Des décharges évoquées somatosensorielles détectées chez des adultes normaux par magnétoencéphalographie

Événements Somatosensoriels Évoqués chez les Adultes Normaux Détectés par Magnétoencéphalographie

Contexte et Motivations de la Recherche

Depuis 1949, les études en neurophysiologie clinique ont découvert que les potentiels évoqués somatosensoriels de haut voltage (somatosensory evoked potentials, SEPs) peuvent être détectés chez les patients atteints d’épilepsie réflexe, dans laquelle les crises sont déclenchées par des stimuli somatosensoriels (Forster et al., 1949 ; Green, 1971). En 1971, des spikes pariétaux contralatéraux ont été observés pour la première fois chez un enfant présentant des troubles du comportement, et ce phénomène a été nommé “éventement somatosensoriel évoqué (somatosensory evoked spikes, SESs)” (De Marco, 1971). Depuis, ce phénomène a aussi été rapporté chez des patients souffrant de diverses maladies, notamment les syndromes épileptiques focaux ou généralisés, les crises fébriles, les traumatismes crâniens et les maux de tête (Dalla Bernardina et al., 1991 ; De Marco, 1980 ; De Marco et Calzolari, 1999 ; Fonseca et Tedrus, 1994, 2000, 2012 ; Langill et Wong, 2003). Toutefois, les SESs n’ont été observés que chez les enfants normaux de moins de 14 ans, et non chez les adultes normaux, suggérant qu’il s’agit d’un phénomène dépendant de l’âge qui disparaît avec la maturation du système nerveux central (Fonseca et Tedrus, 2012 ; Langill et Wong, 2003).

Motivation de cette étude

Précédemment, des SESs ont été détectés chez trois adultes épileptiques à l’aide de la magnétoencéphalographie (MEG) pendant des mesures MEG spontanées (Ishida et al., 2015). À partir de là, cette étude émet l’hypothèse que la MEG pourrait détecter des SESs chez des adultes normaux, bien qu’ils soient invisibles dans les électroencéphalogrammes (EEG) en raison de la sensibilité limitée de ceux-ci (Agari et al., 2021 ; Iwasaki et al., 2005 ; Kakisaka et al., 2017 ; Knake et al., 2006 ; Park et al., 2004, 2012 ; Zillgitt et al., 2022). Cette étude explore donc la capacité de la MEG à détecter des SESs chez des adultes normaux.

Origine de la recherche

Cette étude a été rédigée par Makoto Ishida, Yosuke Kakisaka, Kazutaka Jin, Akitake Kanno et Nobukazu Nakasato, tous appartenant à la section d’épileptologie de l’École de médecine de l’Université de Tohoku au Japon. L’article a été publié dans la revue “Clinical Neurophysiology” et a été accepté en mai 2024.

Méthodologie

1. Sujets expérimentaux

Cette étude a inclus 30 volontaires adultes sains, dont 20 hommes et 10 femmes, âgés de 20 à 27 ans (âge moyen de 22,6 ans). Aucun des sujets ne prenait de médicaments avant l’expérience et aucun n’avait de troubles du sommeil ni de privation de sommeil. Ils ont été priés de s’abstenir de consommer de la caféine dans les 12 heures précédant l’expérience. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de l’École de médecine de l’Université de Tohoku, et tous les participants ont signé un consentement éclairé. L’étude a strictement suivi les directives de la Déclaration d’Helsinki.

2. Méthodes de l’étude

2.1 Enregistrement MEG et Stimulation du Nerf Médian

L’étude a été conduite dans une chambre magnétique blindée, à l’aide d’un système MEG “full head” à 200 canaux. Ce système comportait un ensemble de capteurs, chaque capteur étant un gradiomètre axial de premier ordre avec une longueur de base de 50 mm et un diamètre de bobine de 15,5 mm. Les capteurs étaient répartis uniformément et la position de la tête était déterminée grâce à cinq bobines de détection placées à des emplacements prédéterminés sur le cuir chevelu. La forme de la tête et la position des bobines de chaque participant ont été mesurées avec un dispositif de numérisation tridimensionnelle, à partir des images de résonance magnétique tridimensionnelles obtenues avec un scanner IRM de 3 Tesla.

La stimulation du nerf médian des poignets gauche et droit des sujets a été réalisée avec une stimulation électrique continue, conformément aux standards de l’International Federation of Clinical Neurophysiology. Les conditions de collecte des données du système MEG pour chaque sujet comprenaient une fréquence d’échantillonnage de 2000 Hz et une fréquence de filtrage passe-bas de 500 Hz.

2.2 Détection et Analyse des SES et SEF

Pendant les enregistrements MEG spontanés standards, chaque nerf médian gauche et droit a été stimulé électriquement, et les enregistrements ont duré 10 minutes pour chaque sujet. Les SESs ont été identifiés par un neurophysiologiste expérimenté comme des réponses évoquées lockées au stimulus, clairement visibles au-dessus de l’activité cérébrale de fond. Les données de chaque sujet allant de 20 ms avant à 100 ms après la stimulation ont été moyennées 398 fois pour analyser les SEFs. Les latences des pointes, les cartes d’isopotentiels et les informations de localisation des dipôles de courant équivalents (ECD) des SES et SEFs ont été comparées.

2.3 Analyse Statistique

Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel GraphPad Prism9. Les SEFs entre les sujets avec ou sans SES ont été comparées avec le test bilatéral de Mann-Whitney U, et les différences de sexe ont été calculées avec le test exact de Fisher. Le seuil de signification statistique a été fixé à p < 0,05.

Principaux Résultats

Des SESs ont été détectés chez 10 des 30 adultes sains (8 hommes sur 20 et 2 femmes sur 10), et aucun SES n’a été détecté chez les 20 autres sujets. Aucune différence de genre n’a été observée. Le taux de survenue des SESs était de 24,0% ± 15,0% (moyenne ± écart-type). Les SESs incluaient une à deux pointes, la latence de la première pointe correspondant à la latence de la deuxième pointe (M2) des SEFs. Comme les cartes d’isopotentiels de M2, le premier pic de SES avait une localisation et une direction des dipôles équivalents de courant (ECD) cohérente avec M2. L’intensité de l’ECD du premier pic des SESs était significativement plus élevée chez les sujets avec SES (p < 0,0001) comparés à ceux sans SES.

La Figure 1 montre une comparaison entre les SES et les SEFs détectés par MEG chez le même sujet adulte sain. Le pic principal des SES à 26,5 ms correspond à la latence de la deuxième pointe (M2) des SEFs, avec des patterns de cartes d’isopotentiel et des positionnements d’ECD similaires entre eux. L’intensité de l’ECD des SES était nettement supérieure chez les sujets avec SES par rapport à ceux sans SES.

Discussion

À travers l’étude MEG, des SESs bilatéraux ont été observés chez 10 des 30 adultes normaux, tandis qu’aucun SES n’a été détecté chez les 20 autres sujets. Le premier pic des SES était synchronisé avec la deuxième pointe des SEFs (M2), montrant une cohérence en termes de latence, de localisation et de direction des ECD. Les sujets avec SES ont également montré une intensité ECD de M2 bilatérale significativement plus élevée que ceux sans SES.

1. Discussion du phénomène dépendant de l’âge des SES

Les études antérieures suggèrent que les SES ne se produisent que chez les enfants, mais notre étude a détecté des SES à l’aide de la MEG chez un tiers des adultes âgés de 20 à 27 ans. Cependant, comme des enregistrements simultanés MEG et EEG n’ont pas été réalisés, il n’est pas possible de conclure directement que la MEG est plus sensible que l’EEG pour la détection des SES. Cependant, nous postulons que la MEG pourrait avoir une sensibilité supérieure pour surpasser l’activité cérébrale de fond et détecter les réponses évoquées somatosensorielles tangentielles au cuir chevelu.

2. Avantages de la MEG dans la détection de l’activité corticale focale

En accord avec de nombreuses recherches antérieures, cette étude démontre encore les avantages de la MEG pour la détection de l’activité corticale focale, bien qu’elle ne puisse détecter les courants radiaux vers le cuir chevelu (que l’EEG peut détecter). Dans notre étude, aucun des 10 sujets n’a présenté de SES unilatériel, ce qui suggère que la détection des SES bilatéraux est un phénomène tout ou rien, en relation directe avec le rapport signal-bruit symétrique des SEFs et de l’activité cérébrale de fond.

En conclusion, cette étude a pour la première fois détecté des SES chez des adultes normaux par MEG. Les résultats approfondissent la compréhension des SES en tant que phénomènes de SEF non moyennés non épileptiques et soulignent les avantages significatifs de la MEG pour détecter l’activité corticale, ouvrant la voie à des applications futures dans l’évaluation des fonctions cérébrales et le diagnostic.

Signification de l’étude

Les découvertes importantes de cette étude comprennent : - La première confirmation de la présence de SES dans l’activité corticale des adultes. - La démonstration des avantages de la MEG dans la détection de l’activité corticale, améliorant l’intégration de diverses méthodes de détection neurophysiologique pour les diagnostics cliniques. - La fourniture de nouvelles opportunités et directions pour des recherches futures sur l’activité cérébrale des adultes et ses potentielles anomalies pathologiques.

Cette étude possède une grande valeur académique et des perspectives d’application clinique significatives dans le domaine de la neurophysiologie, contribuant à la découverte de mécanismes complexes de l’activité cérébrale et à la promotion du développement du domaine.