Livraison cérébrale in vivo de l'iduronate 2-sulfatase activée par la barrière hémato-encéphalique chez les rats
Livraison de la thérapie enzymatique de remplacement à travers la barrière hémato-encéphalique pour traiter le syndrome de Hunter
Contexte
Le syndrome de Hunter (Mucopolysaccharidose de type II, MPS II) est une maladie métabolique héréditaire rare causée par une déficience en iduronate-2-sulfatase (IDS). Cette déficience entraîne une accumulation de glycosaminoglycanes (tels que l’héparane sulfate et le dermatane sulfate) dans les cellules et les tissus, provoquant ainsi des lésions graves du système nerveux central (SNC) et des tissus périphériques. Bien que la thérapie enzymatique de remplacement (Enzyme Replacement Therapy, ERT) ait connu un certain succès dans le traitement des symptômes périphériques, l’injection intraveineuse traditionnelle d’ERT ne parvient pas à atténuer efficacement les lésions du SNC en raison de la présence de la barrière hémato-encéphalique (Blood-Brain Barrier, BBB).
La barrière hémato-encéphalique est formée par les cellules endothéliales des microvaisseaux cérébraux reliées par des jonctions serrées, empêchant ainsi la plupart des macromolécules de pénétrer dans le cerveau. Par conséquent, la livraison efficace de macromolécules (telles que les enzymes) au cerveau constitue un défi majeur dans le traitement des maladies du SNC comme le syndrome de Hunter. Ces dernières années, les chercheurs ont développé diverses technologies basées sur le transport transcellulaire médié par les récepteurs (Receptor-Mediated Transcytosis, RMT) pour tenter de livrer des macromolécules au cerveau en ciblant des récepteurs spécifiques.
Origine de l’étude
Cette étude a été dirigée par Will J. Costain et son équipe, composée de chercheurs du Conseil national de recherches du Canada (National Research Council Canada) et de la société belge Oxyrane. L’étude a été publiée en 2025 dans la revue Fluids and Barriers of the CNS sous le titre In vivo brain delivery of BBB-enabled iduronate 2-sulfatase in rats. L’objectif de l’étude était de développer une thérapie enzymatique de remplacement capable de traverser la barrière hémato-encéphalique en fusionnant des anticorps à domaine unique (Single-Domain Antibodies, sdAbs) avec l’enzyme IDS, afin de traiter les symptômes du SNC dans le syndrome de Hunter.
Déroulement et résultats de l’étude
1. Conception et production des protéines
L’équipe de recherche a d’abord conçu et produit plusieurs protéines de fusion entre l’enzyme IDS et des anticorps à domaine unique. Ces protéines de fusion comprenaient l’IDS associée à des anticorps à domaine unique ciblant le récepteur de l’insulin-like growth factor 1 (IGF1R) (comme IGFR3H5), à l’albumine sérique humaine (HSA) ou à des anticorps à domaine unique anti-albumine sérique (comme R28 et M79). Ces protéines de fusion ont été exprimées dans la souche de levure Yarrowia lipolytica et purifiées par chromatographie en plusieurs étapes.
Résultats expérimentaux :
- Grâce à la technique de résonance plasmonique de surface (Surface Plasmon Resonance, SPR), l’équipe a confirmé la forte affinité de l’anticorps à domaine unique IGFR3H5 pour l’IGF1R humain (Kd = 7,5 nM). Bien que l’affinité des protéines de fusion ait diminué, elles ont conservé leur capacité à se lier à l’IGF1R.
- Les anticorps à domaine unique anti-albumine sérique (comme R28 et M79) ont également montré une forte affinité pour l’albumine sérique humaine et murine.
2. Étude de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique in vitro
L’équipe de recherche a utilisé un modèle de cellules endothéliales cérébrales de rat (SV-ARBEC) pour évaluer la perméabilité des protéines de fusion à travers la barrière hémato-encéphalique. En mesurant le coefficient de perméabilité apparent (Papp), l’équipe a constaté que l’enzyme IDS fusionnée à IGFR3H5 (IGFR3H5-IDS) présentait une perméabilité significativement plus élevée que l’enzyme IDS seule dans le modèle in vitro.
Résultats expérimentaux :
- Le Papp de IGFR3H5-IDS était de 250, significativement plus élevé que celui de l’enzyme IDS seule (Papp = 9) et du contrôle négatif A20.1 (Papp = 5).
- Les enzymes IDS fusionnées à l’HSA ou à des anticorps à domaine unique anti-albumine sérique (comme IGFR3H5-IDS-HSA et IGFR3H5-IDS-R28) ont également montré une perméabilité élevée.
3. Étude pharmacocinétique in vivo
L’équipe de recherche a mené une étude pharmacocinétique (Pharmacokinetics, PK) dans un modèle de rat pour évaluer la distribution et l’élimination des différentes protéines de fusion dans le sérum et le liquide céphalo-rachidien (Cerebrospinal Fluid, CSF).
Résultats expérimentaux :
- La demi-vie (t1/2α) de l’enzyme IDS et de IGFR3H5-IDS dans le sérum était inférieure à 10 minutes, indiquant une élimination rapide.
- Les enzymes IDS fusionnées à l’HSA ou à des anticorps à domaine unique anti-albumine sérique (comme IGFR3H5-IDS-HSA et IGFR3H5-IDS-R28) ont montré une demi-vie sérique significativement prolongée, avec une augmentation de 8 à 11 fois de l’AUC (aire sous la courbe).
- Dans le liquide céphalo-rachidien, l’AUC de IGFR3H5-IDS-HSA et IGFR3H5-IDS-R28 a augmenté respectivement de 42 et 52 fois, indiquant que ces protéines de fusion augmentent considérablement l’exposition de l’enzyme IDS dans le cerveau.
4. Étude de la distribution cérébrale
L’équipe de recherche a également validé la distribution des protéines de fusion dans le parenchyme cérébral et les vaisseaux sanguins cérébraux grâce à des expériences de fractionnement du tissu cérébral.
Résultats expérimentaux :
- L’enzyme IDS était presque indétectable dans le parenchyme cérébral, tandis que IGFR3H5-IDS et IGFR3H5-IDS-R28 présentaient des concentrations significativement plus élevées dans le parenchyme que dans les vaisseaux sanguins, indiquant que ces protéines de fusion peuvent être efficacement livrées au parenchyme cérébral.
Conclusion et signification
Cette étude a permis de développer avec succès une thérapie enzymatique de remplacement de l’IDS capable de traverser la barrière hémato-encéphalique. En fusionnant des anticorps à domaine unique et l’HSA, la demi-vie sérique de l’enzyme IDS a été significativement prolongée, et son exposition dans le cerveau a été augmentée. Cette stratégie offre de nouvelles possibilités pour le traitement du SNC dans le syndrome de Hunter et constitue une plateforme technologique importante pour d’autres thérapies enzymatiques de remplacement nécessitant de traverser la barrière hémato-encéphalique.
Points forts de l’étude :
- Stratégie de livraison innovante : La fusion d’anticorps à domaine unique et d’HSA a permis à l’enzyme IDS de traverser la barrière hémato-encéphalique et de prolonger sa demi-vie sérique.
- Efficacité significative de la livraison cérébrale : Les concentrations de IGFR3H5-IDS-HSA et IGFR3H5-IDS-R28 dans le liquide céphalo-rachidien et le parenchyme cérébral ont augmenté de manière significative, démontrant leur potentiel dans le traitement du SNC.
- Perspectives d’application étendues : Cette plateforme technologique peut être appliquée à d’autres thérapies enzymatiques de remplacement nécessitant de traverser la barrière hémato-encéphalique, offrant ainsi une valeur scientifique et clinique importante.
Autres informations pertinentes
L’équipe de recherche a également souligné que, bien que l’affinité des protéines de fusion ait diminué, leur fonction in vivo n’a pas été significativement affectée. De plus, le système d’expression dans la levure et le processus de purification développés par l’équipe offrent une faisabilité pour une production à grande échelle.
Cette étude ouvre de nouvelles perspectives pour le traitement du syndrome de Hunter et d’autres maladies du SNC, avec une signification scientifique et clinique importante.