Analyse numérique comparative de la tolérance à l'astigmatisme dans les lentilles intraoculaires bifocales, à profondeur de champ étendue et trifocales

Analyse numérique comparative pour évaluer et optimiser la vision postopératoire des lentilles intraoculaires multifocales

Introduction et contexte de l’étude

L’un des objectifs principaux de la chirurgie de la cataracte est d’assurer une vision claire sans lunettes pour les patients. Cependant, cet objectif est limité par deux défis majeurs : la perte de l’accommodation et l’astigmatisme cornéen postopératoire. Pour répondre à ces problématiques, des lentilles intraoculaires toriques (toric IOLs) correctrices d’astigmatisme cornéen ont été introduites en clinique, tandis que le développement des lentilles intraoculaires multifocales (multifocal IOLs) vise à répondre aux besoins de vision multifocale. Cependant, des observations cliniques indiquent que les yeux avec lentilles multifocales présentent souvent une baisse de performance visuelle plus marquée sous une astigmatisme équivalent par rapport aux lentilles monofocales, particulièrement pour les lentilles trifocales. Ce phénomène pose de nouveaux défis concernant le choix des lentilles multifocales et les attentes en matière de qualité visuelle postopératoire.

Ainsi, cette étude vise à analyser numériquement la tolérance à l’astigmatisme des lentilles multifocales sous des conditions de lumière polychromatique en utilisant un modèle oculaire fini personnalisé. Les chercheurs ont évalué l’efficacité énergétique et les performances visuelles sous différents niveaux d’astigmatisme afin de fournir une base théorique pour prédire la fonction visuelle postopératoire.

Origine de l’article et informations sur les auteurs

Cette étude a été réalisée par Jongin You et Mooseok Jang de l’Institut avancé de science et technologie de Corée (KAIST, Korea Advanced Institute of Science and Technology) et publiée dans le journal Biomedical Optics Express (Vol. 16, No. 2) le 1er février 2025. Cet article combine des modèles numériques avec des algorithmes personnalisés pour fournir une nouvelle méthode et un nouvel outil théorique pour évaluer les fonctions visuelles après implantation de lentilles multifocales.

Méthodologie et conception expérimentale

1. Construction d’un modèle oculaire fini personnalisé

Les chercheurs ont utilisé un modèle oculaire fini basé sur une analyse complète des ondes, intégrant une description précise de la structure de l’œil entier, notamment les surfaces réfractives fines de la cornée et du cristallin, les milieux de propagation (comme l’humeur aqueuse et le vitré) et une analyse sous des conditions de lumière polychromatique. La longueur d’onde de référence a été fixée à 550 nm pour modéliser le système optique d’un œil normal ayant une puissance optique effective de 60 dioptries.

Paramètres de la cornée et du cristallin

  • Le rayon de courbure antérieur et postérieur de la cornée a été respectivement fixé à 7,77 mm et 6,40 mm, résultant en une puissance totale calculée de 42,17 D.
  • La puissance équivalente du cristallin a été définie à 21,37 D pour atteindre une puissance optique effective du modèle oculaire de 60 D.
  • Le modèle inclut l’équation généralisée de Cauchy pour caractériser l’aberration chromatique (chromatic aberration) des composants oculaires à différentes longueurs d’onde.

Définition des paramètres des lentilles multifocales

Pour simuler les trois types de lentilles multifocales commerciales (ReSTOR, Symfony et POD-F), les chercheurs ont utilisé les configurations suivantes : - ReSTOR : Lentille bifocale avec une puissance réfractive de 21,37 D et une puissance additionnelle diffractive de +3,0 D. - Symfony : Lentille à profondeur de champ étendue (EDOF) avec une puissance diffractive de +1,75 D, optimisée pour corriger l’aberration chromatique. - POD-F : Lentille trifocale combinant deux zones diffractives distinctes pour une vision intermédiaire (+1,75 D) et proche (+3,5 D).

Les données de conception pour chaque lentille proviennent d’études publiées et de la documentation fournie par les fabricants.

2. Simulation de la propagation des ondes et champ lumineux rétinien

Grâce à des modèles personnalisés, les chercheurs ont intégré un modèle de propagation complète des ondes pour décrire la propagation du faisceau lumineux à travers la cornée, le cristallin, l’humeur aqueuse et le vitré : - La méthode du spectre angulaire (angular spectrum method) a été utilisée pour décomposer et analyser la propagation des composantes angulaires des ondes dans les milieux optiques. - Les performances visuelles ont été évaluées en utilisant la métrique “light-in-the-bucket” (LIB), qui mesure la quantité de lumière dans une zone définie par la limite de diffraction à 550 nm.

En outre, l’astigmatisme a été modélisé via l’expression de Seidel pour étudier son effet sur la qualité d’image.

3. Analyse des données et simulations expérimentales

Les chercheurs ont généré des simulations visuelles sous différents scénarios, incluant l’effet de l’astigmatisme sur la qualité d’image et la répartition de la lumière à travers les différentes focales (loin, intermédiaire, proche) des lentilles multifocales. Des analyses basées sur la fonction de transfert de modulation (MTF) ont également été réalisées pour évaluer la qualité des images produites dans des conditions variées d’astigmatisme.

Résultats et principales découvertes

1. Impact de l’aberration chromatique sur les performances des lentilles

Les analyses montrent que Symfony, grâce à ses propriétés correctrices d’aberration chromatique, offre la meilleure correction à la focale éloignée, surpassant POD-F et ReSTOR. La diffraction spécifique de Symfony contribue à réduire la dispersion et améliore la netteté des images formées.

POD-F, bien qu’ayant des propriétés de dispersion plus faibles (Abbe = 56), présente une performance équilibrée en vision intermédiaire mais une plus grande aberration chromatique en vision éloignée.

2. Efficacité énergétique sous astigmatisme

Sous des conditions d’astigmatisme cornéen, les tolérances des lentilles multifocales se répartissent comme suit : - Symfony : Présente la meilleure tolérance à l’astigmatisme. À +1,5 D d’astigmatisme, son efficacité énergétique normalisée est de 12 % à la focale éloignée. - ReSTOR : Moins tolérant que Symfony, avec une efficacité de 10 % dans les mêmes conditions. - POD-F : Montre une tolérance moindre, particulièrement pour les focales éloignées et proches, bien que la performance reste stable pour la focale intermédiaire.

3. Qualité d’image et simulations de la vision

Les simulations montrent que Symfony offre une meilleure clarté en vision éloignée grâce à un design diffractif qui réduit les interférences des harmoniques d’ordre supérieur. En revanche, les performances visuelles de POD-F sont affectées par une répartition inégale de l’énergie entre ses trois focales.

Des simulations visuelles de caractères “E” ont confirmé que la clarté de l’image diminue différemment selon les niveaux d’astigmatisme et le type de lentille.

Conclusions et implications

Cette étude, en utilisant un modèle oculaire basé sur une analyse des ondes complète sous des conditions de lumière polychromatique, met en lumière les mécanismes qui influencent les performances optiques des lentilles multifocales, notamment leur capacité à tolérer l’astigmatisme et leur correction de l’aberration chromatique. Les principales conclusions incluent : 1. Les lentilles à profondeur de champ étendue (Symfony) sont mieux adaptées aux patients présentant un astigmatisme modéré à élevé. 2. Les patients avec un astigmatisme supérieur à +1,0 D devraient envisager l’utilisation de lentilles toriques multifocales pour optimiser les fonctions visuelles postopératoires. 3. Le modèle proposé peut servir d’outil prédictif pour évaluer la fonction visuelle postopératoire et aide à concevoir des lentilles personnalisées pour des traitements spécifiques.

Points forts de cette recherche

  1. Intégration innovante de l’analyse complète d’ondes et de la méthode du spectre angulaire, offrant un modèle oculaire précis.
  2. Simulation de la lumière polychromatique pour comprendre les mécanismes de correction de l’aberration chromatique.
  3. Concordance des prédictions numériques avec les données cliniques existantes, fournissant ainsi une base théorique solide pour la sélection des lentilles.
  4. Grande extensibilité pour inclure des données biologiques personnalisées et améliorer les stratégies de traitement médical.

Cette étude non seulement enrichit les approches théoriques pour évaluer les lentilles multifocales mais pourrait également être appliquée au développement de nouvelles lentilles et à la personnalisation des traitements pour les patients. Ces travaux ont une importance scientifique et un potentiel d’application clinique significatif.