Différences spécifiques au sous-type dans les profils métaboliques des organoïdes tumoraux du cancer du pancréas
Étude des caractéristiques métaboliques des sous-types d’adénocarcinome canalaire pancréatique (PDAC)
Contexte
L’adénocarcinome canalaire pancréatique (Pancreatic Ductal Adenocarcinoma, PDAC) est un cancer hautement agressif, avec un taux de survie à cinq ans de seulement 13 %, ce qui en fait la troisième cause de décès liés au cancer. L’agressivité et la résistance à la chimiothérapie du PDAC sont étroitement liées à sa reprogrammation métabolique complexe, en particulier dans le microenvironnement tumoral, où les cellules cancéreuses s’adaptent aux changements de disponibilité des nutriments et de l’oxygène. Ces dernières années, la classification des sous-types de tumeurs PDAC basée sur le transcriptome (comme les sous-types “basal-like” et “classique”) a été associée au pronostic, en particulier le sous-type basal-like qui est lié à un pronostic plus sombre. Cependant, les différences métaboliques entre ces sous-types et leur pertinence fonctionnelle n’ont pas encore été entièrement élucidées. Par conséquent, cette étude vise à explorer les différences de caractéristiques métaboliques entre les sous-types basal-like et classique de PDAC en utilisant des modèles d’organoïdes dérivés de patients (Patient-Derived Organoids, PDOs), et à identifier des cibles métaboliques potentielles.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Hassan A. Ali, Joanna M. Karasinska et d’autres auteurs, issus de plusieurs institutions de recherche, dont le Pancreas Centre BC de l’Université de la Colombie-Britannique (University of British Columbia) au Canada. L’article a été publié en 2024 dans la revue Cancer & Metabolism, sous le titre “Pancreatic cancer tumor organoids exhibit subtype-specific differences in metabolic profiles”.
Méthodologie et résultats
1. Établissement et culture des organoïdes dérivés de patients (PDOs)
L’équipe de recherche a établi des modèles de PDOs à partir de biopsies de tumeurs de patients atteints de PDAC métastatique, incluant 3 PDOs dérivés de tumeurs basal-like et 5 dérivés de tumeurs classiques. La méthode de culture des PDOs a été adaptée d’un protocole précédemment décrit par le laboratoire de Tuveson. Les étapes comprenaient : - Traitement des échantillons : Les tissus tumoraux provenant de métastases hépatiques ont été prélevés, les zones nécrotiques et les vaisseaux sanguins ont été retirés, et les tissus ont été fragmentés puis incubés dans un milieu de digestion pendant 12 à 16 heures. - Ensemencement des cellules : Les cellules dissociées ont été ensemencées dans de la Matrigel et cultivées dans un milieu de croissance complet (Complete Growth Medium, CGM). - Repiquage : Les organoïdes ont été repiqués lorsqu’ils atteignaient 80 % de confluence dans la Matrigel.
2. Analyses métaboliques
Pour explorer les caractéristiques métaboliques des PDOs, l’équipe a réalisé plusieurs expériences d’analyse métabolique : - Tests de stress glycolytique et mitochondrial : Un analyseur Seahorse XFe96 a été utilisé pour mesurer le taux d’acidification extracellulaire (Extracellular Acidification Rate, ECAR) et le taux de consommation d’oxygène (Oxygen Consumption Rate, OCR), évaluant respectivement l’activité glycolytique et la phosphorylation oxydative (Oxidative Phosphorylation, OXPHOS). - Expérience de traçage des métabolites du 13C-glucose : Le traçage des métabolites a été réalisé en utilisant du glucose marqué au 13C pour analyser les changements dans les métabolites de la glycolyse et du cycle de l’acide tricarboxylique (cycle TCA). - Traitement avec un inhibiteur de MPC1 : Les PDOs ont été traités avec l’inhibiteur de MPC1, UK-5099, pour étudier l’impact du transport mitochondrial du pyruvate sur les différences métaboliques.
3. Séquençage du génome et du transcriptome
L’équipe a effectué un séquençage complet du génome et du transcriptome des PDOs pour analyser les différences d’expression génique. Les données de séquençage ont été alignées à l’aide d’outils tels que BWA-MEM et STAR, et l’analyse différentielle d’expression a été réalisée avec DESeq2. De plus, une analyse d’enrichissement de groupes de gènes (Gene Set Enrichment Analysis, GSEA) a été effectuée pour identifier les voies métaboliques associées aux sous-types basal-like et classique.
4. Analyse de puces tissulaires (TMA) et protéomique
Pour valider la valeur pronostique de MPC1, l’équipe a utilisé des puces tissulaires (Tissue Microarray, TMA) pour analyser par immunohistochimie 252 cas de PDAC résécables, et a effectué une analyse protéomique par spectrométrie de masse pour mesurer les niveaux de protéines MPC1 et MPC2 dans 45 cas de PDAC métastatique.
Résultats principaux
1. Différences métaboliques entre les PDOs basal-like et classiques
L’étude a révélé que les PDOs basal-like présentaient une activité glycolytique de base plus faible, mais une réserve glycolytique et un taux de consommation d’oxygène (OCR) plus élevés, indiquant que les cellules tumorales basal-like peuvent réguler plus flexibly la glycolyse et la phosphorylation oxydative en réponse au stress métabolique. De plus, les PDOs basal-like étaient plus sensibles à l’inhibiteur de MPC1, UK-5099, suggérant qu’elles dépendent du pyruvate produit par la glycolyse pour maintenir la respiration mitochondriale.
2. Valeur pronostique de MPC1
Grâce aux analyses TMA et protéomiques, l’équipe a découvert que de faibles niveaux d’expression de MPC1 étaient associés à des caractéristiques clinico-pathologiques agressives du PDAC, telles qu’un grade tumoral élevé, une invasion lymphovasculaire et une invasion périneurale. Les niveaux de protéine MPC1 étaient significativement plus bas dans les tumeurs basal-like que dans les tumeurs classiques, soutenant davantage l’importance de MPC1 dans le pronostic du PDAC.
3. Expérience de traçage des métabolites du 13C-glucose
Dans l’expérience de traçage des métabolites du 13C-glucose, les PDOs basal-like ont montré des fractions plus faibles de métabolites M+2 (comme le citrate et le malate), mais une plus grande sensibilité à la réduction des métabolites M+2 induite par UK-5099. Cela suggère que les cellules tumorales basal-like dépendent davantage du pyruvate produit par la glycolyse pour maintenir le cycle TCA.
4. Analyse différentielle de l’expression génique
L’analyse différentielle de l’expression génique a révélé que les gènes surexprimés dans les PDOs basal-like étaient associés à la traduction de l’ARN, à la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) et à la signalisation KRAS, tandis que les gènes sous-exprimés étaient liés au transport des monocarboxylates et au métabolisme des acides biliaires. Parmi ces gènes, BAG3, DUSP14 et LYPD3, dont l’expression élevée était associée à un pronostic plus sombre, ont été identifiés.
Conclusion et signification
Cette étude, en utilisant des modèles de PDOs, a révélé des différences significatives dans les caractéristiques métaboliques des sous-types basal-like et classique de PDAC, en particulier la dépendance des cellules tumorales basal-like au transport mitochondrial du pyruvate. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement de thérapies ciblées spécifiques aux sous-types. De plus, la faible expression de MPC1 est associée à des caractéristiques agressives du PDAC, renforçant son potentiel en tant que marqueur pronostique.
Points forts de l’étude
- Caractéristiques métaboliques spécifiques aux sous-types : Première étude systématique utilisant des modèles de PDOs pour révéler les différences de glycolyse et de phosphorylation oxydative entre les sous-types basal-like et classique de PDAC.
- Valeur pronostique de MPC1 : Validation à grande échelle de l’importance de MPC1 dans le pronostic du PDAC, fournissant une base pour de futures thérapies ciblées.
- Traçage des métabolites du 13C-glucose : Utilisation de techniques de marquage isotopique pour approfondir la compréhension des mécanismes de reprogrammation métabolique dans les cellules tumorales du PDAC.
Autres informations utiles
Les limites de cette étude incluent un échantillon de petite taille, nécessitant des études multicentriques plus vastes pour valider ces résultats. De plus, l’équipe recommande que les recherches futures explorent le rôle d’autres voies métaboliques, telles que le métabolisme des lipides et des acides aminés, dans les sous-types de PDAC.
Grâce à cette recherche, nous avons approfondi notre compréhension de l’hétérogénéité métabolique du PDAC et fourni des bases scientifiques importantes pour le développement de traitements personnalisés adaptés à différents sous-types.