La force de la mauvaise localisation perceptive périsaccadique dépend de l'apparence visuelle des cibles de saccade

Nouvelles découvertes dans la recherche sur la perception visuelle et les mouvements oculaires

Contexte

Dans la vie quotidienne, malgré les mouvements oculaires rapides et constants (appelés saccades), nous parvenons à percevoir un environnement visuel stable. Cette stabilité est rendue possible par l’intégration d’informations par le système visuel pendant les saccades. Cependant, les mécanismes de traitement visuel pendant les saccades restent complexes et incomplètement compris. En particulier, lorsque des stimuli visuels brefs sont présentés pendant une saccade, leur position est souvent mal perçue, un phénomène appelé “mislocalisation visuelle périsaccadique” (perisaccadic mislocalization). Ce phénomène est supposé être lié aux signaux de “décharge corollaire” (corollary discharge) associés aux commandes motrices neuronales des saccades.

Des recherches récentes ont montré que les salves motrices (motor bursts) dans le colliculus supérieur (superior colliculus, SC) — une source connue de décharge corollaire — varient en fonction des caractéristiques visuelles de la cible de la saccade. Sur la base de cette découverte, cette étude vise à explorer si la mislocalisation visuelle périsaccadique est également influencée par les caractéristiques visuelles de la cible de la saccade. Plus précisément, les chercheurs ont émis l’hypothèse que si les signaux de décharge corollaire ne transmettent pas seulement des informations vectorielles sur la saccade, mais aussi des informations sur les caractéristiques visuelles de la cible, alors l’intensité de la mislocalisation visuelle périsaccadique pourrait varier en fonction des caractéristiques visuelles de la cible.

Origine de l’étude

Cette étude a été réalisée par Matthias P. Baumann, Anna F. Denninger et Ziad M. Hafed de l’Université de Tübingen en Allemagne. L’équipe de recherche est affiliée au Centre de Neurosciences Intégratives Werner Reichardt (Werner Reichardt Centre for Integrative Neuroscience) et à l’Institut Hertie de Recherche sur le Cerveau Clinique (Hertie Institute for Clinical Brain Research) de l’Université de Tübingen. L’étude a été publiée le 19 novembre 2024 dans le Journal of Neurophysiology.

Déroulement de l’étude et résultats

Conception de l’expérience

L’équipe de recherche a conçu une expérience de psychophysique dans laquelle des participants humains devaient indiquer la position d’un stimulus visuel bref présenté pendant une saccade. Dans l’expérience, les participants devaient effectuer des saccades vers des cibles constituées de deux types de réseaux de Gabor de fréquences spatiales différentes (basse fréquence spatiale : 0,5 cycles/° ; haute fréquence spatiale : 5 cycles/°). Pour garantir la précision et la cohérence des saccades, un point cible à fort contraste était toujours placé au centre du réseau.

Pendant la saccade, les chercheurs présentaient un stimulus visuel bref et à fort contraste (appelé sonde, probe) à différents moments : environ 30 millisecondes (t1), 70 millisecondes (t2) et 110 millisecondes (t3) après le début de la saccade. Les participants devaient ensuite cliquer avec un curseur de souris sur l’emplacement perçu de la sonde. Cette méthode a permis de mesurer l’intensité de la mislocalisation visuelle périsaccadique et de comparer les différences en fonction des caractéristiques visuelles de la cible de la saccade.

Analyse des données

L’équipe de recherche a analysé en détail les trajectoires des saccades et les positions des clics des participants. Tout d’abord, ils ont veillé à ce que les paramètres vectoriels et cinématiques des saccades (tels que la vitesse de pointe) soient équivalents dans les différentes conditions de cibles de saccade. Ensuite, ils ont calculé la distance euclidienne entre la position cliquée par les participants et la position réelle de la sonde, comme mesure quantitative de la mislocalisation visuelle.

Résultats principaux

  1. Influence des caractéristiques visuelles de la cible sur l’intensité de la mislocalisation : L’étude a révélé que l’intensité de la mislocalisation visuelle périsaccadique était significativement plus élevée pour les cibles de saccade à basse fréquence spatiale que pour celles à haute fréquence spatiale. Cette différence était particulièrement marquée aux temps t1 et t2 de présentation de la sonde (p < 0,05). Cela suggère que les caractéristiques visuelles de la cible de la saccade influencent effectivement l’intensité de la mislocalisation visuelle périsaccadique.

  2. Influence de la position dans le champ visuel sur l’intensité de la mislocalisation : L’étude a également montré que l’intensité de la mislocalisation était significativement plus élevée lorsque la sonde était présentée dans le champ visuel supérieur (upper visual field) que dans le champ visuel inférieur (lower visual field). Ce résultat est cohérent avec la surreprésentation du champ visuel supérieur par le colliculus supérieur, soutenant davantage le rôle potentiel du SC dans la mislocalisation visuelle périsaccadique.

  3. Uniformité de la visibilité de la sonde : Pour exclure l’interférence des différences de visibilité de la sonde sur les résultats, l’équipe de recherche a également mené une expérience de contrôle pour mesurer la visibilité de la sonde dans différentes conditions de cibles de saccade. Les résultats ont montré que, bien que le seuil de détection de la sonde soit légèrement plus élevé pour les cibles à basse fréquence spatiale pendant la période de suppression saccadique maximale (t1a), la visibilité de la sonde était complètement superposée pour les deux types de cibles au temps t2. Par conséquent, les différences de mislocalisation visuelle périsaccadique ne peuvent pas être simplement attribuées à des différences de visibilité de la sonde.

Conclusions et implications

Cette étude révèle pour la première fois que l’intensité de la mislocalisation visuelle périsaccadique dépend non seulement des informations vectorielles de la saccade, mais aussi des caractéristiques visuelles de la cible de la saccade. Cette découverte suggère que les signaux de décharge corollaire pourraient transmettre non seulement des informations motrices sur la saccade, mais aussi des informations sur les caractéristiques visuelles de la cible. Cela offre une nouvelle perspective pour comprendre comment le système visuel intègre les informations pendant les saccades et fournit des indications importantes pour les futures recherches en neurophysiologie.

Points forts de l’étude

  1. Perspective de recherche novatrice : Cette étude relie pour la première fois les caractéristiques visuelles de la cible de la saccade à la mislocalisation visuelle périsaccadique, révélant la fonction potentiellement multiple des signaux de décharge corollaire.
  2. Conception expérimentale rigoureuse : En équilibrant les paramètres vectoriels et cinématiques des saccades, l’équipe de recherche a assuré la fiabilité des résultats et a exclu les interférences liées aux différences de visibilité de la sonde grâce à une expérience de contrôle.
  3. Signification écologique : Les résultats suggèrent que le système visuel pourrait privilégier le traitement des informations à basse fréquence spatiale, ce qui est cohérent avec les propriétés spectrales des scènes naturelles et revêt une importance écologique majeure.

Perspectives futures

Les recherches futures pourraient explorer davantage les mécanismes par lesquels le colliculus supérieur et ses signaux de décharge corollaire transmettent des informations visuelles pendant les saccades. De plus, en combinant des techniques de neurophysiologie, les chercheurs pourraient observer plus directement les modes d’activité des neurones du SC pendant les saccades, permettant ainsi une compréhension plus approfondie de la manière dont le système visuel intègre les informations pendant les saccades.

Cette étude fournit non seulement de nouvelles perspectives dans les domaines de la perception visuelle et du contrôle des mouvements oculaires, mais elle offre également une base théorique potentielle pour des applications cliniques futures, telles que le diagnostic et le traitement des troubles visuels.