L'inhibition de JAK2/mTOR ne parvient pas à prévenir la GVHD aiguë malgré une réduction des cellules Th1/Th17 : résultats finaux de l'essai de phase 2

L’inhibition de JAK2/mTOR a échoué à prévenir la GVHD aiguë : les limites du ciblage des lymphocytes Th1/Th17

Ces dernières années, l’efficacité de l’immunosuppression systémique dans la prévention de la maladie du greffon contre l’hôte aiguë (GVHD aiguë, aGVHD) après une transplantation de cellules souches hématopoïétiques allogéniques (AlloHCT) a fait l’objet d’une grande attention. Les cellules Th1 (cellules T auxiliaires de type 1) et Th17 (cellules T auxiliaires de type 17) jouent un rôle clé dans la pathologie de la GVHD aiguë, et les voies de signalisation JAK2 (Janus Kinase 2) et mTOR (cible de la rapamycine chez les mammifères) sont essentielles pour leur différenciation et leur fonction. Cependant, malgré de nombreuses études cliniques montrant le potentiel de l’inhibition de JAK2 pour moduler ces voies inflammatoires, des doutes subsistent quant à son efficacité réelle et ses mécanismes associés.

Notamment, cet essai clinique de phase II récemment publié dans Blood examine en profondeur l’inhibiteur de JAK2, le Pacritinib, associé à des inhibiteurs de mTOR (Sirolimus et Tacrolimus, collectivement Pac/Sir/Tac). L’étude visait à vérifier son action biologique sur la réduction de la différenciation des cellules Th1/Th17 ainsi que son effet clinique sur la prévention de la GVHD aiguë. Menée par une équipe dirigée par Joseph Pidala et Shernan G. Holtan au Moffitt Cancer Center (Floride) et à l’Université du Minnesota, cette étude fournit de nouvelles perspectives sur les approches thérapeutiques pour la GVHD.


Contexte et objectifs de l’étude

Cette étude vise à résoudre le problème rencontré lors d’essais antérieurs sur le ciblage de la signalisation de JAK2, qui n’ont pas démontré de bénéfices cliniques significatifs. La GVHD aiguë est une réponse immunitaire sévère provoquée par des lymphocytes T du donneur, qui attaquent les tissus du receveur (comme le foie, le tube digestif et la peau). Des cytokines comme l’IL-6 (interleukine-6), l’IL-12 et l’IL-23 et leurs voies de signalisation jouent un rôle crucial dans ce processus. Bien que des études antérieures sur des thérapies ciblant le récepteur de l’IL-6, telles que le Tocilizumab, aient montré un contrôle des réponses Th1/Th17 dans les modèles précliniques, les résultats en clinique humaine sont restés limités.

Objectifs principaux de l’étude

  1. Évaluer si Pac/Sir/Tac réduit efficacement l’expression de STAT3 phosphorylé (pSTAT3) chez les lymphocytes T CD4+ au jour +21 après la transplantation (objectif principal).
  2. Vérifier si Pac/Sir/Tac réduit l’incidence de la GVHD aiguë, en la comparant aux données historiques d’une prise en charge standard (objectif secondaire).
  3. Étudier les effets de l’inhibition de JAK2/STAT3 sur les sous-populations de cellules Th (Th1, Th17, Treg).

Méthodologie

L’étude a suivi un design de phase II à bras unique, incluant 28 patients ayant reçu une transplantation allogénique de cellules souches hématopoïétiques (HLA entièrement compatible).

Résumé du design expérimental

  • Critères d’inclusion des patients : Les patients souffrant de leucémie myéloïde aiguë (AML), de syndrome myélodysplasique (SMD) ou d’autres maladies malignes hématologiques étaient admissibles. Les conditions incluaient une compatibilité HLA complète, une fonction organique adéquate et l’absence d’infection sévère.

  • Traitement et protocole d’administration : Le Pacritinib a été administré à la dose recommandée (100 mg, 2 fois par jour) du jour 0 au jour +70, puis réduit progressivement jusqu’à l’arrêt complet au jour +100. Les doses de Sirolimus et Tacrolimus étaient ajustées sur la base des niveaux sanguins cibles.

  • Endpoints et méthodologie statistique :

    • Endpoint principal : réduction du pourcentage de pSTAT3+ chez les lymphocytes T CD4+ (au jour +21, seuil fixé ≤35 %).
    • Endpoints secondaires : incidence et gravité de la GVHD aiguë. Les analyses statistiques comprenaient des tests t pour un échantillon, et la méthode de Kaplan-Meier pour analyser la survie globale, les infections, les récidives et la GVHD.

Résultats

Principaux résultats

  1. Réduction de l’activité STAT3 : Le Pacritinib a significativement réduit le pourcentage de lymphocytes CD4+ exprimant pSTAT3 au jour +21 (moyenne tombant à 9,62 %), satisfaisant ainsi l’endpoint principal (≤ 35 %). Cette suppression de STAT3 était homogène parmi les patients et n’était pas impactée par des interruptions passagères du traitement (par exemple, liées à des diarrhées).

  2. Réduction des réponses inflammatoires Th1 et Th17 : Le traitement Pac/Sir/Tac a drastiquement réduit les fréquences des cellules Th1 et Th17 au jour +21 par rapport aux valeurs pré-transplantation, tout en augmentant le ratio des Treg par rapport à Th1/Th17. Cependant, l’augmentation absolue des Treg restait limitée, cohérente avec les résultats de la phase I.

  3. Incidence de la GVHD aiguë : Malgré l’effet biologique puissant, Pac/Sir/Tac n’a pas significativement amélioré la prévention clinique de la GVHD aiguë. L’incidence de la GVHD aiguë de grade II-IV dans les 100 jours (46 %) était comparable à celle du groupe historique Sir/Tac seul (43 %). Pour la GVHD sévère (grade III-IV), l’incidence était de 18 %.

  4. Résultats à long terme :

    • L’incidence de la GVHD chronique était de 45 % à 24 mois.
    • Le taux de récidive était faible, à 11 %.
    • La survie globale à 24 mois atteignait 71 %. Aucun accroissement significatif des infections n’a été observé.

Observations complémentaires

  • Le traitement Pac/Sir/Tac n’a eu aucun effet notable sur l’activité de l’Aurora kinase A, qui est impliquée dans la signalisation des cellules T et pourrait être une voie d’échappement pour l’activité alloréactive.

Discussion

Implications majeures

  1. Résultats biologiques vs cliniques : Bien que l’inhibition ciblée de STAT3 ait montré des résultats biologiques convaincants (suppression des Th1/Th17, conservation des Tregs), elle n’a pas traduit ces effets en une réduction clinique de la GVHD aiguë. Ceci reflète une déconnexion entre un contrôle strict des cellules Th et la réduction du risque clinique global de GVHD.

  2. Limites et perspectives des thérapies ciblées : Ces résultats soulignent que des approches plus holistiques sont nécessaires, combinant l’inhibition de multiples voies de signalisation. Les inhibiteurs de la kinase Aurora (comme le VIC-1911), ou des inhibiteurs JAK1/2 à large spectre (par exemple, Ruxolitinib), pourraient optimiser davantage le contrôle de la GVHD.

Limites de l’étude

  • Le faible nombre de patients ayant suivi 100 jours complets de traitement a pu limiter les conclusions.
  • Une interruption fréquente du traitement, principalement causée par des diarrhées, a compromis l’adhésion thérapeutique.
  • L’arrêt précoce de la phase II en raison de résultats futiles a restreint la capacité à évaluer pleinement l’impact sur la GVHD chronique et d’autres résultats à long terme.

Conclusion et orientations futures

Bien que Pac/Sir/Tac n’ait pas amélioré la prophylaxie de la GVHD aiguë, cette étude apporte des informations précieuses sur les effets biologiques de l’inhibition ciblée des cellules Th1/Th17. Les futures stratégies de prévention de la GVHD nécessiteront probablement l’intégration de schémas thérapeutiques combinés, capables de cibler plus largement les mécanismes alloréactifs tout en optimisant la tolérance immunitaire et la survie du patient.