Évasion immunitaire par transfert mitochondrial dans le microenvironnement tumoral

Transfert mitochondrial dans le microenvironnement tumoral et mécanismes d’évasion immunitaire

Contexte académique

Les cellules tumorales échappent aux attaques du système immunitaire, en particulier celles des cellules T, grâce à divers mécanismes dans le microenvironnement tumoral (Tumor Microenvironment, TME). Bien que les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (Immune Checkpoint Inhibitors, ICIs) aient montré des progrès significatifs dans le traitement de plusieurs cancers, de nombreux patients ne répondent pas au traitement ou présentent des réponses de courte durée. Des études ont montré que la reprogrammation métabolique dans le TME et la dysfonction mitochondriale des lymphocytes infiltrant les tumeurs (Tumor-Infiltrating Lymphocytes, TILs) affaiblissent la réponse immunitaire antitumorale. Cependant, les mécanismes détaillés de ces processus restent mal compris. Cette étude vise à révéler comment les cellules tumorales influencent la fonction des TILs par le transfert mitochondrial, permettant ainsi d’échapper au système immunitaire.

Source de l’article

Cet article est le fruit d’une collaboration entre plusieurs institutions de recherche japonaises, notamment le Chiba Cancer Center Research Institute, l’Université d’Okayama et l’Université de Tokyo. L’article a été publié en 2024 dans la revue Nature sous le titre “Immune evasion through mitochondrial transfer in the tumour microenvironment”.

Méthodologie et résultats

1. Découverte de mutations de l’ADN mitochondrial (mtDNA) dans les TILs et les cellules tumorales

L’équipe de recherche a d’abord séquencé le mtDNA des TILs de 12 patients atteints de différents types de cancer, révélant que 5 de ces patients présentaient des mutations du mtDNA dans leurs TILs. Une analyse plus approfondie a montré que ces mutations correspondaient étroitement à celles trouvées dans les cellules tumorales. En utilisant la microscopie électronique, les chercheurs ont observé que les mitochondries des TILs et des cellules tumorales portant des mutations du mtDNA présentaient une morphologie anormale avec une réduction des crêtes mitochondriales, tandis que les TILs et cellules tumorales avec un mtDNA de type sauvage avaient une morphologie normale.

2. Transfert mitochondrial des cellules tumorales vers les TILs

Pour vérifier la possibilité d’un transfert mitochondrial, les chercheurs ont introduit des mitochondries marquées par fluorescence (mitoDsRed) dans des cellules tumorales et les ont co-cultivées avec des TILs. Les résultats ont montré que les mitochondries des cellules tumorales pouvaient être transférées aux TILs, avec une efficacité de transfert augmentant significativement après 24 heures. En inhibant la formation de nanotubes de tunneling (Tunneling Nanotubes, TNTs) et de vésicules extracellulaires (Extracellular Vesicles, EVs), les chercheurs ont découvert que ces structures jouaient un rôle crucial dans le processus de transfert. En particulier, les EVs de moins de 200 nm contenaient des protéines mitochondriales, indiquant que les EVs peuvent médier le transfert mitochondrial.

3. Remplacement mitochondrial par homoplasmie (Homoplasmy)

Les chercheurs ont ensuite étudié si le transfert mitochondrial pouvait conduire à un remplacement homoplasmique. Grâce au séquençage monocellulaire et à l’imagerie en temps réel, ils ont observé que les mitochondries des TILs étaient progressivement remplacées par celles provenant des cellules tumorales, atteignant finalement l’homoplasmie. Ce processus dépendait de l’autophagie mitochondriale (Mitophagy) induite par les espèces réactives de l’oxygène (Reactive Oxygen Species, ROS) produites par les cellules tumorales. Cependant, les mitochondries provenant des cellules tumorales, portant des molécules inhibitrices de l’autophagie (comme USP30), résistaient à l’autophagie, survivant ainsi dans les TILs et remplaçant progressivement les mitochondries d’origine.

4. Impact des mitochondries mutées sur la fonction des cellules T

Les TILs portant des mutations du mtDNA ont montré des anomalies métaboliques et des signes de sénescence, notamment une diminution du potentiel membranaire, une augmentation des niveaux de ROS, une activité accrue de la β-galactosidase et une surexpression de molécules liées à la sénescence (comme p16 et p53). De plus, ces TILs présentaient une altération significative de leurs fonctions effectrices et de leur capacité à former des cellules mémoire, se traduisant par une diminution de l’expression de PD-1 et CD69, une augmentation de l’apoptose et une réduction de la proportion de cellules mémoire centrales et de cellules à longue durée de vie.

5. Validation in vivo

Les chercheurs ont validé l’impact du transfert mitochondrial sur l’immunité antitumorale dans des modèles murins. Les résultats ont montré que les cellules tumorales portant des mutations du mtDNA pouvaient altérer la fonction des TILs par transfert mitochondrial, réduisant ainsi l’efficacité du traitement par inhibition de PD-1. En inhibant la libération des EVs, les chercheurs ont réussi à inverser ce phénomène, restaurant la fonction des TILs et l’efficacité du traitement par inhibition de PD-1.

Conclusion et signification

Cette étude révèle un nouveau mécanisme par lequel les cellules tumorales échappent au système immunitaire via le transfert mitochondrial. Plus précisément, les cellules tumorales transfèrent des mitochondries mutées aux TILs via les TNTs et les EVs, entraînant une dysfonction mitochondriale des TILs et une altération de la réponse immunitaire. Cette découverte approfondit notre compréhension des mécanismes d’évasion immunitaire des tumeurs et offre de nouvelles cibles potentielles pour le développement de thérapies anticancéreuses. En particulier, l’inhibition du transfert mitochondrial ou l’amélioration de la fonction mitochondriale des TILs pourrait devenir une nouvelle stratégie pour améliorer l’efficacité des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires.

Points forts de l’étude

  1. Découverte d’un nouveau mécanisme : Première démonstration que les cellules tumorales échappent au système immunitaire par transfert mitochondrial.
  2. Signification clinique : La présence de mutations du mtDNA est corrélée négativement avec l’efficacité du traitement par inhibition de PD-1, offrant une base pour la stratification des patients et l’optimisation des stratégies thérapeutiques.
  3. Méthodes innovantes : Utilisation de mitochondries marquées par fluorescence et de séquençage monocellulaire pour suivre avec précision le transfert et le remplacement mitochondrial.
  4. Cibles thérapeutiques potentielles : La découverte de molécules inhibitrices de l’autophagie comme USP30 ouvre de nouvelles voies pour le développement de médicaments anticancéreux.

Autres informations pertinentes

Cette étude a également révélé que le transfert mitochondrial ne se limite pas aux interactions entre cellules tumorales et TILs, mais pourrait être répandu parmi d’autres types de cellules. Les recherches futures pourraient explorer le rôle du transfert mitochondrial dans différents types de tumeurs et cellules immunitaires, ainsi que les moyens de moduler la fonction mitochondriale pour renforcer la réponse immunitaire antitumorale.