional Theory, DFT) et des simulations de transport quantique ont été réalisés pour expliquer les mécanismes à l’œuvre dans des conditions de confinement quantique extrême. Ces travaux montrent que, grâce à un alignement “fixé” des bandes à l’interface, la densité des états (Density of States, DOS) et la probabilité tunnel augmentent. Contrairement au cadre conventionnel prédictif, ces effets améliorent la densité de courant au lieu de la réduire.
Résultats et découvertes majeures
Performances élevées des transistors :
- Un courant de commutation de 300 µA/µm a été obtenu avec une pente sous-seuil de 50 mV/decade, dépassant de loin la limite thermique classique des MOSFET.
- Une transconductance (gᵐ) de pointe de 1 050 µS/µm a été mesurée, soulignant l’efficacité des mécanismes de transport dans les transistors tunnels.
Contrôle avancé des effets de canal court : Les résultats expérimentaux et théoriques montrent que la réduction du diamètre des nanofils améliore le contrôle électrostatique radial, supprimant efficacement les effets négatifs des canaux courts et conduisant à des rapports On/Off atteignant 10⁶.
Tunneling quantique optimisé :
- En réduisant le diamètre de la couche d’InAs à des échelles nanométriques (<10 nm), une augmentation linéaire du courant tunnel par unité de périmètre a été détectée.
- La diminution du diamètre a permis de réduire l’énergie de bande interdite entre les sous-états quantiques Ec (InAs) et Ev (GaSb).
Comparaison avantageuse avec les MOSFET :
- À une tension de fonctionnement réduite (0,3 V), les transistors tunnels offrent des performances On supérieures à celles des MOSFET Intel de technologie FinFET à nœud 10 nm fonctionnant à 0,7 V.
Conclusion et impact
Cette étude démontre qu’une architecture de transistor basée sur une hétérojonction “à bande cassée” et un confinement quantique extrême peut offrir des performances révolutionnaires en termes de densité de courant et d’efficacité énergétique. Les résultats valident la viabilité des nanodispositifs hétérojonctionnés en tant que plateforme prometteuse pour l’électronique de prochaine génération.
Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives pour contourner les limites des CMOS traditionnels tout en maintenant des réductions de tension de fonctionnement et des tailles d’empreinte minimalistes. En combinant des pentes subthermiques, des courants élevés et une fabrication compatible avec des techniques existantes, ce travail établit un benchmark solide pour les futurs transistors dans les domaines des systèmes informatiques avancés et de l’internet des objets.