Prédiction des courbes de défocalisation monoculaires en pseudophaquie avec différentes tailles de pupilles

Introduction

Avec la progression généralisée de la chirurgie de la cataracte et du remplacement du cristallin, l’importance des performances optiques des lentilles intraoculaires (intraocular lenses, IOL) dans la qualité visuelle postopératoire des patients devient de plus en plus évidente. La prédiction des performances visuelles cliniques (telles que l’acuité visuelle et la plage de mise au point) est en passe de devenir un domaine de recherche clé en ophtalmologie. Cela est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de discuter des différentes conceptions des IOL, dont les performances optiques peuvent varier en fonction de la taille de la pupille. Cependant, les modèles de prédiction actuels supposent généralement une taille de pupille fixe, ignorant ainsi cet aspect crucial dans les applications cliniques réelles.

Ces dernières années, des processus standardisés (tels que ANSI Z80.35-2018 et ISO 11979-7:2024) ont introduit l’utilisation de courbes de défocalisation monoculaire (monocular defocus curve) pour classer plus précisément les IOL (par exemple, les IOL à profondeur de champ étendue, EDOF IOL). Bien que ces normes recommandent de prendre en compte l’impact de la taille de la pupille, les méthodologies disponibles pour évaluer comment les variations de taille pupillaire influencent ces courbes restent incomplètes. Ce retard se manifeste notamment par des expérimentations en laboratoire optique limitées à une seule taille de pupille (par exemple 3 mm ou 4,5 mm), sans correspondance avec les données réelles des patients.

Face à ce manque, Antonio J. del Águila-Carrasco et son équipe ont cherché à explorer comment les mesures obtenues sur banc optique peuvent prédire les courbes de défocalisation des patients postopératoires, en tenant compte des différentes tailles de pupilles. Il s’agit de la première étude systématique visant à prédire des courbes de défocalisation monoculaire dans différentes conditions de tailles pupillaires et à les comparer aux données cliniques.

Présentation de l’article

L’article intitulé “Prediction of Monocular Defocus Curves in Pseudophakia with Different Pupil Sizes”, coécrit par Antonio J. del Águila-Carrasco, Aixa Alarcon, Henk Weeber et d’autres auteurs, a été mené par des chercheurs travaillant principalement chez Johnson & Johnson Medtech aux Pays-Bas et aux États-Unis. Cette affiliation témoigne du soutien d’une grande entreprise de technologie médicale. L’article est publié dans le numéro du 1er février 2025 de la revue Biomedical Optics Express (volume 16, numéro 2). Cette revue de premier plan dans le domaine de l’optique est publiée par Optica Publishing Group.

Démarche de recherche

Conception de l’étude et résumé des procédures

L’étude comprend plusieurs étapes clés, mettant l’accent sur la correspondance entre les données expérimentales sur banc optique et les résultats cliniques :

  1. Classification des lentilles intraoculaires et échantillons d’étude
    Six types d’IOL (tous fabriqués par Johnson & Johnson Vision) ont été inclus dans l’étude. Trois IOL (ZCB00, ZXR00, ZLB00) ont été utilisées pour établir des correspondances entre les données optiques et cliniques, tandis que les trois autres (ICB00, ZEN00V, ZFR00V) ont servi à prédire les courbes de défocalisation en fonction des équations obtenues.

  2. Mesures sur banc optique
    Le modèle d’œil cornéen moyen (ACE model) a été utilisé pour reproduire les aberrations sphériques et chromatiques longitudinales de la cornée humaine. À une puissance réfractive de 20 D, l’étude a analysé comment les indices de performance optique tels que la “surface sous la fonction de transfert de modulation” (MTF Area, MTFA) et la “fonction de transfert optique pondérée” (Weighted Optical Transfer Function, WOTF) varient selon la plage de défocalisation (-3,0 D à 0,5 D) et la taille de la pupille (2 mm, 3 mm, 4,5 mm).

  3. Collecte de données cliniques
    Les données cliniques ont été obtenues à partir de cinq études sponsorisées par Johnson & Johnson Vision. L’acuité visuelle monoculaire à haut contraste (mesurée avec une charte ETDRS) des patients a été évaluée 3 à 6 mois après l’implantation des IOL, à différentes défocalisations. Les patients ont été regroupés selon leur taille pupillaire : petite pupille (≤ 3 mm), pupille moyenne (> 3 mm mais < 4 mm), et grande pupille (≥ 4 mm), afin d’évaluer leurs performances visuelles réelles.

  4. Analyse des données et ajustements
    Une fonction puissance a été utilisée pour ajuster les données collectées. Les paramètres d’ajustement ont été calculés à l’aide de l’outil d’ajustement de Matlab. Le coefficient de détermination (R²) et l’erreur quadratique moyenne (RMSE) ont été utilisés pour comparer les différences entre les données cliniques et les résultats simulés. Des graphiques de Bland-Altman ont également été générés pour valider les résultats.

Participants et taille des échantillons

L’étude inclut six modèles d’IOL et entre 69 et 206 patients, répartis selon leur taille de pupille. Cependant, le nombre limité de patients dans le groupe “petite pupille” constitue une restriction pour les analyses détaillées.

Algorithmes et analyse appliqués

Pour obtenir des prédictions précises, les algorithmes et indicateurs suivants ont été utilisés : - Modèle fonction puissance : l’acuité visuelle (VA) = a × (paramètre^b) + c, où a, b et c sont des paramètres ajustés. - Relations entre la WOTF et les courbes de défocalisation : des réponses fréquences plus complètes rendent les modèles de prédiction plus robustes.

Principaux résultats de la recherche

  1. Résultats des expériences sur banc optique
    Les métriques MTFA et WOTF capturent efficacement les performances optiques des IOL dans diverses conditions de défocalisation et de tailles pupillaires. Les corrélations (R²) entre les résultats simulés et cliniques dépassent 0,85.

  2. Précision des ajustements et des prédictions

    • Résultats MTFA : les valeurs de R² des groupes de pupille moyenne et large approchent de 1 avec des RMSE entre 0,034 et 0,071, mais les prédictions pour les petites pupilles étaient légèrement moins précises.
    • Résultats WOTF : globalement, la métrique WOTF est plus précise pour les petites pupilles, tandis que la MTFA est meilleure pour les grandes pupilles.
    • Les graphiques Bland-Altman confirment une bonne concordance générale avec des limites de -0,1 à 0,1 logMAR.
  3. Défis pour les petites pupilles
    La taille limitée des échantillons rend les prédictions pour les petites pupilles moins robustes comparées aux autres groupes.

  4. Comparaison entre IOL monofocales et multifocales
    Les IOL monofocales présentent des résultats de simulation plus précis que les IOL corrigées pour la presbytie, probablement en raison de leur conception optique différente.

Conclusions et implications

Cette étude montre que l’utilisation combinée des métriques MTFA et WOTF sur un banc optique, en simulant plusieurs tailles pupillaires, permet de prédire avec précision les courbes de défocalisation des patients postopératoires. Les résultats offrent un cadre solide pour améliorer l’évaluation préclinique des designs de IOL et orienter les décisions concernant leur implantation.

L’approche par “stratification pupillaire” représente une avancée méthodologique majeure qui pourrait guider la personnalisation des IOL en fonction des patients. Elle ouvre également les perspectives pour des stratégies d’implantation mix-and-match.

Points forts de la recherche

  • Analyses innovantes sur la stratification pupillaire : Inclusion pour la première fois de l’effet de la taille de la pupille dans les prédictions des performances IOL.
  • Indicateurs à forte corrélation : L’utilisation des métriques MTFA et WOTF renforce la pertinence des prédictions précliniques.
  • Algorithmes modernes : Le modèle puissance et les analyses combinées posent les bases de futures améliorations dans les algorithmes de prédiction.

Perspectives et améliorations

Les auteurs recommandent de mener des recherches futures sur les groupes présentant des pupilles plus petites et d’étudier comment intégrer des mesures binoculaires. De plus, l’effet Stiles-Crawford et son influence sur la prédiction des performances des IOL restent à explorer.

Cette étude pose les fondations pour le développement d’outils standards permettant d’optimiser la qualité visuelle des patients après une chirurgie de la cataracte de manière personnalisée, systématique et prédictive.